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Durant le mois de ramadhan, je porte un regard à la fois de journaliste et de militante féministe sur les programmes télévisuels. Ma déception et ma colère grandissent à chacune des séries et émission qui reproduisent une image stéréotypée à l’encontre des femmes et banalisent la violence à leur égard.
Les scènes de violence contre les femmes sont encore une fois au rendez-vous : les femmes sont frappées et insultées, ce qui encourage les téléspectateurs à partager ces extraits controversés sur les réseaux sociaux, sous le titre de « La gifle légendaire » comme cela s’est passé pour la série « El barrani » [L’étranger], écrite et réalisée par Yahia Mazahem.
On a vu aussi cette année la série « Doumou el ouliyya » dont le titre est lui-même une image stéréotypée : le mot « ouliyya » [aimée de Dieu] dans le dialecte algérien comporte une connotation négative du fait qu’il désigne une femme dépréciée et faible.
D’autre part, la caméra cachée a ciblé des femmes dans l’espace public avec des attitudes humiliantes et un vocabulaire discriminant : « Tais-toi, ta place est à la cuisine », « Si tu n’étais pas une femme, je t’aurais frappée » et « Tu devrais porter le hijab ».
La focalisation sur la violence physique
Interrogée par Medfeminiswiya, la réalisatrice et activiste féministe Ludmila Akkache a souligné la responsabilité des médias dans tout ce que consomme le public en termes d’images ainsi que l’absence de déontologie concernant les séries où les femmes sont représentées.
Elle précise : « la reproduction de la violence contre les femmes dans ces feuilletons devient un facteur d’humiliation et d’atteinte à leur dignité surtout quand elle s’accompagne d’une absence d’égalité de genre. Les femmes apparaissent toujours comme des victimes de la violence et du mépris tandis que l’homme occupe les rôles les plus imposants. Loin de comparer entre les formes de violence ou de définir laquelle est la plus dangereuse, je remarque que les réalisateurs donnent plus d’importance à la violence physique, négligeant la violence psychologique et économique qui s’exercent aussi largement. La focalisation sur la violence physique dans les séries n’a pas pour seul objectif la prise de conscience et la dénonciation. Elle peut être considérée comme une manière d’humilier les femmes. »
En conclusion, la réalisatrice affirme qu’on ne doit jamais accuser les actrices et qu’elles ne peuvent pas être tenues pour responsables d’accepter ce genre de rôles : « Le changement n’est pas une affaire individuelle, c’est un effort collectif. D’autant plus que les hommes monopolisent le secteur de la production télévisuelle en Algérie et que les actrices se retrouvant le plus souvent marginalisées et isolées pour avoir décidé de résister ».
Le pourquoi de cette image stéréotypée des femmes
Dans une entrevue avec Medfeminiswiya, la réalisatrice et militante féministe Leila Saadna déclare que la plupart des séries ramadanesques sont diffusées sur des chaînes de télé qui se distinguent par une ligne éditoriale conservatrice et qu’il n’y a pas en Algérie de canaux qui proposent un contenu progressiste. Elle constate : « tant que ces feuilletons ne montrent pas de femmes fortes capables d’affronter les attaques violentes, cela signifie que soit les réalisateurs désirent ancrer l’idée que la violence contre les femmes est un fait anodin et habituel reflétant une réalité sociale, soit ils veulent rester dans le cadre du cliché de la femme victime. Ainsi fonctionnent les reportages médiatiques où l’homme arbore une attitude dominante, au premier plan tandis que la femme apparaît pleurant dans un coin, sans qu’on n’ait jamais l’image d’une femme qui se défende ».
La réalisatrice aborde également l’aspect du financement, qui joue un rôle dans la représentation de la violence faite aux femmes.
Ainsi malgré l’existence d’une volonté de traiter des sujets qui constituent des tabous, la réalité impose une forte régulation. Car même si les réalisateurs voulaient proposer une production engagée, comportant une représentation des femmes hors des images stéréotypées, ils n’obtiendraient pas le financement nécessaire.
La réalisatrice évoque un autre problème en lien avec le partage du pouvoir de décision entre les genres : « le plus souvent, ce sont des hommes qui produisent ces séries, qui sont aux commandes dans le processus de production et pour la prise de décisions, tandis que les femmes occupent des postes secondaires comme le maquillage, le décor, voire le script. Elles n’ont pas de fonction principale comme celle de la réalisation, ni de postes qui leur permettraient d’appliquer une vision féministe ».
Refus de jouer des scènes de violence
D’autre part, le groupe « Non aux féminicides-Algérie » a également condamné avec force le contenu des séries ramadanesques considérant qu’il minimise la dangerosité de la violence et renforce les images stéréotypées et fausses du rôle des femmes dans la société.
Le groupe a publié une vidéo montrant quelques extraits d’images télévisuelles indiquant que cette représentation contribue à répandre l’idée que les femmes sont faibles et vulnérables et méritent la violence, ce qui participe à renforcer la violence contre elles, particulièrement chez les enfants et les mineurs.
Malgré le contenu négatif de certaines séries ramadanesques, les signes d’une certaine conscience apparaissent comme par exemple quand la comédienne Feriel Nesrine Bourezak déclare son refus de tourner un plan où elle reçoit une gifle, affirmant que cette scène n’a aucune justification dramatique.
D’autre part, la créatrice de contenu et comédienne Mounia Benfeghoul a lancé un programme ramadanesque sur la chaîne « El hayat » où elle diffuse un discours de lutte contre les images stéréotypées qui touchent les femmes.
Je me souviens très bien aussi que le journaliste et réalisateur Redha Menassel a pris contact avec des militantes féministes au cours du mois de ramadhan de l’an passé pour que nous lui exposions notre point de vue féministe sur son film « DZ AILS » avant sa projection publique. Ce qui est considéré comme un acquis et signifie que la voix des féministes est devenue audible et impactante. La seule alternative consiste à poursuivre la lutte, la vigilance et la contestation pour élargir notre cercle d’influence.
Mais une question demeure : Quand les réalisateurs vont-ils comprendre que les scènes incarnant des femmes dans un coin, pleurant et souffrant après avoir été exposées à la violence et à la menace de meurtre de la part d’un de leur proche ou de leur époux représentent une atteinte criante aux droits des femmes ?