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L'histoire de ceux qui traversent un processus de transition est souvent racontée avec morbidité et voyeurisme, avec moult détails sur les marques laissées par la chirurgie et les changements que les traitements hormonaux génèrent sur un corps en mutation.
Le projet photographique My Girl is a Boy est né avec une intention complètement différente : celle de raconter l'histoire de la métamorphose d'un garçon trans (Female to Male) d'un point de vue principalement psychologique et émotionnel.
Réalisé par Melissa Ianniello, et présenté pour la première fois à Roma Fotografia 2021 Freedom, ce travail restitue à un processus extrêmement complexe une humanité intense et émouvante à travers des prises de vue intimes, poétiques et délicates. L'autrice, « lesbienne militante, androgyne et féministe intersectionnelle », l'a commencé juste après la première injection de testostérone de Davide, le partenaire avec qui elle vivait durant ce moment historique. Assigné femme à la naissance, David a vécu pendant des années dans un corps de femme avant de décider d'entreprendre médicalement le parcours de la transition. « j’ai aussitôt soutenu David dans son choix, mais je serai honnête, je craignais que ce processus nous éloigne, explique Melissa, ce qui s'est vérifié dans les faits, précisément parce que David avait besoin de se concentrer totalement sur lui-même dans un moment de remise en question aussi fort et aussi radical.»
Il y a un aspect profondément ironique dans ce titre qui vise à reconnaître et à restituer son insondable complexité à une réalité extrêmement multiforme. "Mon histoire montre que les étiquettes s'effondrent face au pouvoir de l'amour et à la quête d'identité. Davide, qui est né fille, se perçoit et s’autodétermine comme un homme. Moi, lesbienne, je tombe amoureuse d'un homme, car le monde des émotions échappe aux catégories réductrices que nous essayons de lui appliquer pour le simplifier et le comprendre. »
Melissa et Davide se sont rencontrés dans l'association "Gruppo trans" de Bologne, où elle vit depuis l'université. « Je me suis présentée comme un mélange de drag king, d’être bisexuelle et androgyne, se souvient-elle. Je portais des vêtements d'homme, j'avais une barbe et une moustache faites avec mes cheveux coupés et collées sur mon visage avec du mastic. Je me faisais passer pour un homme en baissant le ton de ma voix, avec mes seins bandés et mon faux sexe bien en évidence pour changer ma posture et mes mouvements. Je me suis présentée comme Ian, le prénom de mon alter ego masculin. Après avoir parlé, nous avons échangé nos numéros et décidé de sortir ensemble, mais j'ai tout de suite précisé que je me présenterais en tant que Mel, puisque Ian n'occupe qu'une petite partie de ma vie. Nous avons commencé à sortir ensemble et, après quelques mois, une histoire d'amour est née, ce qui m'a profondément remise en question en tant que lesbienne parce que, même si ce n'était pas ma première expérience avec un homme, j'ai toujours été sexuellement attirée par les femmes. Or, à l'époque, si son corps était encore un corps de femme, mais j'étais consciente d'être en relation avec un homme : c'était un homme avec des organes génitaux féminins. De plus, ayant grandi avec un "imprinting" social féminin, il se comportait comme un homme avec un cœur de femme. »
De ces photographies émerge un regard profondément introspectif qui caractérise l’approche particulière de cette autrice-photographe, une approche à la fois politique et intime. « Ma chère amie, la conservatrice Chiara Pirro, a un jour utilisé la métaphore du miroir pour parler de mon travail : "Certains photographes prennent des photos par la fenêtre, m'a-t-elle dit, parce qu'ils ont une vue ouverte sur le monde extérieur. Toi, par contre, tu prends tes photos avec un miroir parce que tu as un regard intérieur." Mes projets partent toujours d'une expérience subjective pouvant conduire à un discours universel et universalisant pour inspirer une réflexion utile à la société. »
Après avoir obtenu sa maîtrise de philosophie, Melissa prend ses distances vis-à-vis d’un système académique « imprégné de chauvinisme masculin patriarcal et misogyne » et s'interroge sur les questions d'identité en lisant Teresa De Lauretis, Judith Butler, Luce Irigaray. Ainsi passe-t-elle du féminisme radical au féminisme intersectionnel, jusqu’aux études de genre et études queer plus contemporaines comme par exemple les théories de Flavia Monceri et de Paul B. Preciado (anciennement Beatriz Preciado).
Ses références photographiques sont l'Américaine Nan Goldin, « pour la profonde intimité de ses prises de vue », et Zanele Muholi, l'activiste sud-africaine qui réalise depuis des années des portraits de la communauté LGBT et des lesbiennes dans son pays. « Nous lui devons la jolie trouvaille du terme "artivisme", dans lequel dimension artistique et activisme politique se rejoignent, commente Melissa. Une autre photographe qui m'a beaucoup inspirée est certainement Diane Arbus, mais je voudrais aussi dire quelques mots sur deux références contemporaines pour moi incontournables : les photographes Jen Davis et Chiara Fossati. Leur travail est tout simplement incroyable et mérite d'être connu.»
My Girl is a Boy se déroule entre les quatre murs de l’appartement du couple, en partie à cause des restrictions strictes imposées par le confinement en 2020. Mais ces atmosphères immobiles et suspendues reflètent aussi l'état d'esprit de l'autrice, le désir d'intimité et de recueillement de Davide, photographié au tout début de sa métamorphose. « La transition est avant tout un processus émotionnel, raconte Melissa. Nous avions besoin d'une narration différente, plus connectée au cœur, à l'esprit et aux sensations perceptives qu'il était en train de vivre durant son parcours ».
L'une des premières photos montre Davide sur le lit, les jambes croisées pendant qu’il retire son binder (buste de contention), on dirait qu’il s’étreint : « J'ai toujours été émue par cette photo, parce qu’elle est très intime et aussi très libératrice, comme si elle représentait sa tentative de sortir du cocon, explique-t-elle. Un autre cliché qui me touche vraiment, c’est celui où un rayon de soleil traverse la fenêtre alors qu'il est allongé sur le lit, les yeux fermés, à côté de l'oreiller en forme de lion. Un hommage affectueux et silencieux au courage de changer pour advenir à soi-même dans un mouvement qui exige des moments d'intégration profonde et solitaire.
Leur relation change au fur et à mesure que le processus progresse, jusqu'à la rupture décidée d'un commun accord. « La transition vous invite à vous choisir, à vous aimer. Et parfois pour se choisir, il faut lâcher quelque chose d'autre, même si c'est douloureux. La vie filait devant nous, mais en tant que couple, nous étions restés en arrière", conclut Melissa. J'ai continué à prendre des photos jusqu'au jour où j'ai quitté la maison. Ma dernière photo représente notre lit vide avec ses draps froissés, illustrant ainsi l'absence de quelqu'un qui vient de partir, moi, et le dernier moment de notre vie commune. »