« Il a l’étoffe d’un héros » dit de lui Florence Montreynaud, une féministe française qui le connaît depuis longtemps. Mais un héros modeste, toujours souriant et ponctuel à ses rendez-vous. Pierre-Yves fait partie de la compagnie de ces personnes, hommes et femmes qui se sont engagé.es pour la vie entière. C’est pourquoi sans doute, avec lui, la conversation féministe roule naturellement, sans arrière-pensée d’aucune sorte. Loin de ceux qui vous disent la bouche en cœur : « je suis féministe, mais... » ou « je me déconstruis mais... » !
Précisons d’emblée qu’il est « tombé dedans » (le féminisme) il y a déjà longtemps, à la charnière du 21è siècle. Et s’il n’emploie guère les mots qu’on entend en boucle autour de nous sur la « déconstruction du genre » et « l’inclusion », il y a belle lurette qu’il pratique l’une et l’autre sans le dire, tout le temps.
Sa conviction de féministe s’est inscrite dans les années 2000, après avoir quitté un job bien payé pour une entreprise américaine. Il retourne vivre dans sa ville natale, à 100 km de Lyon, avec son amoureuse. Entretemps, il a découvert le Tibet et le photojournalisme. Premier reportage au long cours : les nonnes tibétaines. C’est le choc : ces jeunes femmes sont surtout exploitées pour servir le boire et le manger aux bonzes, et passer la serpillère.
Il rapporte du Tibet des images fortes, respectueuses des femmes et du contexte dans lequel il opère, mais sans concession sur leur sujet : ces nonnes-là sont des esclaves modernes.
Au fil des contacts qu’il noue avec des Tibétains, il arrive à pénétrer l’intimité des couvents... et des bordels. Il a gardé un souvenir très pénible de ce dernier monde encore plus clos et miséreux que le premier, constitué de femmes abandonnées à leur sort et d’une clientèle recherchant des partenaires issues de leur propre communauté, du Ladakh ou du Népal voisin, pour satisfaire leurs besoins sexuels.
2001 : fin de l’aventure tibétaine, les frontières se sont refermées pour des raisons de sécurité. On connait la rengaine ... qui entraîne Pierre-Yves ailleurs aux sources du féminisme chez les Ouïghours, en Éthiopie, au Maghreb. Partout, il voit « des femmes d’une puissance incroyable » et revient avec des reportages saisissants : des portraits de groupes, ou d’héroïnes d’un jour, des femmes en mouvement.
Il se documente beaucoup, en profondeur : « j’allais à la bibliothèque chercher des ouvrages pour mieux saisir le mouvement féministe dans son amplitude historique ». Il remarque au passage que 80% de la littérature consacrée aux femmes est tournée sur les victimes ; 20% seulement de la documentation est consacrée aux résistantes. Des chiffres à méditer encore, vingt ans plus tard.
« Ce que je sais depuis le temps que je travaille la question du féminisme, c’est que l’universalité des droits est la clé de beaucoup de choses »
Côté personnel, « pour elle, ma compagne, c’était du vécu, pas pour moi. Elle m’a tout appris sur la féminité, on a grandi ensemble, on passait des heures à discuter après avoir croisé nos lectures... Ça nous a changé.es, ça a modifié nos rapports de couple ». Est-ce ce va-et-vient entre l’intimité et la société qui lui confère cette énergie féministe ?
En 2003, Pierre-Yves crée avec des amies de la région lyonnaise une première association, « Femmes Ici et Ailleurs » qui fait tourner des expositions photo dans toute la France : des expositions personnelles ou thématiques qui expriment toutes « une admiration devant les talents multiples des femmes, qu’elles combattent pour une cause précise ou qu’elles soient sportives, scientifiques ou paraplégiques : raconter leurs parcours, j’ai toujours trouvé ça palpitant ».
Au cours de ces pérégrinations, Pierre-Yves cherche à rencontrer et interviewer si possible toutes les grandes passionarias mondiales : de Taslima Nasreen (Pakistan) aux Folles de la place de Mai (Argentine), des Femmes en noir (Palestine) à de Aung Sang Sushi, de feu Lucie Aubrac la grande résistante aux artistes d’ici et d’ailleurs.
Le fan qu’il était déjà est devenu « fan absolu » à force de rencontres, de lectures et de reportages. Tout en restant saisi d’effroi devant la condition faite aux femmes dans la plupart des pays du monde.
Sur la prostitution : « je n’arrive pas à comprendre les mecs qui sont prêts à acheter le corps d’une femme ». Sur l’invisibilité : « avec toute l’énergie qu’elles déploient dans tous les domaines ! » Sur la défense des tenues voilées en France : « à l’étranger, je n’ai côtoyé que des femmes qui se battaient pour l’enlever. Dire qu’en France ce n’est pas pareil, relève du relativisme culturel. »
Il se lance alors dans un plaidoyer qui prend la forme d’un magazine, « Femmes en résistance », s’appuyant sur de magnifiques reportages, des analyses et des commentaires. « J’ai apporté ma pierre à l’édifice. Si peu de médias mettent en avant les actions positives des femmes ! »
Mais il faut vivre et les abonnements ne suffisent pas. Qu’à cela ne tienne : Pierre-Yves ne désarme pas, sollicite des appuis économiques et les institutions pour relancer une 2è formule, « Femmes Ici et Ailleurs ». Le magazine a diffusé, tous les deux mois, des informations sur tout ce qui touche aux femmes, sans renoncer aux reportages à l’international, et en s’assurant une audience élargie, à l’écoute du monde du travail.
Mais alors que « Femmes Ici et Ailleurs » venait de fêter ses 50 numéros, le magazine renonce à la diffusion en kiosque et devient un journal en ligne... à suivre, selon les aléas économiques des temps modernes. Pierre-Yves ne s’avoue pas vaincu pour autant. Quand on est féministe, le ressort tient bon, forcément...
Il se sent autant tenu par l’exigence du travail à accomplir que par l’énergie à déployer : « le féminisme, c’est d’une grande complexité. Sans travailler la question en profondeur, ça ne marche pas. C’est comme une pelote de laine : défaire les liens, remanier les concepts, entraîne des remises en cause salutaires, mais difficiles à gérer au niveau d’une pratique comme à celui d’une entreprise. »
La ligne à tenir pourrait paraître simple a priori « mais la réflexion sur le genre reste un chantier pour moi. Ce que je sais depuis le temps que je travaille la question du féminisme, c’est que l’universalité des droits est la clé de beaucoup de choses ».
Même écho chez ses camarades de Zéro Macho, l’association nationale dont il est l’un des membres fondateurs avec Florence Montreynaud, fer de lance du Front féministe (collectif d’une soixantaine d’associations européennes) et Gérard Biard, journaliste, féministe et rescapé de l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015.
Toute cette mouvance féministe de femmes et d’hommes est engagée clairement contre la prostitution, contre la GPA (Grossesse par Autrui, permettant de « louer » un ventre pour une maternité), contre les intégrismes religieux. Engagée.es évidemment pour l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, qu’elles et ils vivent au Caire, à Madrid ou à Paris.
Lui qui par ailleurs se trouve « d’une banalité affligeante », avoue en riant qu’il lui arrivait de « se faire rosser dans les années 2000 en tant que mec » dans des assemblées féministes.
Sans avoir jamais chercher à forcer le passage dans des réunions non mixtes, il se sent aujourd’hui mieux accepté dans la plupart des rencontres publiques.
Est-ce sa réputation, ou le travail accompli sur lui-même, avec le magazine qu’il a créé ? Parfois, on se laisse à rêver d’un monde où les assemblées féministes accueilleraient sans réticence des personnes, sans que leur genre donne la moindre restriction, ou le moindre avantage à leur parole.