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La Palestinienne Inas Dajani, âgée de 30 ans, a eu l’idée de se procurer un pendentif en argent en forme de clitoris. Elle s’est rendue chez un bijoutier pour le faire réaliser, mais celui-ci a rechigné et a refusé. Et ce n’était pas un cas isolé : plusieurs autres boutiques ont également décliné. Elle a donc décidé de créer elle-même le bijou — et d’en faire un projet de sensibilisation, dans lequel chaque pièce porte un message et une signification. Elle a commencé avec l’aide de sa mère et de quelques ami·e·s.
Inas Dajani, originaire de Bethléem, ne s’attendait pas à ce que sa passion précoce pour le militantisme féministe se transforme en un projet qui offre des moyens de subsistance à des femmes en Palestine, en Jordanie et en Tunisie, tout en promouvant la connaissance du corps féminin et des droits des femmes. Elle a étudié l’architecture à l’université de Birzeit en Cisjordanie, détient également un diplôme en études de genre et a fondé le projet Slétåte en 2021.
« Slétåte » est un mot palestinien désignant des bracelets ronds ressemblant à des menottes, autrefois prisés des femmes palestiniennes, mais aujourd’hui tombés dans l’oubli — au point que de nombreuses jeunes femmes ignorent la signification du terme.
« Nous avions l'ambition de faire revivre ce mot et de le réutiliser dans un contexte différent », explique Inas.
Slétåte est un projet de bijoux inspirés des organes génitaux féminins. Inas et son équipe présentent chaque pièce de façon originale, accompagnée d’informations de sensibilisation sur le thème relatif à la pièce.
« Nos créations soutiennent le mouvement féministe arabe en proposant des symboles porteurs de sens pour toutes les femmes engagées, en redéfinissant la beauté et en replaçant le corps féminin dans son contexte naturel, loin de la honte et des stigmates. Il doit faire partie intégrante de nos récits quotidiens », confie Inas au média MedFeminiswiya.

Inas n’a pas appris la bijouterie de manière formelle, mais elle a su conjuguer son expérience en design à sa passion pour la création féministe, transformant le bijou en un médium artistique porteur de sa vision, enrichie par ses connaissances en santé reproductive.
« Pourquoi vouloir porter des ovaires en bijou? »
La motivation principale du projet Slétåte fut l’absence d’espaces où les femmes peuvent exprimer leurs préoccupations.« Nos marchés sont inondés de produits et d’accessoires axés sur l’esthétique superficielle ou reflétant le statut social de celles qui les portent. Nous, nous proposons une alternative porteuse de sens et profonde », dit-elle.

Ce qui distingue Slétåte, c’est cette conviction que la sensibilisation ne doit pas se cantonner aux conférences ou aux rapports établis par les institutions spécialisées. Elle peut naître d’espaces intimes et accessibles. Un bijou peut déclencher une conversation audacieuse sur la santé reproductive. Lorsqu’une femme arbore des boucles d’oreilles en forme d’ovaires, les regards intrigués suscitent des questions — ouvrant ainsi la voie à un dialogue sur les ovaires, leurs kystes par exemple, un trouble fréquent, mais encore trop méconnu chez les femmes.
Les réactions des client·e·s oscillent entre choc et inspiration, avant de devenir admiration et enthousiasme à mesure qu’elles découvrent les histoires derrière les pièces. Inas raconte : « Les commentaires négatifs sont rares, mais une question moqueuse revient souvent : pourquoi porter des ovaires en bijou ? Cette interrogation illustre le double standard dans notre rapport au corps féminin. Nous acceptons facilement des designs inspirés d’objets ou de plantes, mais dès qu’il s’agit du corps des femmes, cela gêne — d’où l’importance de notre message. »
Le projet Slétåte a une clientèle fidèle qui se compte en milliers de client·e·s du monde entier et neuf points de vente dans sept pays (États-Unis, Canada, Norvège, Danemark, Irlande, Jordanie et Tunisie), en plus de quatre points de vente en Palestine, dont une à Gaza par le passé. Ses produits se vendent aussi en ligne dans plus de 20 pays, dont le Liban, le Maroc, l’Égypte et les E.A.U.
Slétåte consacre environ 30 % de ses bénéfices au soutien d’initiatives féministes en Palestine et dans le monde arabe.

L’impact du travail de Slétåte se reflète dans les récits de femmes qui, à travers l’acquisition de ces bijoux, ont osé briser les tabous. Inas raconte ainsi l’histoire d’une jeune femme ayant offert à une amie, sur le point de subir une mastectomie, une paire de boucles d’oreilles intitulée « Perfection »: l’une représentant un corps avec deux seins, l’autre à un seul sein, avec à côté une cicatrice.
Quelques semaines plus tard, Slétåte reçoit une lettre de cette femme, confiant qu’elle a, pour la première fois, perçu son épreuve comme un témoignage de force et de résilience. Le bijou est devenu pour elle un rappel quotidien que la féminité et la beauté ne se limitent pas à l’apparence physique. Inas ajoute : « Cette histoire m’a profondément touchée. Elle m’a confirmé que notre message atteint véritablement les gens, et que notre travail dépasse l’esthétique : il parle à l’âme. »

L’occupation israélienne entrave le développement de Slétåte
« Le principal défi, précise Inas, c’est le génocide en cours à Gaza. Il devient difficile de promouvoir nos créations alors que notre peuple — en particulier notre équipe à Gaza — endure une souffrance indicible. Aujourd’hui, notre travail s’inscrit dans une démarche de résistance culturelle, de préservation de la mémoire collective et de lutte pour la justice en Cisjordanie et à Gaza. »
Slétåte n’est pas une simple marque : c’est un acte de résistance, une identité féministe profondément ancrée dans la cause palestinienne.
« Chez Slétåte, nous sommes fières de contribuer concrètement au soutien de notre peuple, en organisant des campagnes de dons accompagnées de pièces spécialement conçues pour incarner la solidarité et la résilience. »

Vers une économie féministe de la connaissance
L’avenir est ambitieux : Slétåte est allé au-delà de la sensibilisation pour bâtir une économie féministe de la connaissance. Le projet permet ainsi à plusieurs femmes d’être autonomisées économiquement grâce à leur insertion sur le marché du travail.
Inas poursuit actuellement une recherche universitaire en études de genre, intitulée : « Plaisir sous blocus : les effets des héritages coloniaux européens, de la colonisation de peuplement israélienne, de la religion et de la culture sur le plaisir sexuel en Palestine ». Elle cherche à relier ce travail au projet Slétåte. Elle conclut : « Je développe un modèle de franchise féministe pour redistribuer les richesses, dans lequel des femmes de différents pays obtiennent des droits de vente et de distribution. Ce modèle, encore expérimental, s’appelle ‘Partenaire de l’expansion féministe’. »