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L’exposition “Roma pittrice, artiste al lavoro tra XVI e XIX secolo” (« Rome peintre, les artistes femmes au travail du XVIe au XIXe siècle ») s’est tenue au Palais Braschi d’octobre à mai 2025. Elle présentait 130 œuvres de 56 femmes peintres, sculptrices et architectes, italiennes et étrangères, ayant vécu et travaillé dans la Ville éternelle entre le XVIe et le XIXe siècle.
Totalement absentes des documents officiels et tenues à l’écart des grands ateliers romains, alors réservés aux hommes, ces femmes talentueuses et déterminées ont réalisé des œuvres de grande valeur, qui étaient restées dans l’ombre jusqu’à présent.
Des discriminations de genre anciennes
« Être une artiste dans la Rome du XVIe siècle n’était pas chose aisée : il fallait à minima être la sœur, la mère, l’épouse ou la belle-sœur d’un peintre, parce que les ateliers des hommes n’étaient généralement pas ouverts aux femmes, et surtout parce que les artistes femmes ne pouvaient pas étudier le nu », explique Raffaella Morselli, commissaire de l’exposition. Mis à part quelques heureuses exceptions, comme la peintre Lavinia Fontana, originaire de Bologne, et la très célèbre Artemisia Gentileschi, considérée comme féministe avant l’heure pour ses tableaux dénonçant la violence masculine – violence qu’elle avait elle-même subie – l’exposition met en effet en lumière des créatrices pour la plupart inconnues du grand public.
Armées de pinceaux, de palettes, de couleurs et de chevalets, Amalia de Angelis, Ida Botti, Giustiniana Guidotti et Emma Gaggiotti – pour n’en citer que quelques-unes – se dévoilent pour la première fois dans de puissants portraits et autoportraits, réalisés dans leurs ateliers romains ou dans les couvents. Là, à l’écart du monde, elles pouvaient se consacrer à l’art. D’après les sources retrouvées dans les archives, les notes personnelles transcrites dans leurs journaux intimes et d’après des correspondances privées, il est apparu que beaucoup de ces artistes se connaissaient et collaboraient entre elles : Artemisia Gentileschi, par exemple, a voyagé avec Giovanna Garzoni et a été portraiturée par Maddalena Corvini. Les recherches ont également mis au jour des informations inédites de premier plan, comme le lien de parenté étroit qui unissait la peintre Anna Stanchi à la famille du même nom : les célèbres peintres de natures mortes de la via Paolina. Bien que ses frères soient fréquemment mentionnés dans les inventaires, son nom n’apparaît jamais, alors qu’elle était la cadette de la famille et qu’elle possédait un talent extraordinaire, comme en témoignent ses magnifiques toiles ornées de guirlandes de fleurs.
Un autre exemple emblématique de la discrimination subie par les artistes femmes est celui d’Emma Gaggiotti, comme le raconte Ilaria Miarelli Mariani, directrice des Musées civiques de la Surintendance capitoline et commissaire de l’exposition aux côtés de Morselli : « Prenons une œuvre qui provient du musée de Rome et que nous avons choisie comme image pour l’affiche de l’exposition. C’est l’exemple typique de la façon dont une peintre comme elle, extrêmement importante à son époque, engagée dans les mouvements du Risorgimento, active à la cour de la Reine Victoria, à celle de l’Empereur Guillaume I, à celle de Napoléon III et à la tête d’un atelier particulièrement dynamique à Rome, est aujourd’hui complètement oubliée ».
« Être une artiste dans la Rome du XVIe siècle n’était pas chose aisée : il fallait à minima être la sœur, la mère, l’épouse ou la belle-sœur d’un peintre »

Les portraits et natures mortes plus nombreux
Au fil du temps, on assiste à un processus d’affiliation des artistes les plus reconnues aux grandes Académies, comme celle de San Luca, qui ouvre ses portes aux femmes dès 1607, bien que certaines restrictions subsistent par rapport aux élèves hommes. Mais, surtout, on accorde progressivement à ces peintres femmes la possibilité de s’affranchir des genres picturaux traditionnellement considérés comme féminins, tels que le portrait, pour s’adresser à une clientèle plus large et plus diversifiée.
Comme elles ne pouvaient pas accéder aux études d’après nature, les artistes femmes avaient pour habitude, en effet, de se représenter elles-mêmes ou de peindre leurs proches et des natures mortes, cultivant un intérêt scientifique marqué pour le monde végétal et animal. Outre Stanchi, on peut citer en exemple Giovanna Garzoni et Laura Bernasconi, dite « des Fleurs » en raison de sa prédilection pour la botanique et de sa formation auprès du peintre célèbre Mario Nuzzi « des Fleurs ». D’autres s’essaient plutôt à l’architecture, comme la polyvalente Plautilla Bricci, d’autres encore à la gravure. Au XVIIIe siècle, avec l’augmentation du nombre de voyageurs du Grand Tour en Italie, destiné à parfaire l’éducation aristocratique de l’élite européenne, les commandes de miniatures des chefs-d’œuvre antiques et modernes, plus faciles à transporter pour ceux qui sont en voyage, se multiplient : celles de Maria Felice Tibaldi comptaient parmi les plus demandées. Le paysage était également un genre très apprécié : les eaux fortes à sujets bucoliques (une technique de gravure chimique) de Laura Piranesi, très prisées par les acheteurs anglais, ont cependant été presque totalement ignorées par la critique.

À partir du XIXe siècle, les femmes sont officiellement admises aux cours des académies des Beaux-Arts instituées par le gouvernement napoléonien et certaines d’entre elles ont même accès aux expositions internationales organisées au Capitole à Rome. Lors de l’exposition de 1809, on compte 6 artistes femmes sur 64 participants ; elles sont 8 sur 59 lors de celle de 1810. Enfin, les premiers ateliers féminins voient le jour dans certaines des rues les plus emblématiques du milieu artistique romain, comme la pittoresque via Margutta, célèbre aujourd’hui encore pour ses nombreux ateliers et galeries.
Bien que l’exposition rende clairement hommage à la créativité féminine en lui restituant pleinement la reconnaissance qui lui a trop longtemps été refusée, il est intéressant de remarquer que les tableaux choisis en ouverture et en fermeture du parcours de visite, le « Portrait d’un artiste » (« Ritratto di un’artista ») de Pietro Paolini et les « Dernières gorgées d’automne » (« Ultimi sorsi d’autunno »), de Raffaele Faccioli, ont été peints par des hommes.
Une décision irréprochable du point de vue esthétique, si l’on considère la grande qualité de ces œuvres, mais qui semble presque suggérer que, lorsqu’on parle de femmes, c’est toujours à eux que revient le premier et le dernier mot.