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Chienne, cochonne, poule, oie, vache, truie jusqu’à la chatte en chaleur (1), aucune comparaison ne tient la route avec les qualificatifs péjoratifs masculins, qui existent certes mais dans une bien moindre mesure. En effet, rien n’égalise la férocité envers les femmes, comparées aux femelles des diverses espèces animales de manière désobligeante, vulgaire, féroce et dépréciative.
Certains passages fondamentaux de la vie humaine féminine sont également affublés de termes qui clouent les femmes à l'animalité, laquelle est censée représenter le contraire de la raison, de la rationalité et donc de la dignité. Par exemple, aujourd'hui encore l'expression italienne “sgravare” (mettre bas) normalement utilisée pour les vaches et les juments est employée comme synonyme “d’accoucher” pour les femmes. Soyons clairs : il n’y aurait aucun mal à définir certaines actions humaines des femmes, comme l’acte de donner la vie, par des mots liés au naturel et à l'animalité. Il est toutefois innacceptable que ces actions, et en général tout ce qui touche au corps des femmes, soient, religions en tête, décrites et transmises comme impures, pécheresses, liées au mal et à la tentation démoniaque, comme l'ont si bien raconté les militantes Femen Inna Shevchenko et Pauline Hiller dans leur ouvrage Anatomie de l'oppression (2).
Pourtant, parallèlement et au-delà de la haine patriarcale atavique de l’être humain femme, il existe un noeud important, fondamental, magique, puissant et mystérieux sur la relation des femmes aux animaux.
Les chattes et les chats (de préférence à fourrure noire) ne manquent jamais à côté des femmes, en particulier des féministes, à l’instar des sorcières. Et puis comment ne pas évoquer le serpent tentateur, là où tout commence dans la tradition misogyne du judaïsme et de la Bible. Il faudra attendre Jésus et surtout Saint François et Sainte Claire pour retrouver l'empathie envers les animaux, et avec eux celle envers les femmes aussi. Et que dire des dragons, des dragonnes, des louves et des loups avec lesquels courir et libérer l'énergie en brisant les chaînes patriarcales ?
Mais les félins ne sont pas les seuls à s'immiscer dans la vie des femmes : Virginia Woolf a minutieusement décrit son amour pour un chiot cocker, le célèbre Flush (3), chien littéraire par excellence. Nous sommes au début de l'été 1842 lorsque Flush au pelage brun tirant sur le doré, à la queue épaisse, sans aucune touffe de poil qui ne soit pas à sa place, franchit le seuil du 50 Wimpole Street, à Londres, pour être offert à l'une des plus grandes poètes d'Angleterre, la brillante et infortunée Elizabeth Barrett. Il suffit d'un regard, d'un éclair de reconnaissance, pour qu'une entente s'installe entre les deux. Jusqu'à ce que, quelque temps plus tard, un rival entre dans la vie tranquille de Flush : le poète Robert Browning. Virginia Woolf, lisant la correspondance d'Elizabeth Barrett avec Browning, est tellement impressionnée par les descriptions que le poète fait de son chien qu'elle décide de lui consacrer une biographie. Elle mêle faits et fiction, éclats d'humour et de poésie authentique.
Nous rencontrons moins de poésie et beaucoup plus de frissons dans le troublant élan qui sous-tend le récit Le rat de Venise : et autres histoires de criminalité animale à l’intention des amis des bêtes (4) de Patricia Hightsmith, dont la lecture est essentielle pour comprendre la puissance de la perfidie féminine en réaction à la violence des hommes.
La journaliste et auteure proto-féministe Brunella Gasperini a écrit Une Femme et autres animaux en 1988, un livre que l'on peut trouver en allant chiner sur le net (5). Cet ouvrage représente une introspection quasi archéologique des rapports intenses et variés entre les femelles humaines et celles d'autres espèces, ces animaux qu’Anna Maria Ortese nomme "petites personnes".
Pour ceux qui aiment la science-fiction (qui comprend des autrices extraordinaires bien avant l’avènement des séries contemporaines), je voudrais signaler la saga des dragons de Pern d'Anne McCaffrey (6). A travers deux trilogies et une dizaine de textes tous reliés entre eux, à partir du milieu des années 1960, un regard visionnaire est posé sur le lien entre l'humanité (en particulier féminine) et l'archétype du dragon, une figure particulièrement exploitée et racontée aujourd’hui dans les films et les séries.
Les amoureuses de chats seront heureuses d'augmenter le nombre de volumes sur leurs étagères avec la délicieuse collection de Lilian Jackson Braun intitulée Le chat qui… : le protagoniste y est confronté à deux siamoises très affûtées qui lui font part de leurs déductions pour résoudre d'épineuses affaires de vols, de meurtres et de trahisons en faisant tomber des livres dont les titres sont en rapport avec la situation.
Sans oublier l'essai Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola Estes (7) et l'essai hautement politique et polémique sur la consommation de viande de Carol Adams intitulé Meat for the Slaughter, dans lequel elle compare la condition d'objectivation du corps féminin aux massacres inutiles perpétrés au nom de la nourriture omnivore et carnivore.
Il convient également d’inclure dans ce tour d'horizon deux films incontournables. Le premier, basé sur le texte susmentionné d'Adams, s'intitule “Fresh”, littéralement frais, une comédie à suspense dans laquelle la jeune réalisatrice Mimi Cave fait ses débuts. Le film a été présenté pour la première fois au festival du film de Sundance en 2022. Le thème de base, malgré la légère patine qui le recouvre, est immense : celui de la marchandisation de la chair, de l'abus des femmes, de la violence sur des corps qui n'ont plus d'identité et de notre incapacité à renoncer au plaisir que nous procure la chair (peu importe d'où elle vient).
Le deuxième film, moins récent mais promis à l’éternité avec son fort impact émotionnel dû à la grande beauté des environnements naturels, est Gorillas in the Mist (Gorilles dans la brume). Réalisé en 1988 et dirigé par Michael Apted, ce film est basé sur l'autobiographie de Dian Fossey parue en 1983 (8), avec l'étonnante Sigourney Weaver dans le rôle principal.
L’aspect qui rend si particulière la relation entre les femmes et les autres animaux trouve sans doute une explication dans la réflexion de Diane Ackerman, dans cette mine de suggestions que représente son Livre des sens (9) : « Tous les animaux réagissent lorsqu'ils sont touchés, caressés ou frappés ; de toute façon, la vie n'aurait pas pu évoluer sans contact, c'est-à-dire si des substances chimiques ne s'étaient pas touchées en formant des liens. Si elles ne peuvent pas être touchées, les personnes, quel que soit leur âge, tombent malades ou dépérissent à cause de la frustration de ce désir. Le toucher est le premier sens qui se forme chez le fœtus ; chez le nourrisson, il induit des réactions automatiques avant même que l'enfant n'ouvre les yeux ou ne commence à comprendre quelque chose au monde qui l’entoure. Dès notre naissance, même si nous ne voyons pas et ne parlons pas encore, nous commençons instinctivement à toucher. Les corpuscules tactiles des lèvres permettent la tétée ; les mécanismes de fermeture de la main nous incitent à rechercher la chaleur. »
Lorsque nous caressons les nôtres, notre chat ou notre chien ou tout autre compagnon non humain, nous nous rapprochons du sens le plus fondamental et le plus profond de la vie : celui de la relation gratuite sans laquelle il n'y aurait pas véritablement de vie.
Notes :
Sur ce petit bestiaire d’injures mysogyne, il faut écouter ou réécouter absolument le monologue hilarant - mais ô combien sérieux - de Paola Cortellesi écrit par le linguiste Stefano Bartezzaghi.
Inna Shevchenko et Pauline Hiller, Anatomie de l'oppression, Le Seuil, 2017
Virginia Woolf, Flush, Le Livre de Poche, 1999
Patricia Hightsmith, Le rat de Venise : et autres histoires de criminalité animale à l’intention des amis des bêtes, Calmann-Lévy, 1992
Brunella Gasperini, Una donna e altri animali, Rizzoli, 1978
La Ballade de Pernd’Anne Mc Caffrey ou cycle de Pern est une série de romans de science-fiction classée également dans le sous-genre de la science fantasy
Clarissa Pinkola Estes, Femmes qui courent avec les loups. Histoires et mythes de l’archétype de la femme sauvage, Le Livre de Poche, 2001
Gorillas in the Mist,Houghton Mifflin Company, 1983. En France traduit sous le titre Gorilles dans la brume, Pocket, 1989
Diane Ackerman, Le livre des sens, Grasset 1991