Revenons à l’an 2001 : aux confins de vallées réputées imprenables, et pourtant souvent envahies par les Mongols, les Arabes, les Perses... les bouddhas géants de pierre de Bamiyan venaient d’être dynamités par les Talibans. S’étant rendus maîtres de Kaboul, ils poursuivaient leur œuvre de destruction d’un pays en croyant effacer l’histoire d’une civilisation, et en réduisant les Afghanes à des êtres murées dans la burqa. Un premier mouvement collectif d’effroi et de départ s’empara de la population, fuyant pour des cieux plus cléments.
« Les deux femmes que Femmes Contre les Intégrismes (2) a pu mettre discrètement en sécurité étaient menacées de mariages forcés : l’une était la veuve d’un opposant aux Talibans, l’autre était sa sœur, promise à un autre Taliban. La tradition pachtoune exige que le frère du défunt épouse sa veuve pour la « protéger ». « La "protection" de ces temps lointains n’est rien d’autre qu’un viol légal, actualisé à la sauce islamique des Talibans », explique une co-fondatrice de l’association Femmes Contre les Intégrismes qui fêtera ses trente ans l’an prochain.
Depuis le retour des Talibans au pouvoir en 2021, l’emprise des mâles sur leurs femmes a repris de plus belle, en autorisant toutes les dégradations possibles et imaginables de la condition féminine : interdiction de sortir de la maison -ou alors sous la burqa-, de travailler, de conduire, d’aller à l’école après l’âge de 12 ans, et même de faire entendre leurs voix à un homme.... Comme au Moyen-Âge, les contrevenantes - celles qui osent montrer une mèche de leurs cheveux, par exemple - sont passibles d’une « justice » qui sème la terreur dans toute la population. Les exécutions publiques sont les seules distractions auxquelles est convié le peuple. La lapidation des femmes reste à l’ordre du jour en Afghanistan. Et il leur est désormais interdit d’être entendues, que ce soit par la parole ou, pire, par le chant, en public, mais aussi dans l’espace privé...
Les femmes afghanes n’ont pas de statut en tant qu’individu : « nous sommes filles de..., puis femmes de..., ou bien, à la rigueur, mères de..., a commenté Farida Faryad qui vient de publier un long poème sous le titre « Collections de chagrins ». « Ma mère n’avait qu’un seul désir dans sa vie, être reconnue comme la mère d’une enseignante, elle qui était analphabète comme près de 70% de la population féminine ».
Dans ce pays constamment en guerre, - les Soviétiques envahissent et occupent en 1979 l’Afghanistan pour sauver de l’effondrement le gouvernement communiste afghan, et en 2001, le régime taliban est défait par une coalition internationale menée par les États-Unis, en raison de son refus de livrer le chef d'Al-Qaïda, Oussama Ben Laden-, les veuves, très nombreuses, sont particulièrement vulnérables. Des milliers de mendiantes errent dans les rues des villes.
Sans statut et sans mot
« Toutes subissent dans leurs corps les diktats islamistes. C’est pour faire entendre le lourd silence qui pèse autour d’elles que nous les invitons à témoigner », a souligné la co-présidente de FCI pour présenter la journée de solidarité intitulée « Libres de corps et d’esprit », devant une salle pleine à craquer, de sympathisant.e.s et d’Afghan.e.s.
A Lyon ce vendredi 29 novembre 2024, se sont succédées à la tribune Florence Toix, analyste en géopolitique, qui a tracé les grandes lignes de ce pays fracturé de toute part. Puis ont pris la parole Sylvie Cozzolino et Sandra Calligaro, deux journalistes qui ont arpenté Kaboul, micro et caméra au poing, autant que les vastes vallées et montagnes. Photos et documentaires à l’appui, c’est à travers les yeux d’un peuple qui reste hospitalier que se lisait la beauté et les douleurs du pays. Enfin Farida Fayad, réfugiée en France, a lu, en compagnie d’une comédienne, des passages du livre-poème bouleversant qui vient d’être publié. (3).
« Elles expriment leur résistance par tous les interstices de liberté à arracher à l’obscurantisme », a souligné Sylvie Cozzolino qui retourne régulièrement dans ce pays qu’elle aime profondément. « Il n’existe pas de mots en dari (la langue vernaculaire de l’Afghanistan) pour caractériser une femme seule. C’est une négation de l’être au féminin, aussi bien dans le langage que dans le corps social. Les taux de mortalité enregistrent des records, notamment les taux de mortalité maternelle et infantile », a commenté Florence Toix.
Aujourd’hui en France, ce sont les Afghans qui constituent la majorité des réfugié.es politiques, les femmes en représentent un quart : cette année 2024, elles sont environ 4500 dans l’Hexagone à être accueillies et reconnues « persécutées en tant que femmes » selon le décret sur le droit d’asile de la Convention de Genève révisé en juillet 2024.
De la ségrégation à l’apartheid
Farida Fayad, Afghane réfugiée en France, enseignante et poète, a témoigné de l’affreuse condition faite aux Hazaras, une minorité constituée il y a fort longtemps d’émigré.e.s chassé.e.s loin, depuis les vastes frontières orientales jusqu’au centre du pays. Les Hazaras représentent 10% de la population afghane et sont très présent.e.s à Kaboul. Minorité chiite dans un pays majoritairement sunnite, où la loi de Dieu est appliquée dans toute la rigueur que lui confèrent les hommes au pouvoir, et dans tout leur arbitraire...
Au-delà des Hazaras, des sectes et des tribus, la moitié de l’humanité considérée comme « tentatrice » par l’autre moitié, réputée gardienne de « « l’honneur » des hommes, est ainsi effacée en Afghanistan. Cela s’appelle un apartheid. Non pas de « race », mais de sexe.
Que faire d’autre pour que soit rétabli aux femmes afghanes le droit d’exister ? Témoigner, accumuler les récits et les reportages comme autant de preuves à charge lorsque, un jour, la justice internationale sera entendue.
Une pétition circule depuis quelques semaines
Femmes Contre Ies Intégrismes est une association qui a été créée à Lyon en 1995. Elle œuvre pour le respect du principe d'égalité de droit et de traitement entre les femmes et les hommes, par un travail juridique (guide « Madame, vous avez des droits ! », 6ème édition parue en 2024) et des actions de sensibilisation (débats, caravanes citoyennes...).
Farida Fayad : « Collections de chagrins, le défi poétique d’une femme afghane », préfacé par Jean-Yves Loude, Editions du Poutan.