N. Souissi
La vie est pleine de surprises ! Bardées de diplômes, ces femmes n’ont pas hésité à laisser de côté ce qu’elles avaient appris dans leurs formations initiales pour se lancer dans de nouveaux parcours. Avec ou sans l’encouragement de leurs proches, Hana, Imen et Ons n’ont pas hésité à bousculer les stéréotypes du milieu agricole, dominé par le patriarcat, pour se lancer dans des projets de permaculture, une forme d’agriculture non reconnue par l’administration tunisienne.
La permaculture repose, selon l’Association tunisienne de permaculture (ATP), sur « l’observation et l’imitation des écosystèmes naturels, en particulier les forêts, en minimisant l’intervention humaine. Elle privilégie la polyculture et interdit les intrants chimiques. Les semences paysannes constituent un enjeu majeur pour la permaculture, étant dotées de résilience face aux changements climatiques. Toutefois, ces semences sont menacées de disparition. Selon l’ATP, en 2018, environ 10% seulement des agricultrices et agriculteurs tunisien.ne.ss continuent à travailler avec des semences paysannes contre 25% en 2003.
Hana et Chayma recréent la chaîne alimentaire bio, de la graine à l’assiette
Hana Hrizi, ingénieure agronome copropriétaire de la première pépinière consacrée aux semences paysannes à Tabarka (Nord-ouest), la première du genre en Tunisie, ne cache pas ses ambitions : constituer un réseau de semenciers et contribuer à agrandir le marché des produits biologiques dans le pays.
Avant même l’obtention de son diplôme d’ingénieure agronome, Hana savait déjà ce qu’elle ne voulait pas faire. « Je ne me voyais surtout pas travailler pour augmenter le chiffre d’affaires d’une quelconque entreprise », dit-elle. Cette femme, âgée de 32 ans, a pu au bout de quatre ans rentabiliser son projet et se prépare à réaliser des extensions pour toucher de nouvelles variétés de semences dans l’arboriculture.
En évoquant ses débuts, Hana raconte : « Tandis que je faisais du bénévolat dans plusieurs éco-fermes, parallèlement à mes études à l’Institut national d’agronomie de Tunisie, j’ai pris conscience de la difficulté qu’il y avait dans le pays à avoir accès aux semences paysannes et à leur identification. »
Hana décide alors avec sa camarade de classe Chayma Arbi de se lancer dans l’agri-écologie pour rétablir la chaîne alimentaire de la graine à l’assiette. Après l’obtention de leurs diplômes, Hana et sa partenaire intègrent un incubateur de projets innovants, ce qui leur permettra de bénéficier, d’un financement de 24 millions de dinars de la part d’un bailleur de fonds étranger.
Elles entament la réalisation de leur projet en 2021, tout en multipliant les animations d’ateliers pédagogiques sur des sujets relatifs à ce type d’agriculture, tel que le compostage par exemple. Ces laboratoires, destinés aussi bien aux élèves qu’au grand public, leur garantissent des rentrées d’argent régulières.
Dans la ferme de 5000 m2, que Hana a co-louée avec sa partenaire Chayma, pour les dix prochaines années à Bouterfes, une petite localité non loin de Tabarka (Nord-ouest), la jeune femme travaille à la multiplication des semences paysannes destinées à la culture maraîchère des plantes aromatiques et ornementales. C’est dans les quatre serres qu’elles possèdent toutes les deux, que Hana cultive les plants avant de les transférer hors des serres pour continuer leur développement à ciel ouvert. Une partie de la production est réservée à la reproduction des semences alors que l’autre est destinée à la transformation, puis écoulée sur le marché local grâce à une boutique en ligne créée à cet effet.
Les deux femmes proposent des haricots, des fleurs comestibles, du basilic, de la roquette et une vingtaine de variété de tomates, outre les produits transformés tels que les sauces pestos et les concentrés de tomates cerises grâce auxquelles elles se sont faites connaître.
« Notre processus s’est basé dés le début sur la biodynamie et l’expérimentation. Ainsi, nos interventions sont menées en fonction des mouvements de la planète terre et de la lune. Nous testons les variétés à plusieurs reprises avant d’obtenir des résultats, rien ne presse » explique Hana pour qui la permaculture est un choix de vie. D’ailleurs, selon cette dernière, la réussite du projet ne doit pas se mesurer uniquement au montant des recettes empochées. Vaillante et déterminée, la jeune femme passe chaque jour quatre à cinq heurs dans sa ferme à examiner les plants, alors que sa partenaire s’occupe davantage du contact avec les client.e.s et de la commercialisation de la production.
Même l’incendie qui a ravagé des centaines d’hectares de terres agricoles dans la région du nord-ouest tunisien, provoquant de multiples dégâts dans les serres et la destruction des équipements d’irrigation, n’est pas parvenu à entamer son enthousiasme, tout comme est resté intact le regard hautain que porte sur elle son entourage professionnel.
« Ce que nous faisons Chayma et mois dans la ferme n’est pas pris au sérieux par notre voisinage composé essentiellement d’agriculteurs assez âgés qui ne peuvent pas penser leur pratique sans labour plusieurs fois par an ni l’utilisation des engrais chimiques. Pour eux, nous sommes des fillettes qui s’amusent », déplore-t-elle.
Imen : miser sur le bio en cosmétique
En 2013, alors qu’Imen prépare son Master en Informatique, elle se retrouve, à l’âge de 23 ans, divorcée avec un bébé sur les bras. Ainsi doit-elle obtenir son diplôme et trouver en même temps un moyen de substitution. C’est comme ça qu’elle a l’idée de se rabattre sur le terrain familial abandonné dans les environs de Ouardanine, un petit patelin du Sahel tunisien.
Ces terres de 7500m2 ne comptait que 23 oliviers, quelques amandiers et figuiers. Son propriétaire, le père d’Imen, songeait à les revendre sous forme de lots, particulièrement appétissants pour les promoteurs immobiliers vu leur proximité avec le centre-ville. C’était sans compter sur la détermination de cette passionnée qui avait d’autres projets en tête. Imen se prend très vite au jeu de la permaculture, elle met en pratique sur le terrain paternel tout ce qu’elle a appris durant ses multiples formations. Elle ensemence des céréales de variété locale, des plantes aromatiques et des légumes. Cette diversification constitue une technique bien connue de la permaculture pour lutter contre les parasites. Cependant, celle-ci est souvent contestée par les adeptes de l’agriculture conventionnelle.

« Mon père trouvait bizarre que les céréales soient cultivées entre les arbres, il râlait souvent, mais en voyant le résultat, il a bien changé d’avis », affirme Imen non sans satisfaction.
Parallèlement à tous ces efforts, elle obtient son certificat de formation en distillation et se perfectionne en montage de projet, planification, emballage et stérilisation, autant de compétences qui lui permettent de procéder à la transformation de ses produits.
Outre quelques produits alimentaires, Imen propose aussi à ses clients des huiles essentielles, des savons et produits d’hygiène et d’entretien à base de plantes aromatiques. Le bureau qu’occupe son mari dans la maison, lui sert d’atelier. Elle propose également, une gamme de shampoings, des sérums et des huiles hydratantes. Avant, elle livrait ses produits directement à ses clients grâce à un réseau associatif, mais depuis septembre 2024, elle a ouvert un petit commerce dans une autre ville du Sahel, M'saken.
« Avec tes 5 ans d’études après le baccalauréat, ton diplôme en informatique pourquoi ne pas tenter ta chance au Canada ? » me demandent souvent mes amis. Au fil du temps, la réussite du projet les a obligées à changer d’avis. Imen se prépare actuellement avec d’autres porteurs et porteuses de petits projets dans ce domaine à un Hakathon qui devrait lui permettre d’obtenir le label de startup.
Ons Ali : redonner la vie à un ancien village berbère
Contrairement à Imen et Hana, Ons Ali a été dès le début soutenue par sa famille. Dans un petit village à 60 km de Tunis, cette ingénieure en génie biologique (promotion 2020) est en train de monter son projet de village écologique à 10 km de Zaghouan qu’elle a déjà nommé «Tamazight » (femme en langue berbère). Le projet est composé d’une maison d’hôte et d’une ferme écologique. Agée de 28, Ons, qui est passionnée d’agriculture a trouvé dans le lopin de terre de son père délaissé à Zriba supérieur (un petit village berbère à 10 km de Zaghouan) une aubaine pour l’exercice de sa passion.
Après une période d’observation d’une année de la terre, procédure nécessaire dans la permaculture, Ons entame en 2021, la culture notamment des légumes d’été (piments, tomates, aubergines, oignons) destinés à la consommation sur place. Elle possède également, des poules et quelques agneaux, l’élevage étant une partie intégrante de la permaculture. Cependant la succession des années de sécheresse dans le pays, particulièrement en 2023 et 2024, l’oblige à se focaliser davantage sur la partie touristique du projet, tout en continuant à cultiver ses légumes.
Si les femmes tunisiennes représentent entre 60 et 80% de la main d’œuvre dans le secteur agricole, elles n’y sont pas souvent maîtresses de leur destin car la propriété de la terre demeure presque toujours l’apanage des hommes.
En effet, après l’obtention de son diplôme en 2020, Ons avait participé au concours « Machrouek » (ton projet) qui lui a permis d’avoir un don de 30 milliers de dinars sous forme de matériels, notamment du matériel de construction pour le lancement de projet. Elle contracte également, un crédit de 150 milliers de dinars (environ 44,7 millions d’euros) auprès d’une banque publique spécialisée dans les petits crédits. Elle se lance alors dans la construction de deux cabanes en pierre et en bois. Outre ces deux cabanes 100% écologiques en cours de finition et dont la capacité d’hébergement est de dix personnes, Ons compte proposer à ses visiteurs une aire de camping et des randonnées dans les montagnes environnantes où, ils/elles peuvent découvrir des vestiges roumains et profiter de la nature.
Forte du soutien de sa famille, Ons doit cependant continuer son combat contre le manque d’eau qui s’est fait particulièrement sentir ces dernières années dans le pays. La Tunisie fait partie des 33 pays du monde les plus sévèrement touchés par le stress hydrique. « Je réfléchie toujours aux produits les moins avides en eau et les plus résistants à la chaleur », dit-elle. Deux défis vis-à-vis desquels la permaculture apporte des réponses, sauf que lorsque ce type d’agriculture est entrepris par les femmes, les difficultés surgissent, et non des moindres, qui ramènent toutes au foncier.
Si les femmes tunisiennes représentent entre 60 et 80% de la main d’œuvre dans le secteur agricole, elles n’y sont pas souvent maîtresses de leur destin car la propriété de la terre demeure presque toujours l’apanage des hommes. Et lorsque la famille s’oppose à ce mode d’agriculture, la femme est alors contrainte de renoncer à son projet.