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Par Lina Asif
Donner la vie au risque de perdre la sienne. Entre les montagnes et les rivières, les naissances éclosent comme des fleurs : dans la nature, en dépit des risques. L’acte miraculeux d’enfanter perpétue le cycle de la vie. Mais sans accompagnement médical, celui-ci peut être fatal. Chaque année, dans les régions rurales, des mères meurent suite à des complications survenues pendant des grossesses non assistées.
C’est là qu’intervient le rôle capital de la sage-femme, en tant qu’intermédiaire et protectrice de la mère et de l’enfant. Son intervention englobe l’ensemble des soins liés à la santé sexuelle et reproductive, et s’étend de la surveillance de la grossesse à la pratique de l’accouchement, suivie de la prise en charge médicale des mères et des nouveau-nés.
Une sage-femme au village
A Oulmès, une commune située dans le Moyen-Atlas, nous avons suivi les pas de Chaimaa, une jeune sage-femme de 24 ans. C’est par hasard qu’elle exerce cette profession qui lui a d’abord été recommandée par son cousin. Puis, au fil des jours, elle découvre vite les joies du métier, la douceur et l’humanité qui l’enveloppe.
« J’aime l’idée d’accompagner les mères : de ramener la joie aux mamans et à leurs familles, et les aider à accueillir leur bébé à la vie. Ça fait chaud au cœur ».
Chaimaa a suivi des études à l’ISPITS de Rabat (Institut Supérieur des Professions Infirmières et Techniques de santé) et s’est spécialisée en obstétrique. Après avoir obtenu son diplôme, elle passe un examen national, tout comme l’ensemble des sages-femmes du Royaume, qui sont ensuite affectées dans une région selon leur note de classement.
« Etant originaire de Salé, j’ai choisi Oulmès car c’était le village le plus proche dans la région Rabat-Salé-Kenitra. En tant que citadine, ça n’a pas été simple de m’installer en milieu rural pour travailler. Mais j’ai su m’y habituer grâce à mes collègues ».
Le centre de santé où elle travaille est situé dans l’unique du village de la zone. Dans ce centre, elles sont 5 sages-femmes. La population de la commune est estimée à 18 706 personnes. Un ratio convenable, comparé à d’autres régions, dont certaines ne disposent même pas d’un centre de santé.

« Les zones rurales manquent évidemment d’équipements, de ressources matérielles et humaines. Mais le plus dur aussi, c’est de convaincre les mères de suivre nos conseils quand elles ont besoin de voir un médecin, ou simplement d’être transporté dans un hôpital. Dans une communauté rurale, les femmes manquent terriblement de confiance envers l’assistance médicale. Cela nous demande beaucoup d’efforts pour leur faire comprendre les risques éventuels d’un accouchement non assisté. La plupart des femmes préfèrent accoucher à la maison plutôt que dans une salle d’accouchement avec un soin médical. »
Le faible niveau d’instruction, le manque de sensibilisation, le poids patriarcal et la pauvreté ont un impact direct sur la santé des femmes, qui font face à plusieurs obstacles à la fois spatiaux, économiques, sociaux et culturels.
Des disparités spatiales et un système de sante défaillant
Si les femmes ne sont pas assez sensibilisées à la nécessité des soins et de l’assistance médicale, c’est qu’il y a aussi un déficit énorme d’établissements de santé publics dans le pays. La pénurie des centres de soins de santé de base, leur inaccessibilité physique pénalisent injustement les habitants ruraux. Certaines régions ne possèdent même pas de dispensaires. S’ajoute à cela : le manque de ressources humaines, leur faible qualification et leur répartition inégale sur le territoire.
Le système de santé fait preuve d’une incapacité à assurer la généralisation de son offre en soins de santé reproductive au profit des femmes.

Malgré la multiplication chaque année du nombre de sages-femmes et de médecins gynécologues, l’effectif reste très limité par rapport au nombre de la population et aux taux d’accouchements. La densité du personnel paramédical formé aux soins liés à l’accouchement est inférieure au seuil défini par l’OMS. Le ratio est d’une sage-femme pour 23700 habitants, soit un rapport de près de 5 fois inférieur à la norme recommandée par l’OMS qui est d’une sage-femme pour 5000 habitants.
Au Maroc, la santé sexuelle et reproductive est toujours pointée du doigt comme un fléau majeur qui retarde le développement du pays et handicape sa position au classement international de développement humain établi par le PNUD. La principale cause demeure le manque de postes budgétaires accordés au secteur de santé qui en a un besoin urgent.
Sages-femmes : un métier indispensable à renforcer
La crise du Covid19 a montré qu’il est nécessaire d’investir dans les ressources humaines et les professions de la santé, et en particulier de soutenir la catégorie des sages-femmes. Celles-ci, qui effectuent un travail important, ont permis d’assurer la continuité des soins.
Pendant ces dix dernières années, les décès maternels ont chuté de 63% selon l’Enquête Nationale du Maroc, tandis que le taux d’utilisation de contraception a augmenté de 68%. Ces chiffres sont de grands indicateurs de l’appui des sages-femmes, qui ont joué un rôle clé dans la survie des mères. Aujourd’hui on compte 89% de naissances assistées par des sages-femmes professionnelles.
Au Maroc, plusieurs associations féminines œuvrent dans le pays pour promouvoir et défendre le métier de sage-femme, à savoir : l’AMSF (Association marocaine des sages-femmes) et l’ANSFM (Association Nationale des sages-femmes marocaines). Celles-ci militent pour réglementer le métier, améliorer ses conditions de travail, assurer la formation continue et promouvoir la recherche.
Dernièrement, en mai 2021, ces deux associations se sont associées à l’UNFPA, pour établir ensemble un plan de travail commun afin d’améliorer la profession de sage-femme au service des femmes et des nouveaux nés. Le projet a pour objectif de renforcer et de valoriser les compétences des sages-femmes marocaines, pour un service de santé reproductive répondant aux normes de qualité et garantissant le plein respect des droits sexuels et reproductifs.