Emna Belhaj Yahia
Le public était là, nombreux et attentif, à l'écoute de ces écrivaines venues de plusieurs pays, métamorphosées pour l'occasion en actrices, les unes jouant le rôle d'autrices accusées qui se défendent, les autres celui d'accusatrices, de procureures, de témoins à charge ou à décharge, de juges et d'expertes dans tel ou tel domaine, de présidente du tribunal... Toutes les scènes s'inscrivaient dans le jeu théâtral, dans le fictif, bien sûr. Mais les rôles étaient si bien joués qu'on se croyait dans la vie réelle traditionnelle, au temps où l'écrit était encore la chasse gardée de l'homme, où les voix autorisées étaient masculines, où la voix et l'imaginaire des femmes n'avaient pu accéder à la production littéraire ou scientifique, où leur univers, leurs idées et leurs émotions, ce qu'elles savaient et ce qu'elles vivaient, tout était quasiment enfoui dans le silence, car cela ne s'écrivait pas, ou si peu.
Dans ce Procès, le discours dépréciateur était arrogant, menaçant, et s'appuyait sur les valeurs d'un long passé patriarcal. Face à lui, l'argumentation déployée par les écrivaines pour défendre l'écriture des femmes qui osent lever le voile, mettre à nu l'organisation sociale et culturelle qui les exclut, tente de les invisibiliser, leur fait subir toutes les formes de violences était puissante, énergique et sans concessions. Cette argumentation marquait surtout une rupture avec la victimisation, lui préférant de loin une parole libre et créatrice, la vision d'un monde différent que les écrits des femmes construisent, que leurs mots inventent et auquel ils réussissent à prêter sens.
Ainsi, ce qui se dessine en filigrane de ce « Procès » et comme en contrepoint, c'est l'image prégnante d'une femme décidée à prendre en main son destin, qui ne peut vivre en harmonie avec l'homme que dans l'égalité.
Et ce qui rehausse cette performance du Parlement des écrivaines francophones, c'est son aspect flamboyant et multicolore, résultat de la grande diversité des approches, des horizons et des sensibilités d'autrices venant des quatre coins du monde, que l'écriture en français rapproche dans leur expérience littéraire, et qui cherchent, chacune à sa façon et à travers ses propres mots, les portes d'entrée possibles dans le vaste monde de la vie et de la liberté.
Les écrivaines qui ont participé au Procès : Marie-Rose Abomo-Maurin (Cameroun) ; José-Marie Alie (Martinique) ; Emna Belhj Yahia (Tunisie) ; Sophie Bessis (Tunisie) ; Catherine Cusset (France) ; Sedef Ecer (Turquie) ; Hella Fekki (Tunisie) ; Frédérique Lantieri (France) ; Viktor Lazlo (Martinique) ; Georgia Makhlouf (Liban) ; Emeline Pierre (Canada/Guadeloupe) ; Faouzia Zouari (Tunisie).