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En créant pour elles de nouveaux marchés de dimension équitable focalisés sur la spécificité des terroirs, l’objectif de tels projets consiste à garantir aux femmes des ressources nécessaires à une autonomie financière pérenne.
Les activités des deux associations « Femmes Montrez vos Muscles » et « Appui aux Initiatives dans le Secteur Agricole » s’inscrivent dans cette perspective.
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L’histoire remonte aux lendemains de la Révolution du 14 janvier 2011. Après un passage à la télévision nationale, désormais ouverte à toutes les voies, Sadika Keskes, artiste verrière et designer de renom est appelée au téléphone à la rescousse par des femmes de Foussana, dans le gouvernorat de Kasserine. Mais Sadika crut entendre « Fouchana », cité populaire proche de Tunis. Or il s’agissait en vérité de ce village enclavé, à la route sinueuse, situé à 300 km de Tunis. Sans hésiter, la designer prend le chemin de cette destination, qui se révélera d’une pauvreté extrême.
Les femmes, qui l’accueillent sont pour leur plupart des travailleuses saisonnières au moment de la cueillette des pommes, spécificité agraire de leur région. Sadika découvre que ces paysannes dans le besoin possèdent toujours des métiers à tisser et même un petit patrimoine de tapis hérités des temps où elles confectionnaient de belles pièces à la trame en laine ou au poil de chameau et aux teintures végétales. Avant que le ministère de l’Artisanat ne transforme tout le processus, dans les années 70, introduisant le fil de coton, les couleurs chimiques et imposant une production standardisée désormais fabriquée dans les usines.

Oublié alors tout cet héritage de motifs, de symboles et de formes transmis des siècles durant de mères en filles : « Le tissage est la plus belle trace de l’histoire de la Tunisie après la mosaïque. C’est un patrimoine immatériel inouï ! », s’exclamera Sadika.
L’artiste et designer décide alors d’accompagner ces femmes dans la reconquête et la modernisation d’un métier perdu. Elle lance pour cela l’Association « Femmes montrez vos Muscles » en 2012, fournit la laine aux femmes pour confectionner leurs kilims et écharpes, dessine pour elles des modèles et des cartons inspirés de l’œuvre du peintre suisse Paul Klee. Paul Klee, dont Sadika est convaincue qu’il a révolutionné son art à la suite de son séjour tunisien en 1914 lors duquel il n’a pas été seulement fasciné par la lumière éblouissante de Tunisie mais également par la créativité et les couleurs de ses tapis et kilims. Ceux que fabriquaient entre autres les grands-mères des Foussanaises des années 2011 et 2012.
« J’utilise mon design pour lever un métier. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui le design sociétal », explique Sadika.
L’initiative de la designer fait tache d’huile. Des femmes de Layoun et de Birouni, des villages voisins de Foussana, entrent dans la danse. Jusqu’à 500 femmes sont impliquées dans cette dynamique de production de kilims et de tapis de qualité, qu’exposera Sadika dans son espace d’art à Tunis en 2014 à la faveur des célébrations du centenaire du voyage de Paul Klee en Tunisie lors d’un évènement monté sur le thème « Paul Klee et le tapis tunisien ».

Une dynamique économique nouvelle est créée, huit femmes ouvrent un atelier, une sorte d’entreprise horizontale. La Fondation de France et l'Agence de coopération internationale allemande GIZ s'y intéressent, des fonds sont accordés. Jusqu’avant la propagation du virus, les produits des tisserandes de Foussana ont fait l’objet de multiples expositions-ventes en Tunisie et à l’étranger.
Le tissage est la plus belle trace de l’histoire de la Tunisie après la mosaïque. C’est un patrimoine immatériel inouï !
Des clients viennent passer leurs commandes chez les artisanes, certaines ont lancé leur patente, d’autres ont pu acheter un camion pour transporter leurs kilims et tapis là où marchés et foires de l’artisanat se déroulent. Mais le réseautage interactif manque et le contrôle de la qualité demande un suivi sur le long terme. Ce que n’arrive plus à faire l’Association « Femmes Montrez vos Muscles » aujourd’hui, notamment à cause des distances qui séparent Tunis de Kasserine, la route sinueuse menant à Foussana et l’épuisement des fonds du mécénat.
« Même si le Coronavirus a limité les revenus des artisanes de Foussana, nous avons semé une graine dans ce village que plus rien ne déracinera. Les beaux jours reviendront et l’énergie créative des femmes renaitra », assure Sadika Keskes.
L’expérience avec les femmes de Foussana a permis à Sadika de monter son actuel laboratoire baptisé Patrimoine, Agriculture, Créativité, Tactique, Ecologie (PACTE). Un think tank qui poursuit un travail sur la réhabilitation de métiers anciens entamé en 2011, mais qu’une certaine idée de la modernité a condamné à l’oubli.
AISA lance les produits healthy de ses femmes
A l’origine d’une multitude d’initiatives pour l’autonomisation financière de femmes rurales dans plusieurs régions de Tunisie, il y a une femme au riche parcours de militante associative : Saloua Kennou. Tout a commencé à l’heure de l’enfance, lorsqu’en ce début des années 60, la dame âgée aujourd’hui de 67 ans, rejoint l’école primaire de Sabbalat Ben Ammar, dans la campagne proche de Tunis où son oncle était directeur de l’établissement. Premier contact avec la vie et les familles rurales et attachement immédiat à cet univers, qui la touche, l’interpelle et la fascine. C’est probablement ce qui va la pousser à poursuivre des études supérieures à l’Institut national d’agronomie. Son diplôme d’ingénieure agronome en poche, le rural devient son champ d’expertise. En particulier lorsqu’elle enseignera aux écoles supérieures d’agriculture de Mateur puis de Mogren, où elle a l’occasion d’encadrer ses étudiants dans les fermes agricoles.

Les femmes, Saloua Kennou les rencontre également au Club agro écologique de Mateur, où elle apprenait aux membres affluant des campagnes environnantes des savoir-faire dont elle a le secret : le crochet, le tricot, la couture…Autour des travaux manuels, les conversations débouchent sur des confidences…
« C’est là que j’ai touché à leur vie. Elles m’ont raconté comment grâce à leur petit poulailler ou à leurs quelques brebis, leur seul bien propre, elles ont réussi à subvenir aux besoins de leurs enfants scolarisés. J’ai compris alors l’importance des ressources personnelles, aussi minimes soient-elles, pour les femmes rurales, surtout lorsqu’on sait à quel point les fruits de la majorité de leur travail agricole domestique sont empochés par les maris », se rappelle-t-elle.
Lorsqu’en avril 2013, Saloua Kennou est élue à la tête de l’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD), elle donne le ton de son mandat : « les droits économiques seront l’entrée de toutes nos campagnes et actions, de la lutte contre la violence au développement personnel des femmes ».
En 2014, avec l'aide financière de l'Union européenne, l’organisation de Saloua Kennou créé une coopérative dans le parc national d’El Feija, dans la région de Jendouba, après avoir formé et encadré environ 28 femmes dans un certain nombre d'activités, telles que l'écotourisme, la fabrication de savon artisanal, l'apiculture et l'agroforesterie. En décembre 2015, l’Etat confie à l’AFTURD, un lieu susceptible d’accueillir un centre d’hébergement des femmes victimes de violences. Si l’Association a remporté cet appel d’offre c’est que la proposition de sa présidente est fondée sur une idée centrale : travailler et exploiter le moindre centimètre du terrain entourant le centre pour approvisionner le refuge et vendre le surplus aux particuliers. En plus d’ouvrir les femmes aux différentes opportunités que présente l’agriculture.
« Nous avons expérimenté les techniques du compostage, la culture sous serre, la production des plantes ornementales, la distillation des eaux florales, faisant appel à des formateurs à chaque fois qu’une idée nouvelle émerge dans le groupe », détaille Saloua Kennou.
Mais les femmes victimes de violences ne s’éternisent pas dans ces espaces, qui les accueillent tant qu’elles n’ont pas trouvé une issue à leur crise. Les autonomiser financièrement pour qu’elles puissent compter sur elles-mêmes représente aussi une manière de les immuniser contre leurs agresseurs, qu’ils soient un mari, un amant, un père, un frère. Le Centre lance alors deux projets : un atelier de couture pour la fabrication de sous-vêtements en coton à base de tissus recyclés et une pâtisserie healthy, spécialisée dans la fabrication de gâteaux, de salés et de jus allégés en sucre, bons, diététiques et sans additifs alimentaires. Grâce au réseau de Saloua Kennou, des organisations internationales sensibles au genre mais également des ambassades commencent à passer commandes aux femmes pâtissières, y compris pour des cadeaux de fin d’année. La Coopération espagnole s’intéresse à ce projet et décide de le financer.
Mais les deux mandats de Kennou à l’AFTURD s’achèvent en 2019. Elle, dont le militantisme en faveur des femmes rurales est devenu presque une raison d’être, prend alors les rênes de l’Association Appui aux Initiatives dans le Secteur Agricole (AISA), lancée en 2016 et présidée jusque-là par son mari (décédé en 2019) et dont elle est co-fondatrice. Une structure, qui va lui permettre de poursuivre l’encadrement de ses pâtissières en inaugurant notamment en octobre 2021 un lieu de vente à Sidi Thabet, avec en plus la naissance d’une marque « Ideeyet » (Petites mains).
AISA accompagne également depuis un an une trentaine de femmes dans la région hautement agricole de Mateur pour la transformation et la commercialisation de produits à base de céréales complètes et sans gluten : couscous, farine, pates, graines de lin, flocons d’avoine. Avec un label référent au village où s’activent ces femmes chez elles, Ghezala Dulces.

Pour la présidente d’AiSA, si les femmes maîtrisent la phase de la fabrication, il reste beaucoup de choses à faire quant à la commercialisation. C’est l’étape la plus dure du processus.
« Les femmes vendent dans les foires et les expositions d’artisanat régionales. Mais ce n’est pas assez pour distribuer leurs produits. Nous sommes en train de travailler pour nouer des conventions de vente avec les boutiques des produits du terroir, qui ont essaimé dans les grandes villes ces dernières années. J’espère que nous atteindrons un jour l’étape de la vente en ligne», prévoit pleine d’espoir Saloua Kennou.