Medfeminiswiya a été invité au cours de ce printemps 2025 à prendre part à deux manifestations importantes réunissant des journalistes du nord et du sud de la Méditerranée, les Assises méditerranéennes du journalisme à Marseille et la Conférence de Tunis : « Des journalistes contre les violences faites aux femmes ».
Sujet transversal pour Medfeminiswiya et sa ligne éditoriale féministe, couvert à longueur d’années par nos différentes correspondantes à travers les deux rives de la Méditerannée, la violence est malheureusement un phénomène qui unit les femmes des deux bords de Mare nostrum. Articles d’actualité, interviews enquêtes, reportages, opinions, témoignages…les violences de genre sont abordées sous différentes formes journalistiques dans Medfeminiswiya. Une matière qui s’appuie sur deux piliers : la déontologie journalistique et l’engagement féministe. Voilà ce qui fait l’identité de ce site lancé il y a cinq ans et regroupant une cinquantaine de professionnelles des médias.
Au sein de la conférence de Tunis, qui a vu la participation de plusieurs expert.e.s du Conseil de l’Europe et de chercheuses dans les sciences de communication, deux panels ont été animés par Medfeminiswiya. Le premier, modéré par la co-présidente du site, Samia Allalou, a focalisé sur l’impact des violences cybernétiques sur les femmes. Le second, modéré par Olfa Belhassine, rédactrice en chef et autrice de ces lignes s’intitulait : « Résister : les mots justes et les outils pour combattre les violences contre les femmes ».

Les violences en ligne pour (re)confiner les femmes dans le silence
Fatima Bassam est libanaise. Elle a couvert pour une télévision locale et pour Medfeminiswiya la guerre israélienne au Liban, qui a été déclenchée le 30 septembre 2024. Sur le terrain, au sud du pays comme dans la capitale, les forces armées libanaises l’ont interrogée avec insistance : « Pourquoi donc votre média a-t-il envoyé une femme et pas un homme pour transmettre les nouvelles du front ? ». Plus dure encore a été la campagne de dénigrement qu’elle a subie sur les réseaux sociaux après la publication de ses photos de reporterre. « Des insultes, des menaces de mort et de viol ont représenté mon pain quotidien pendant de longs mois. Cette violence cybernétique, qui veut m’empêcher de mener jusqu’au bout ma mission de journaliste a été une rude épreuve pour moi. Elle n’était pas moins traumatisante que des violences directes », a témoigné Fatima Bassam au cours de ce panel. Pascale Sawma, également journaliste libanaise a poursuivi cette réflexion sur les violences en ligne que subissent toutes celles qui sont dotées d’une notoriété et d’une visibilité dans l’espace public. Taxées sur les réseaux sociaux, avec l’impunité que permet l’anonymat, d’« hystériques », de « ratées », d’ « hommes manqués »… elles font face à un tribunal permanent. « Et lorsqu’elles émettent un avis, ripostant, se défendant, on oppose à leurs arguments des injures ! », s’insurge Pascale Sawma, qui a publié un article sur ce sujet.
Sujet transversal pour Medfeminiswiya et sa ligne éditoriale féministe, couvert à longueur d’années par nos différentes correspondantes à travers les deux rives de la Méditerranée, la violence est malheureusement un phénomène qui unit les femmes des deux bords de Mare nostrum.
Chantages, campagnes de haine et vidéos
Le contexte marocain n’est pas moins hostile n’est pas moins hostile pour les « femmes puissantes ». Ainsi Salma Chatt, notre correspondante à Rabat, racontera comment l'affaire Hajar Raissouni, journaliste marocaine indépendante, a suscité une vive controverse au Maroc. En 2019, la journaliste a été arrêtée et condamnée pour des accusations liées à une relation hors mariage. De nombreux internautes ont alors lancé une campagne de haine à son encontre, exprimant leur mécontentement et leur jugement moral. « Cette affaire a mis en lumière les tensions entre la liberté de la presse, les droits individuels et les valeurs conservatrices dans le pays. La campagne en ligne a aussi été marquée par des appels à la justice et au respect des droits humains », a noté Salma Chatt.
Mabrouka Kedhir, journaliste tunisienne, a réalisé une enquête intitulée : « Les rescapées des violences en ligne », article qui a reçu le Prix Lina Ben Mhenni de la Délégation de l’Union Européenne pour l’année 2022. Se basant sur les données de son investigation, Mabrouka Kedhir a raconté le 2 mai, la descente en enfer de 32 femmes vivant dans une petite ville du sud de la Tunisie, qui se sont trouvées piégées par un maitre-chanteur du Net basé en Europe : leurs photos désormais intimes publiées sur des sites pornographiques et leur réputation bafouée. « En Tunisie, et selon une enquête du Centre de recherche, d’étude et d’information sur la femme, le Credif, 89 % des femmes tunisiennes ont été victimes de violences cybernétiques au moins une fois dans leur vie », fait remarquer Mabrouka khedir.

Le vocabulaire structure les représentations
Comment écrire sur les violences de genre ? Quels mots utiliser pour nommer ces réalités ? Comment protéger les victimes ? La bascule Me too s’est-elle reflétée dans les rédactions révolutionnant les pratiques et le langage ? Ce sont là quelques questions qu’abordera la session, « Résister : les mots justes et les outils pour combattre les violences contre les femmes ». Ce panel a offert l’opportunité à l’équipe de Medfeminiswiya pour raconter comment se fabriquent nos contenus. En fait, nous mettons les récits des victimes au cœur des contenus, nous protégeons leur anonymat et leur dignité. Nous cherchons également à nommer la réalité des faits et surtout à utiliser les mots justes. « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde », disait Camus. Car le vocabulaire structure les représentations et nourrit les pensées.
Nathalie Galesne, journaliste et responsable de l’édition française de Medfeminiswiya, a assisté en février dernier à Paris à une journée consacrée aux liens entre droits des femmes, médias et démocratie. Elle en a tiré un article : Femmes et médias : « Nos droits ne sont jamais acquis » . Et si comme le relève Nathalie Galesne, la déferlante Me too a eu un certain impact sur les médias puisque de nouveaux outils y sont adoptés quotidiennement tels que des chartes d’écriture anti-sexistes pour traiter les questions de parité ou les violences sexuelles, des résistances s’expriment quant à l’usage des mots justes. Citant les journalistes Johanna Luyssen et Souâd Benhaddad, Nathalie Galesne écrit : « Il faut désormais appeler un chat un chat, préférer le terme « agression sexuelle » aux mots « abus » ou « attouchements sexuels », beaucoup trop vagues, y compris juridiquement ; ne plus taire le mot « féminicide », qui n’est toujours pas inscrit dans le droit pénal français ».
Comment écrire sur les violences de genre ? Quels mots utiliser pour nommer ces réalités ? Comment protéger les victimes ? La bascule Me too s’est-elle reflétée dans les rédactions révolutionnant les pratiques et le langage ?
Le podcast, porteur et moteur des révolution féministes
Se basant sur les données tirées de son article, « Italie : Outils et stratégies pour les femmes victimes de violence », Federica Araco, notre correspondante depuis Rome, a focalisé dans son intervention sur les nombreuses applications permettant de prévenir ou de signaler des situations dangereuses pour les femmes. Ainsi que les parcours thérapeutiques efficaces donnant la possibilité aux survivantes de sortir d'une relation abusive et de traiter le traumatisme qu'elles ont subi.
« Le projet d'introduction d'une heure hebdomadaire d'éducation à l'affectivité dans les écoles, annoncé par le ministre de l'éducation et du mérite Giuseppe Valditara en novembre 2023, est encore loin d’être réalisé. Pourtant, pour lutter contre la violence sexiste, il est essentiel de repenser radicalement nos paradigmes culturels, sociaux et linguistiques », proteste Federica Araco.
Les mots de la fin sont revenus à Louise Aurat, journaliste française, elle y a décrypté tout ce que le podcast féministe, un format des plus innovants, peut ramener aux femmes. Passant par la voix, vecteur de sensations fortes, utilisant le « je », fouillant les propos et partageant des expériences de vie, le podcast produit par des productrices de contenu engagées pour les droits des femmes permet aux auditrices de lutter contre les violences, de croiser des parcours similaires aux leurs et par conséquent de se sentir moins seules face aux discriminations de genre.
« Les podcasts donnent la parole aux femmes et mettent en lumière leurs combats. Ils décortiquent les rouages du patriarcat, en sondant l'intime ou en donnant des pistes de réflexion pour changer notre monde », analyse Louise Aurat, dont l’intervention a été entrecoupée de séquences sonores où l’auditoire a pu écouter l’énergie, l’émotion et le ton aucunement donneur de leçons de six podcasteuses du sud et du nord de la Méditerranée.