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La représentation des musulmanes dans les films et les séries grecques est quasi inexistante. Néanmoins, leur présence dans le pays est perceptible depuis de nombreuses années et donne lieu à des discussions animées dans les journaux télévisés à la mesure du sujet brûlant qu’elles représentent. C’est ainsi que la femme dans l'Islam continue de nourrir la curiosité et l’imaginaire de la société grecque.
En Grèce, l'islamophobie ou la musulmanophobie sont étroitement liés à l'héritage de l'Empire ottoman et aux relations géopolitiques entre la Grèce et la Turquie, même si elles ne se limitent pas à cela. Plus récemment, la peur de l'immigration, comme dans de nombreux autres États européens, avec l'arrivée de personnes originaires de pays à majorité musulmane, a augmenté cette phobie.
Des figures de l’espiègle à celles de la soumise
Revenons à l'image de la femme musulmane en Grèce. Comment a-t-elle été représentée pendant plusieurs siècles dans la culture populaire du pays ?
Misirlou (1) est un exemple édifiant : le mot dérive de l’arabe égyptien (Misr ou مصر), et se traduit par « fille égyptienne ». La chanson, qui aurait été enregistrée pour la première fois dans les années 1920, s'inscrit dans le genre musical du rebetiko, que l’on doit aux Grecs provenant de l'Asie mineure.
Ma Misirlou, ton doux regard a allumé une flamme dans mon cœur,
Tes deux lèvres dégoulinent de miel, hélas.
Oh, Misirlou, beauté magique et exotique,
La folie va s’emparer de moi, je ne peux plus la supporter,
Oh, je vais te ravir sur la terre arabe.
L’autre chanson de rebetiko qui suit, intitulée Maroko (1940), est de Vamvakaris. Elle évoque des sentiments similaires et exprime la profonde nostalgie qu’un marin ressent face à une autre femme qui personnifie l'Orient féminin.
Dans son livre « Sex, Sailors and Colonies : Narratives of Ambiguities in the Work of Pierre Loti », Hélène de Burgh souligne la dichotomie entre l'homme hétérosexuel et la femme sexuellement et racialement inférieure qu'il s’apprête à dominer.
Sur un bateau de pêche
Une nuit avec le sirocco
Je veux venir, ma fille arabe
flâner au Maroc
Je t'emmènerai...
dans mon bateau
et nous nous dirigerons tous les deux
vers le Pirée.
De même, dans le poème Kasbah (1934) de Kavvadias (2), le narrateur est un marin à la recherche d'une compagne sur les côtes algériennes, pour ses jeux érotiques. Mais contrairement aux exemples précédents, cette femme lui révèle sa puissance et sa sagesse.
...un corps de femme dans un canapé entièrement noir
Dans ses mains, elle joue avec art du couteau
Et elle lit un vieux volume épais.
Elle me salue en m’adressant un vœu arabe
et me gratifie de quelques mots dans toutes les langues
qu'elle a apprises de personnes d'origines différentes
et des marins qui ont dormi avec elle
Jusqu'à présent, il a été plus facile de trouver des sources remontant au siècle dernier où la femme musulmane était systématiquement associée au monde arabe en raison de sa relation historique avec la Grèce. Il est important de mentionner que dans le Proche-Orient et l'Afrique du Nord, d'autres groupes d’origines ethniques différentes sont ignorés ou assimilés aux Arabes.

Un sujet semi-mythique
Dans le fantasme du marin grec, la femme orientale est un sujet semi-mythique, différent, voire exotique, toujours inférieur. Cette image reflète la relation entre l'Orient et l'Occident et la manière dont les orientalistes ont dépeint l’Orient. Les artistes occidentaux le présentaient comme un paysage intemporel, arriéré, irrationnel et mystique, dépourvu de tout progrès occidental. Selon Edward Saïd, cette représentation justifiait les visées impérialistes que l'Occident a toujours eu pour l'Orient.
Ces dernières années, la seule série, avec une femme musulmane parmi les protagonistes, s’intitule TAMAM (2014-2017). Comme dans d'autres séries et émissions télévisées grecques, les musulmanes sont toujours représentées à partir d’un rappel au passé ottoman et sont systématiquement d'origine turque. TAMAM se concentre sur les membres de la famille de Christidou-Öztürk, leur vie quotidienne, avec pour toile de fonds les différences interculturelles entre les Grecs et les Turcs.

Dilek, qui fait partie de la fratrie, est une musulmane pieuse portant le hijab. La série explore la façon dont la jeune femme navigue, à travers sa quête identitaire, dans une société majoritairement non musulmane. Mais malgré ses bonnes intentions, les épisodes contiennent de nombreux clichés orientalisants.
L’un après l’autre, les épisodes mettent en scène le schéma binaire de femmes grecques progressistes et de femmes musulmanes réservées, en retrait. Certaines scènes sont pittoresques et maladroites : comme celle représentant Dilek en train de prier, et celle où elle mange accidentellement du porc que lui a servi la femme de son père, ce qui lui vaut d'être rejetée (même temporairement) par sa propre communauté.
La gêne que cela provoque peut-être liée au fait que ce sont des actrices et des acteurs grecs qui jouent le rôle des personnages turcs. En abordant les valeurs traditionnelles, le rôle des hommes et des femmes ainsi que leurs différences culturelles, la série a involontairement renforcé certains stéréotypes sur les sociétés « orientales ».
Pourtant les médias, tout comme les politiciens, doivent être capables de dépasser la fracture entre victimisation et résistance, et surtout reconnaître l'action des femmes musulmanes tout en respectant leurs identités multiples.
C’est pourquoi, il est important de veiller à ce que les voix de femmes musulmanes soient mises en avant dans les débats et à ce qu'une plateforme leur soit dédiée afin qu'elles puissent raconter leurs propres histoires.
Notes :
La chanson est largement connue grâce à la version surf rock de Dick Dale qui a été jouée dans le film « Pulp Fiction ». On en trouve un extrait dans le morceau « Pump it » des Black Eyed Peas.
Il existe également une version du poème réalisée par le collectif hip-hop Social Waste.