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C’est dans un langage désormais totalement débridé, que le gouvernement israélien a déclaré que l’armée s’apprêtait à occuper l’enclave palestinienne et envisageait l’expulsion définitive des Gazaoui.e.s de la bande de Gaza. Ainsi mercredi 2 avril, Benyamin Netanyahou déclarait : « Nous morcelons la bande de Gaza et nous augmentons la pression pas à pas, afin qu’ils nous rendent nos otages. L’armée prend des territoires, frappe les terroristes et détruit les infrastructures. »
Propos relayés par ceux d’Israël Katz, le ministre israélien de la défense, dans une vidéo diffusée le 19 mars : « Habitants de Gaza, ceci est votre dernier avertissement. L’attaque de l’armée de l’air contre les terroristes du Hamas n’était que la première étape. La phase suivante sera beaucoup plus dure, et vous en paierez le prix fort. Bientôt, l’évacuation de la population des zones de combat reprendra. (...) Si tous les otages israéliens ne sont pas libérés et si le Hamas n’est pas chassé de Gaza, Israël agira avec une force que vous n’avez pas connue auparavant. »
Comme si la population gazaouie, affamée, assoiffée, exsangue, épuisée par le ballet sadique et exténuant des incessants déplacements auxquels elle est soumise, avait un quelconque pouvoir sur la libération des otages israéliens, ou plus simplement la force d’extirper le Hamas de son territoire. Et tandis que la rhétorique mensongère de la chasse aux terroristes redouble, quand bien même elle ne leurre plus personne, c’est la guerre psychologique sur tout un peuple, face à l’inertie occidentale, qui triomphe.
La guerre encore et encore...
Une école, un camp, un hôpital, des foules en exil bombardés, « c’est parce qu’il s’y cachait des militants du Hamas ». Dix membres du croissant rouge palestinien et six secouristes de la défense civile, répartis dans cinq ambulances et un camion de pompier, exécutés par l’armée israélienne le 23 mars près de Rafah : là, encore, il s’agissait selon l’état-major israélien de militants du Hamas. « C’est une guerre sans limite...un cercle vicieux de sang, de douleur, et de mort. Gaza est devenue un piège mortel », a commenté lors d’une conférence de presse Jonathan Wittall, responsable d’Ocha, le Bureau des affaires humanitaires des Nations-Unies, soulignant que les victimes du convoi humanitaire avaient été assassinées dans leurs tenues de secouristes.
La reconstitution des faits (y compris par le quotidien israélien Haretz !) pointe pourtant une tout autre réalité sur le terrain. En effet, ce sont surtout des femmes et des enfants qui sont massacrés dans leur sommeil, des mort.e.s et des blessé.e.s qui s’ajoutent à d’autres mort.e.s et bléssé.e.s, accentuant l’horreur sans fond d’un génocide en acte : le nombre des victimes depuis le début de la guerre s’élève à 50.423 victimes.
Comme si la population gazaouie, affamée, assoiffée, exsangue, épuisée par le ballet sadique et exténuant des incessants déplacements auxquels elle est soumise, avait un quelconque pouvoir sur la libération des otages israéliens, ou plus simplement la force d’extirper le Hamas de son territoire.
Israël a interrompu le cessez-le-feu de manière unilatérale le 17 mars dernier, lançant une offensive beaucoup plus meurtrière que celle qui a précédé la trêve. Dans la nuit du 17 au 18 mars, 300 personnes sont mortes sous les bombardements. Le 2 avril, le ministère de la santé de Gaza a évalué le nombre des victimes à 1066 morts et à 2597 le nombre de blessé.e.s depuis le 18 mars. Quant au rapport de l’UNICEF du 1er avril, il fait état de 322 enfants tués et de 609 blessé.e.s durant les dix jours qui ont suivi la rupture du cessez-le-feu. Le 2 avril des frappes israéliennes ont dévasté une structure sanitaire de l’UNRWA qui hébergeait 160 familles. Une vingtaine de personnes ont été tuées dont neuf enfants.
L’indifférence de la communauté internationale et les fractures intra-européennes
Face à la cruauté des faits, la communauté internationale semble totalement anesthésiée. L’UE, malgré son poids économique et diplomatique, peine à s’imposer comme médiatrice face au despotisme américain dans la gestion du conflit. De fait, plusieurs résolutions de l’ONU pour un cessez-le-feu immédiat ont été bloquées par le veto américain sans qu’aucune voix européenne ne s’élève à l’unisson pour manifester sa désapprobation.
L’Union européenne, censée prôner le respect du droit international, a réagi de manière hésitante et divisée face à l’offensive israélienne déclenchée après l’attaque meurtrière du Hamas en territoire israélien, le 7 octobre 2023. Depuis, elle apparaît plus que jamais désunie, incapable de mener une politique internationale cohérente.

Des pays pro-israéliens tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie - qui vient d’accueillir Netanyahou pourtant visé par un mandat d’arrêt de la CPI (1) - et la République tchèque ont soutenu Israël sans conditions. A l’inverse, à l’écoute de leurs citoyen.ne.s, plusieurs pays européens tels que l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie ont reconnu l’État palestinien en mai 2024, et se sont élevés publiquement contre les violations du droit humanitaire à Gaza.
Mais là où le bât blesse cruellement nous propulse au sommet de la Commission européenne où sa Présidente, Ursula von der Leyen, a adopté une ligne pro-israélienne dès le début de la guerre, malgré les innombrables crimes de guerre et contre l’humanité (2) commis dans la bande de Gaza par le gouvernement Netanyahou. En effet, elle n’a jamais envisagé contre ce dernier de quelconques mesures dissuasives (sanctions économiques, suspension d’accords bilatéraux, etc.) pour mettre fin au siège et aux bombardements massifs de civil.e.s palestiniens. Une attitude qui n’a pas manqué de susciter des tensions avec Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, favorable à un cessez-le-feu.
Face à la cruauté des faits, la communauté internationale semble totalement anesthésiée. L’UE, malgré son poids économique et diplomatique, peine à s’imposer comme médiatrice face au despotisme américain dans la gestion du conflit.
Plus concrètement, il est reproché à la cheffe de la Commission un manque de fermeté évident, un langage fade et une langue de bois qui soulignent une déconnexion évidente par rapport à la situation que vit sur le terrain la population de Gaza. Privée de toute aide humanitaire depuis plus d’un mois (c’est loin d’être la première fois) : les Gazaoui.e.s sont à bout de souffle. Pourtant l’Europe continue de naviguer entre un soutien, voire un blanc-seing donné à Israël, l’impératif humanitaire dont elle se prévaut -du moins pour l’Ukraine- et la pression de ses opinions publiques.
L’engagement des sociétés civiles méditerranéennes. L’exemple de l’Italie
Face à cette inertie occidentale, les manifestations pro-palestiniennes ont pris de l’ampleur dans plusieurs capitales européennes et arabes, notamment en Méditerranée, pour dénoncer l’inaction, voire la complicité des gouvernements face aux bombardements israéliens dans des zones densément peuplées, et au siège dans l’enclave palestinienne imposant à la population coupures d’eau, d’électricité, de carburant, arrêt des ravitaillements. Il n’y a plus de quoi faire tourner les vingt-cinq boulangeries de Gaza ni même la station de dessalement qui constituent une forme de punition collective, interdite par le droit international.

Ainsi de Rome à Tunis, de Barcelone à Beyrouth, de Paris à Rabat, en passant par le Caire, Alger, Athènes ou Madrid, de grandes manifestations citoyennes ont eu lieu en Méditerranée, souvent relayées par d’autre types d’actions : festivals, expositions, mise en scène de récits de Gazaoui.e.s, grèves de la faim, occupations de campus universitaires... Autant d’initiatives culturelles et militantes pour s’opposer à l’anéantissement d’un peuple dont l’acte de résistance se borne désormais à rester en vie sous une pluie de bombes israéliennes.
En Italie, la société civile a manifesté un engagement significatif en faveur de la cause palestinienne, dès le début de la dévastation de la bande de Gaza. En octobre 2024, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans plusieurs villes italiennes, dont Rome, Turin, Milan, Florence, Bari, Palerme et Cagliari, appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza et au Liban.
En avril 2024, des étudiants de l'Université La Sapienza à Rome ont entamé une grève de la faim en solidarité avec Gaza, dénonçant les actions militaires israéliennes et appelant à une prise de conscience urgente de la situation humanitaire dans la région.
Le monde de la culture s’est aussi exprimé à travers le collectif « Art Not Genocide Alliance (ANGA) a, quant à lui, publié une lettre ouverte signée par plus de 8 500 artistes, opératrices et opérateurs culturels, demandant à la Biennale de Venise d'exclure Israël de l'événement, arguant que toute représentation officielle de l'État israélien soutiendrait sa politique génocidaire.
Du 9 au 13 avril 2025, l’initiative «Napoli è con Gaza, al 100% » (Naples est avec Gaza à 100%) déroulera une série de rendez-vous culturels pour accompagner la campagne de crowdfunding SOS GAZA. Recherches, témoignages et images par et pour la Palestine (Département d’architecture de l’Université Federico), documentaire « No other Land » de Yuval Abraham, Basel Adra et Rachel Szor, en présence de Luisa Morgantini, sur la brutalité de la colonisation en Cisjordanie, exposition dessin, musique, rythmeront ces journées de soutien à la Palestine.
Comme dans de nombreux pays européens, la faille entre le gouvernement italien et les forces vives de la société civile se creuse jour après jour. En février 2024, la RAI a été au centre de mille polémiques parce que le rappeur italo-tunisien Ghali avait osé lancer, en référence à Gaza, le slogan « Stop au génocide » sur la scène du festival de la chanson de Sanremo. Beaucoup plus grave : le gouvernement Meloni vient d’adopter la « Loi sécurité » qui prévoit une criminalisation des manifestations pacifiques. Même les migrants sont visés : ils/elles ne pourront plus se procurer de carte SIM sans titre de séjour. Enfin tous rassemblements festifs, tels que les « rave parties » sont interdits, avec des sanctions pouvant aller jusqu’à six ans de prison pour les organisateurs. Cette loi avait été programmée précisément au lendemain d’une manifestation lycéenne à Florence, en soutien à la Palestine, qui avait dégénéré en matraquage policier d’une rare violence, des actes de répression fermement condamnés par le président de la république italienne Sergio Mattarella : « avec les jeunes, les matraques sont l’expression d’un échec » s’était-il insurgé.
Notes:
En novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d’arrêts à l’encontre du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et de l’ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant.
Les termes “crime de guerre” et “crime contre l’humanité” sont régulièrement évoqués pour dénoncer ce qui se passe à Gaza depuis octobre 2023. Les crimes de guerre sont définis par le droit international (Conventions de Genève) comme des violations graves du droit humanitaire pendant un conflit armé, tels que :
Le bombardement massif de zones civiles densément peuplées, entraînant des milliers de morts, notamment d’enfants.
Le siège total imposé à Gaza (coupure d’eau, d’électricité, de carburant)
L’attaque de structures protégées comme les hôpitaux, les écoles, ou les camps de réfugiés.
Un crime contre l’humanité est un acte délibéré et généralisé, voire systématique, dirigé contre une population civile (meurtre, extermination, persécution, transfert forcé, etc.), tels que :
L’ampleur des attaques, la destruction systématique des infrastructures, et la déshumanisation du discours politique pourraient relever de cette catégorie.
Le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes à Gaza est un élément justifiant cette qualification.