Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)
Écrit par Ghina Al Andari - Militante féministe libanaise et écrivaine
Le génocide qui se déroule à Gaza depuis octobre 2023 nous a beaucoup appris sur l’hypocrisie et l’insolence du monde « développé », et cela a entraîné de nombreuses déceptions dues à la faiblesse des mouvements politiques que l’on ne croyait pas si passifs.
D’un point de vue personnel, j’ai été très déçue par les féministes occidentales, en particulier celles que je croyais radicales mais qui ont ensuite adopté des positions favorables à l’occupation. Je l’ai ressenti d’autant plus vivement que je me considère comme une féministe radicale et que je vois dans le féminisme radical, chez les féministes radicales, des convictions courageuses et des analyses sans ambiguïté de l’oppression des femmes. C’est précisément pour cette raison que j’ai été si déçue lorsque certaines féministes dites radicales ont annoncé leur soutien à une entité occupante, oppressive et autoritaire. Des « féministes » qui étaient précisément censées mieux comprendre les difficultés de la vie sous l’oppression.
Je ne pense pas que ce sentiment de honte provienne de l’ignorance supposée de ces femmes de ce qui se passe à Gaza. Leur ignorance ferait d’elles soit des imbéciles, au regard de la violence insensée et de tout le sang versé qui ont envahi nos écrans, soit des lâches qui sont loin d’être aussi audacieuses qu’elles le prétendent vu leur silence et leur neutralité. Le plus probable, cependant, est qu’il s’agit de racistes qui soutiennent ce néonazisme capable de commettre des atrocités de manière incontrôlée sans avoir à rendre de comptes.
Cet article n’est pas un appel à la pitié, et ce n’est en aucun cas une tentative de plaire ou de convaincre les féministes qui soutiennent l’entité qui nous tue. C’est l’expression d’une colère et d’un ressentiment à l’égard des féministes qui prétendent être radicales, qui prétendent analyser les racines des différents types d’oppression, qui ne cessent de parler de leur solidarité et de leur sororité avec les femmes du monde entier, mais dont les positions actuelles transpirent l’arrogance et la condescendance à notre égard, nous les femmes à la peau plus foncée.
La suprématie blanche… une fois de plus
Après le 7 octobre, les féministes arabes ont critiqué les féministes occidentales de différentes orientations. Mais je dirige ma rage contre les femmes radicales en particulier. Nous sommes les filles de cette terre, mais nous avons été méprisées et sans cesse déçues de toutes parts. Je n’aurais jamais pensé être témoin d’un tel niveau de contradiction et d’hypocrisie de la part de femmes qui se sont présentées comme étant intransigeantes dans leur expression de la vérité, n’ayant pas peur de nommer et de combattre l’oppresseur. Le radicalisme, comme le suggère le terme, exige que l’on remonte à la racine du problème. Ces féministes sont censées comprendre que la racine de toute oppression des femmes est le système patriarcal, que les femmes ne peuvent être libérées dans le cadre de ce système et qu’il est donc nécessaire d’y résister et de le dissoudre. Je ne vois pas comment elles peuvent comprendre cela et avoir encore du mal à comprendre que la racine du problème aujourd’hui réside dans l’existence d’une entité coloniale fondée sur la supériorité raciale et religieuse—et qu’il est donc de notre devoir de lui résister, non seulement pour libérer la terre occupée et son peuple, mais aussi pour desserrer les dernières griffes des anciens régimes coloniaux et les démanteler.
Je suis une femme rationnelle et je comprends que les gens donnent un sens aux choses par le biais de leurs propres systèmes intellectuels, en harmonie avec eux-mêmes. Je comprends que les dirigeants des pays coloniaux aient commis des massacres pour soutenir le colonisateur brutal, parce qu’ils croient en leur supériorité sur les autres peuples, parce qu’ils croient qu’ils ont droit à notre terre. Mais ce que je ne comprends pas, c’est comment certaines féministes radicales peuvent se ranger du côté de l’oppresseur militaire colonial, elles qui appellent à la libération et à la nécessité de résister à l’oppression, elles qui prétendent que le colonialisme militaire et la guerre sont la création des hommes et sont donc des outils qui ne font que renforcer le système patriarcal.
C’est ce qui m’a d’abord déconcerté. J’ai essayé de comprendre jusqu’à ce que je me rende compte que le problème ne réside pas dans leur logique ou leur capacité de compréhension. Si c’était le cas, nous n’aurions pas à accorder le moindre poids à leurs opinions, conférences ou écrits, car celles qui ne peuvent pas comprendre la vérité limpide de ce qui se passe en Palestine n’ont pas les compétences logiques ou l’intelligence nécessaires pour donner des opinions sur un quelconque sujet. Mais ce n’est pas le problème ici, car ces femmes ont prouvé dans leurs écrits leur capacité de réfléchir de manière logique sur d’autres questions. La logique n’est donc pas en cause. Le problème est clair : c’est leur hypocrisie, leurs propos évasifs et, pour le dire simplement, leur haine de nous, nous les peuples et les filles du « Sud global ».
Cette haine a été bien résumée dans un tweet de Julie Bindel, une journaliste britannique dont j’appréciais le travail sur l’exploitation sexuelle des femmes. « Il est temps de prendre position pour défendre la civilisation », a déclaré Bindel dans son tweet, auquel elle a également ajouté le drapeau d’Israël. Je ne pense pas que cette femme était en proie à la moindre confusion quant aux s connotations coloniales de ce qu’elle a écrit, mais je n’imaginais pas qu’elle serait aussi impudente et condescendante. Son tweet révèle qu’à l’instar des généraux des plus anciennes armées coloniales, elle nous considère comme des peuples non civilisés qui doivent inévitablement être colonisés par le colonisateur blanc qui leur apportera la civilisation et les humanisera à son image, comme le Royaume-Uni et l’Europe l’ont fait aux pays d’Afrique et d’Amérique, et à nos propres pays. Le tweet de Bindel indique qu’elle pense que les populations indigènes sont des barbares, des sauvages, lorsqu’elles se défendent, et des terroristes lorsqu’elles sont arabes, voire palestiniennes.
Par conséquent, tout discours émanant de cette femme, et d’autres comme elle, selon lequel les femmes partagent une oppression mutuelle, basée sur leur sexe et des expériences similaires les unissant dans la sororité, semble s’appliquer exclusivement aux femmes blanches, européennes et américaines. Quant à toutes les autres femmes du monde, elles sont automatiquement reléguées dans la catégorie des barbares et des sauvages qu’il faut civiliser.
A l’avenir, nous n’allons certainement pas construire de ponts avec elles, ces femmes qui nous détestent. Et nous allons certainement continuer à l’appeler Palestine, et la Palestine restera pour son peuple, ses filles.
Au milieu de toute cette déception à l’égard des féministes radicales, je n’ai trouvé une légère solidarité avec les femmes palestiniennes que sur deux pages que je suis, et que je dois mentionner : la page Get the L Out, qui a publié une pétition appelant à un cessez-le-feu et des poèmes de Rauda Morcos, une poétesse lesbienne palestinienne, et la page The Wagga Feminist. Wagga est le nom d’une région d'Australie en langue indigène. Cette page a clairement exprimé son soutien à la Palestine sans rien esquiver et a partagé de nombreux messages pro-palestiniens, y compris une comparaison entre l’utilisation de la « haine des hommes » et de « l’antisémitisme » comme moyen de faire taire toute critique contre l’oppresseur. Cela nous montre, une fois de plus, que les féministes issues de la terre des opprimées savent soutenir celles qui se trouvent dans des situations semblables, tandis que les féministes, filles de régimes coloniaux et impérialistes, abandonnent facilement leurs principes pour soutenir les tyrans.
Peut-être que ce qui a fait perdre la tête à ces femmes « racialement supérieures », ce qui a produit des vagues frénétiques de soutien à l’occupant criminel - vagues toutes caractérisées par des termes comme « attaque terroriste » et « événements horribles du 7 octobre » - était l’audace de l’opprimé de se dresser contre l’oppresseur. Mais elles ont oublié la simple analogie féministe qu’elles soulignent depuis longtemps : lorsqu’une femme maltraitée se défend en tuant son agresseur après de nombreuses années d’abus, le monde considère qu’il s’agit d’un acte violent qui fait d’elle une auteure criminelle de violence qui doit être sévèrement punie. En effet, le régime et ceux qui en bénéficient considèrent son acte d’autodéfense comme plus violent que l’abus lui-même. L’audace de la victime à s’opposer à son maître est quelque chose qu’aucun oppresseur ne peut comprendre ou tolérer parce qu’elle rompt l’équilibre qui permet au système d’oppression de perdurer. Quant à l’horreur dont parlent ces femmes, il s’agit de leur horreur face à la possibilité que la résistance puisse conduire à la disparition du colonialisme.
Les allégations de viol comme épouvantail
Ensuite, elles nous ont reproché, à nous qui sommes solidaires avec la Palestine, de ne pas avoir partagé la question du viol des femmes israéliennes, qui a circulé à la suite du 7 octobre. Sachant que nous avons prêté attention à cette question immédiatement après qu’elle ait été rapportée pour la première fois, contrairement à leur aveuglement volontaire face aux témoignages des femmes palestiniennes et des prisonnières qui ont raconté au monde les menaces de viol proférées par les soldats, les fouilles à nu, les agressions directes dont elles ont été l’objet. Sans parler des aveux de viols de femmes et de jeunes filles palestiniennes par les Israéliens eux-mêmes, qui figurent dans un documentaire sur le massacre de Tantura, ainsi que dans d’autres récits documentés.
Sur ce sujet, comme beaucoup d’autres femmes, je m’en tiens à l’adage selon lequel nous croyons les survivantes, indépendamment de leurs origines ou de l’endroit où elles se trouvent. Je ne me place pas dans une position de justification ou de défense d’un groupe d’hommes ou d’un groupe religieux et/ou armé, mais cela ne signifie pas que cela annule mon soutien absolu à leur droit de résister en tant que peuple colonisé et opprimé.
En tant que féministe, je reste consciente de la laideur du colonialisme et de ce que les hommes sont capables de commettre, même s’ils font partie du groupe opprimé. Comment ils sont toujours capables d’infliger des violences sexuelles et des préjudices aux femmes, même si ces dernières font partie du groupe oppresseur. Les femmes, même celles que nous détestons, celles qui nous provoquent, n’appartiennent-elles pas à un groupe opprimé par le système patriarcal mondial en vigueur.
Mais nous n’avons toujours pas entendu de femmes israéliennes dénoncer des incidents d’agression sexuelle. La seule chose qui a été rapportée, ce sont les déclarations préparées à l’avance par l’occupation et par sa machine médiatique. On n’a trouvé aucune preuve à l’appui des allégations de viol. Ce n’est pas un hasard si l’occupation a publié ces déclarations dès le 8 ou le 9 octobre, elle essayait de dissuader la gauche pro-palestinienne de soutenir la cause. L’occupation a continué à répéter la même vieille rengaine coloniale, dans laquelle le tyran fait du viol des femmes un épouvantail, utilisant cet atout pour continuer à promouvoir sa supériorité sur la population colonisée et barbare. C’est ce que les revendications de viol promeuvent. En effet, elles ne sont pas motivées par le souci de protéger les femmes colonisatrices.
La couleur de peau comme barrière à l’empathie
Il est essentiel ici de s’arrêter sur la fausse victimisation, sur le double standard de ces femmes qui nous réprimandent. Alors qu’elles écrivaient des articles, publiaient des déclarations et qu’elles prêchaient leur sermon sur les femmes israéliennes, elles n’ont même pas offert une seule fois leur sympathie publique aux femmes soudanaises, par exemple. Sachant que les femmes soudanaises, malgré toutes les difficultés et les menaces que cela implique, ont elles-mêmes raconté au monde le viol collectif dont elles ont été victimes. Elles ont lancé un appel à l’aide glaçant alors qu’elles essayaient de trouver des contraceptifs sur les réseaux sociaux car elles s’attendaient à être inévitablement violées.
Mais rien de tout cela n’est vraiment surprenant. La capacité d’empathie à l’égard des autres découle de la capacité à s’imaginer à la place de l’autre. Dans le cas des femmes soudanaises, il semble que la couleur de la peau ait fait obstacle à ce processus d’identification chez certaines femmes radicales et racistes. Elles ont sympathisé avec les femmes blanches qui leur ressemblent et ont ignoré les femmes noires et brunes. Ce racisme, basé sur une différence de couleur de peau, est une preuve de plus pour savoir quelles femmes sont réellement les propriétaires de la terre et quelles femmes sont des colonisatrices venues d’Europe.
Notre sort, en tant que peuple de cette partie du monde, est que nous sommes pris entre le marteau et l’enclume : entre le colonialisme et l’impérialisme d’une part, et les dictatures et l’extrémisme religieux d’autre part. Mais n’oublions pas que ce qui permet aux groupes religieux de s’imposer comme la seule résistance au colonialisme, c’est l’hypocrisie et la lâcheté des mouvements de libération occidentaux.
« L’éléphant dans la pièce »
Avant de conclure, nous, féministes, devons affronter « l’éléphant dans la pièce ». Aujourd’hui, c’est un groupe islamique qui résiste réellement au colonialisme, en chair et en os. Qui sait, c’est peut-être cette réalité qui a poussé celles qui nous réprimandent à perdre leur esprit critique, à ne pas comprendre les axiomes du colonialisme. Mais ce n’est pas grave, nous devons comprendre celles qui ne peuvent pas comprendre. Nous, les femmes et les féministes de cette région, avons été les témoins de la plus grande oppression de la part des groupes religieux, qu’ils soient armés ou non, et nous sommes les plus touchées par cette oppression. Parce que nous avons cette connaissance et cette expérience de première main que n’ont d’ailleurs pas les féministes qui nous critiquent, nous ne nous faisons aucune illusion sur le fait que ces groupes religieux ne seront pas dangereux pour les femmes et tous les autres groupes marginalisés, qu’ils ne se retourneront pas contre eux à l’avenir. Le Hezbollah au Liban est le meilleur exemple d’un parti qui s’est autoproclamé notre gardien moral et dont la pratique opprime les femmes dans les régions sous le contrôle du parti—et parfois dans des régions à travers le pays.
Notre sort, en tant que peuple de cette partie du monde, est que nous sommes pris entre le marteau et l’enclume : entre le colonialisme et l’impérialisme d’une part, et les dictatures et l’extrémisme religieux d’autre part. Mais n’oublions pas que ce qui permet aux groupes religieux de s’imposer comme la seule résistance au colonialisme et le seul soutien à la cause palestinienne, c’est l’hypocrisie et la lâcheté des mouvements de libération occidentaux, y compris le féminisme radical. Leur hypocrisie les pousse à ne pas défendre la vérité, à ne pas créer un espace de résistance qui affronte les maux venant de toutes les directions.
Aujourd’hui, toute femme qui se prétend radicale doit réexaminer de près son soutien à une puissance occupante, un système d’apartheid qui s’est promis une terre qu’il a dû parcourir une mer pour y arriver, une entité qui tire sa supériorité raciale de la religion. Ne finit-elle pas par ressembler à un guide spirituel pas si lointain qui cherche à étendre son influence ? Certaines de ces radicales ont-elles oublié que la quasi-totalité des religions sont des outils patriarcaux ? Ou bien l’oppression devient-elle halal lorsqu’elle provient d’une religion autre que l’Islam ?
En conclusion, nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas. Nous n’oublierons pas que certaines femmes ont soutenu une occupation sanglante aux dépens d’un peuple occupé et opprimé. Nous n’oublierons pas non plus, lorsque ces femmes s’exprimeront à l’avenir sur la façon dont les hommes font la guerre, s’emparent des terres et exploitent les femmes, qu’elles ont autrefois soutenu la machine à tuer la plus odieuse de l’histoire. Nous n’oublierons pas, lorsqu’elles analyseront la manière dont les femmes sont opprimées en raison de leur sexe, qu’elles n’ont absolument pas compris que l’occupation anéantit d’abord le sexe féminin, celui qui assure la continuité de la population palestinienne, et ensuite les véritables combattants qu’elle prétend combattre. Nous ne pardonnerons pas leur aveuglement volontaire ni leur complicité.
A l’avenir, nous n’allons certainement pas construire de ponts avec elles, ces femmes qui nous détestent. Et nous allons certainement continuer à appeler la Palestine : « Palestine ». La Palestine qui demeurera pour son peuple et ses filles, et dont le nom ne sera pas changé au gré des caprices d’un tyran occupant.