Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)
Écrit par Oumaïma Elazami Elhassani
Le Maroc a tout fait pour le sauver, les Autorités chérifiennes et ses habitants n’étaient pas les seuls puisque le monde entier a suivi l’événement de près. Les internautes - musulmans, chrétiens, juifs... athées - priant à leur façon pour que le jeune enfant puisse sortir sain et sauf de sa mésaventure. En vain.
L’histoire de Rayan commence le 1er février 2022, lorsque, âgé de tout juste 5 ans, le garçonnet chute par mégarde dans un puits abandonné de 32 mètres de profondeur et d’un diamètre d’à peine 45 centimètres, un boyau étriqué et inaccessible. Plusieurs équipes techniques sont dépêchées des quatre coins du pays et assistées par la population locale pendant cinq jours pour le sauver. Vu la nature du sol propice aux éboulements, les sauveteurs sont dans l’incapacité d’élargir le diamètre du puits, essayant malgré tout de creuser prudemment tout autour. Malgré tous ces efforts, le petit Rayan rendra l’âme à la sortie du puits. Malheureusement, cette tragédie ne va pas s’arrêter là, puisque deux autres enfants ont récemment trouvé la mort, l’un de cinq ans en essayant d’imiter Rayan est lui aussi tombé dans un puits, l’autre jouant près d’un puits y a échoué par inadvertance.
Si ces drames ont révélé une réalité affligeante, quelle leçon pouvons-nous en tirer ? Tout d’abord, en pointant la fragilité de toute existence, ces tragédies ont surtout fait apparaître au grand jour la dureté des conditions de vie dans le monde rural. Les habitants de la région d’« Ighrane » située dans la province de Chefchaouen, au nord du Maroc, rencontrent quotidiennement des difficultés pour accéder à l’eau potable, à l’éducation, à la santé, à la sécurité, à tous les biens et droits fondamentaux dont les citadins ignorent l’importance vu qu’ils peuvent en jouir à tout moment. Mais qu’en est-il des familles pauvres des zones rurales réduit à la précarité et à l’indigence ? Rayan aurait-il rencontré la mort s’il y avait eu des garderies ou des espaces de jeux sécurisés près de chez lui ?

Qui est responsable, voire coupable ?
Plusieurs parties peuvent dès à présent être mises en cause. Mais commençons par le commencement. En premier lieu, les représentants des collectivités locales qui étaient censés veiller à la sécurité de leurs administré.e.s en leur assurant des conditions de vie dignes. Ce sont eux qui ne se sont pas occupés des puits abandonnés, lesquels puits auraient dû être recensés et comblés afin d’éviter ce genre de catastrophe. Comme dit le dicton : « mieux vaut prévenir que guérir ».
En revanche, certains élus ont fait fi de leurs responsabilités, ne cherchant qu’à s’enrichir, acquérant des voitures de luxe et s’offrant des voyages avec leurs familles sur le budget alloué aux infrastructures. Ainsi en 2020, ont éclaté cinq scandales de corruption, à caractère pénal, concernant les localités de Boukarkouh, Fquih Ben Saleh, Harhoura, Guelmim et Mrirt.
En second lieu, l’État qui aurait dû normalement exercer un contrôle sur les collectivités locales auquel il délègue des missions, s’assurant de la bonne exécution de ces dernières. A l’inverse, en confiant aux collectivités des travaux qui ne sont jamais surveillés, les résultats sur le terrain sont souvent fragiles, d’autant que les collectivités ont intégré l’absence de tout suivi et d’intervention de la part de l’Etat.
La maman de Rayan, en tant que femme rurale, n’est autre qu’une victime de l’analphabétisme et de l’exploitation.
Le contexte de Rayan ne fait pas exception : l’État a attendu la survenue de ce drame pour agir. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait en amont, en adoptant une loi qui régisse les puits non comblés ? Réagir à ces tristes événements est certainement bénéfique et épargnera d’autres tragédies, mais à quoi cela sert-il d’aider financièrement cette famille et de se soucier de ses conditions de vie après la perte de son enfant ?
Ensuite, le voisinage qui au Maroc, aussi bien dans les quartiers populaires que dans les milieux ruraux défavorisés, est un principe de cohabitation. De fait, les voisins sont considérés comme des parents, qui sont toujours là pour apprendre aux enfants du quartier les valeurs que partagent la communauté. Dans ce cas précis, on ne saurait leur reprocher leur absence, puisqu’ils étaient tous occupés à assurer leur subsistance dans les conditions « lamentables » que nous venons de décrire.
Enfin les parents de Rayan dont la part de responsabilité, s’ils en ont une, est moindre. Comme leurs voisins, ils étaient occupés à subvenir à leurs besoins, ce qui ne leur laisse pas assez de temps pour surveiller, ou jouer, avec leurs enfants. A cela s’ajoute les problèmes liés au statut de la femme dans le milieu rural qui demeure déplorable. En effet, les activités qu’elle accomplit dans les champs ou au foyer ne font guère l’objet de reconnaissance, encore moins de rémunération, comme s’il s’agissait d’un dû, d’un travail sans gratification d’aucune sorte et sans visibilité.
La maman de Rayan, en tant que femme rurale, n’est autre qu’une victime de l’analphabétisme et de l’exploitation. Ainsi, en l’absence de programme d’insertion dans la vie active, elle s’est retrouvée comme beaucoup d’autres tiraillée entre les besognes des champs et les tâches du ménage, sans avoir de revenu stable. Comment peut-on blâmer ou responsabiliser cette mère qui ne trouve même pas le temps de se sentir « vivante » ?
Et maintenant...
Le drame de Rayan a fait couler beaucoup d’encre, de même que les efforts déployés par les autorités marocaines pour le secourir. « Le Maroc a bougé des montagnes pour sauver son enfant » ont souligné plusieurs journaux internationaux, tandis que les instances internationales, telles que l’ONU, présentaient leurs condoléances à la famille du petit Rayan, saluant au passage les efforts remarquables des secouristes. Le porte-parole de la diplomatie américaine s’est dit, pour sa part, impressionné par le dévouement de l’équipe de secours et la solidarité du peuple marocain, qualifiant d’héroïque l’opération de sauvetage. Quant au Pape François a apprécié la solidarité du peuple marocain, l’amour et l’unité dont il a fait preuve pour sauver le petit ange.

Après cet événement tragique, l’État marocain a mis en place un projet de recensement des puits abandonnés vu la menace qu’ils représentent pour la sécurité publique. Par conséquent, les propriétaires de ces puits devront prendre les mesures nécessaires pour parer aux dangers qu’ils représentent, dans le cas contraire, ils risquent des poursuites judiciaires. De son côté, l’agence des bassins hydrauliques veillera à sécuriser ces puits abandonnés aux frais du contrevenant, comme l’a indiqué Abdelaziz Zerouali, Responsable du ministère de l’Équipement, dans une interview qu’il a accordée à la MAP, précisant que le forage des puits et la prospection sont régis par la loi sur l’eau 15/35 et le décret N°2.07.96. Un texte réglementaire est également en cours de préparation pour renforcer le dispositif juridique existant.
Si les lois et les mesures établies à l’aval de cette catastrophe ne rendront pas la vie à Rayan, elles pourront à l’avenir prévenir des drames, sans assurer pour autant des conditions de vie décentes aux enfants des zones rurales. En attendant, le drame de Rayan doit être un point de non-retour vis-à-vis de la négligence et de l’irresponsabilité qui frappe les zones rurales et les classes défavorisées. « Rayan est désormais la nouvelle icône de l’enfance au Maroc » a souligné l’UNICEF, que peut-on donc souhaiter sinon que justice lui soit rendue.