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Vous avez été invitée en France pour donner une série de conférences qui ont donné lieu à un véritable acharnement des forces policières contre vous, pourquoi ?
J’avais 17 conférences prévues sur la condition de vie des Palestiniens sous colonisation, ainsi que la condition des femmes Palestiniennes. Je devais également assister à la projection du film Yallah Gaza auquel j’ai participé. Au fil des jours, les évènements prévus étaient interdits, nous devions à chaque fois changer de salle pour pouvoir tenir ces rencontres. Le 14 octobre à Marseille, j’ai été arrêtée par la police, mon arrestation était orchestrée par le ministre de l’intérieur. J’ai également été assignée à résidence. On me reprochait mon affiliation au FPLP, on me reprochait donc de résister à l’occupation coloniale, alors que j’étais en France uniquement pour informer les auditeurs de la réalité de ce qui se passe en Palestine, et cette vérité leur a fait peur.
Vous avez fait un recours par la suite et l’arrêté d’expulsion a été suspendu. Le ministre de l’intérieur a pourtant fait appel. Comment ça s’est déroulé au tribunal ?
Au Tribunal, ils sont allés jusqu’à fouiller facebook et en sortir des photos. Vous vous rendez compte ! Ils ont aussi mis en avant que le FPLP est une organisation terroriste, alors que le FPLP une organisation de libération. Nous sommes sous occupation et avons le droit de nous défendre. Depuis le 7 octobre j’ai perdu 64 membres de ma famille ainsi que de nombreux proches et amis. Et on attend que je ne parle pas de ça ? J’ai été traitée comme si j’étais en terre coloniale.
Je savais que cette affaire n’était pas à mon avantage. Le 8 novembre le Conseil d’Etat a validé l’arrêté d’expulsion, sans m’en informer. Le lendemain, suite à la projection du film Yallah Gaza, j’étais en train de marcher avec deux femmes quand trois hommes armés en noir nous ont attaquées, ils m’ont asséné des coups forts sur la tête avec leur arme, et ont poussé par terre la femme française qui m’accompagnait. Ils m’ont mise de force dans leur voiture. Je ne savais pas qui ils étaient, je n’ai su par la suite que c’était la police. J’avais une bosse sur la tête et j’étais en état de choc. Durant quatre jours, j’ai été emmenée dans quatre cellules et commissariats différents. Ils ont fait en sorte que je ne sois en contact avec personne, et ont saisi toutes mes affaires y compris mes médicaments. Il faisait froid et je n’avais ni coussin ni couverture, il y avait uniquement un banc en bois. Ils me fouillaient constamment comme si j’avais des bombes sur moi. Le 10 novembre au matin, ils voulaient m’emmener prendre un avion militaire qui partait tôt, alors que je savais que le vol pour le Caire partait le soir, j’ai refusé d’y aller. Ayant un passeport égyptien, il fallait que j’aille en Egypte. À l’aéroport il y avait un grand rassemblement de personnes venues me témoigner leur soutien et des journalistes. Mon affaire est devenue une affaire publique. L’acharnement que j’ai vécu n’était pas seulement contre ma personne, mais contre la résistance palestinienne.
Après ce que vous avez vécu, quelle image avez-vous aujourd’hui des démocraties occidentales ?
Tous les propos autour des droits de l’homme et de la démocratie sont des mensonges. Ce ne sont pas aux pays occidentaux de m’apprendre la démocratie, mais à moi de la leur apprendre. Pendant que notre peuple subit un génocide, l’Occident dit qu’Israël se défend. On dirait que la loi internationale ne nous concerne pas. Alors que je suis pour la lutte de libération pour tous les peuples. Si la France était occupée, je participerais à sa libération. Pourquoi la résistance de la France occupée par les nazis est appelée telle quelle, et la nôtre est traitée de terroriste ? Ce n’est pas logique !
Vous avez commencé à lutter très jeune pour la libération de la Palestine, comment ont été vos débuts au sein de la résistance ?
Nous quittons très tôt l’enfance et nous sommes conscients de l’occupation en cours dès nos premières années. J’avais envie de participer à la lutte pour la libération, lorsque j’ai su que ce n’étaient que les garçons qui étaient enrôlés et pas les filles, j’ai trouvé cela injuste. J’ai envoyé une lettre à un des dirigeants de la FPLP pour signifier ma volonté de lutter, j’ai reçu une réponse favorable. Je ne me suis pas arrêtée là, j’ai écrit à Gamal Abdel Nasser, le président égyptien, et il m’avait répondu. Je voulais montrer aux hommes qu’une femme pouvait également participer à libérer son pays.
J’ai intégré le Front Populaire secrètement et participé à des opérations. L’armée israélienne est venue m’arrêter alors que j’étais en visite chez mes parents, j’avais 15 ans. Durant l’interrogatoire, j’ai fait semblant de ne rien comprendre et je donnais des réponses sans aucun sens. J’ai été emprisonnée durant deux années, j’ai été battue, maltraitée et torturée. À ma libération, on m’avait donné 24h pour quitter ma terre. J’étais parmi les premières exilées de force, ça a été comme une mise à mort. Ils m’ont déposée à la frontière jordanienne et je n’avais aucun papier sur moi. Après quelques jours, des camarades m’ont retrouvée, ils ont fait en sorte de me faire rentrer en Jordanie. Par la suite je suis passée de pays en pays, je suis allée au Liban, en Syrie, en Libye, en Irak... et j’ai poursuivi la lutte. Au Liban, j’étais responsable d’une section militaire.
Durant le long exil qui a suivi, vous aviez notamment entamé des études en rapport à vos luttes. Quel a été ce parcours ?
Pour construire l’Etat Palestinien, Il est crucial de se cultiver et d’étudier. Après l’obtention d’une bourse, j’ai pu aller en Bulgarie, j’ai appris la langue bulgare et j’y ai effectué un master et un doctorat en philosophie. Mon sujet de master a été Le développement de la conscience politique de la femme Palestinienne à l’époque actuelle, et celui du doctorat était sur La libération de la femme, des coutumes et des traditions dans la culture arabe. Cette expérience a été très enrichissante. Mais en parallèle j’étais en exil, je n’ai eu aucun contact avec ma famille durant des années et ça a été une grande souffrance. Mon père est mort et je n’ai pu le voir. J’ai été contrainte de vivre 30 années en exil, avant de pouvoir retourner chez moi.
« Ce ne sont pas aux pays occidentaux de m’apprendre la démocratie, mais à moi de la leur apprendre. »
Suite à votre retour à votre terre, vous avez été très active dans la lutte féministe, pouvez-vous nous parler de votre association ?
Je suis convaincue depuis mon plus jeune âge de l’importance de la libération de tout le peuple et également des femmes. Au sein du Front Populaire, je n’ai jamais senti de différence en tant que femme par rapport à mes camarades, ils font au contraire très attention à traiter au mieux les femmes et les hommes. Un Etat ne peut se construire sans la moitié de la société. La volonté de fonder l’Association palestiniennes d’études féministes développementales était alimenté par la nécessité de soutenir la femme palestinienne face aux conditions politiques, économiques et sociales, en situation de colonisation. L’association a accueilli beaucoup de jeunes qui ont pris le relais, ça a permis notamment de travailler sur différents sujets dont les prisonnières Palestiniennes.
Que pensez-vous de ce qui arrive actuellement à Gaza ?
C’est une véritable catastrophe. Je n’arrive ni à boire, ni à manger, ni à dormir sachant que mon peuple a faim, a soif et qu’il est tué sous les bombardements. Mais cette fois, la vérité a éclaté. Le monde voit de face ce que commet la colonisation israélienne. Face au génocide en cours, les peuples du monde s’unissent contre l’injustice. Les masques sont tombés et il n’y a plus de retour en arrière. Car Israël ne menace pas que la Palestine, mais menace également l’Egypte, le Liban et toute la région. Israël est soutenu et dirigé par les Etats-Unis et les pays Européens, qui doivent cesser cette injustice coloniale. Les pays arabes doivent unir leur force plus que jamais, afin de résister à cet impérialisme économique et colonial. C’est pour cela que la cause palestinienne est la cause de toute personne et de tout peuple libre sur cette terre.