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Au Maroc, comme ailleurs, le football féminin peine à trouver sa place pour exister. Il évolue en marge, entièrement éclipsé par son homologue masculin. Car le foot y est une affaire d’hommes : il s’accapare des cafés, des rues et de l’espace public. C’est une passion collective, un devoir national et au-delà : une démonstration de virilité. Naturellement, la femme footballeuse est tournée en dérision : elle n’est ni à sa place, ni dans son rôle. Les joueurs qui jouent mal sont des femmelettes. Les femmes qui jouent bien deviennent « des hommes ».
Pourtant, depuis l’an dernier, les données ont changé. En 2022, le football marocain prend une tournure surprenante, avec la CAN - Coupe d’Afrique des nations féminine de football (1) -, organisée au Maroc. L’équipe marocaine signera une performance remarquable largement saluée et arrivera finaliste, en décrochant au passage une première qualification historique à la coupe du monde.
Durant cette CAN, l’intérêt du public grandit en crescendo au fil des matchs et des victoires successives. Les stades, d’abord difficilement remplis en début de compétition, seront combles : les derniers se jouant à guichet fermé. Le large public est bigarré, il compte des personnes de tout âge : hommes et femmes, enfants, familles soutiennent les lionnes. Du jamais vu auparavant, dans les stades marocains. L’équipe féminine aura fait vibrer comme jamais le pays : on leur hurle dessus, on crie de joie, et on célèbre collectivement leurs victoires, oubliant presque que ce sont des filles...
Le football féminin marocain s’impose et annonce ainsi un avenir prometteur. C’est précisément dans cet élan que s’inscrit L’Bnat, moyen-métrage de Karim Hapette qui documente le quotidien des joueuses du C.A.K FF (Chabab Atlas Khénifra), club de football féminin à Khénifra, une petite ville de l’arrière-pays. Fondé en 1998, le club est une pépinière à talents : il compte aujourd’hui 8 joueuses comme piliers de l’équipe nationale.

Dans ce gros bourg où il ne se passe pas grand-chose, les journées vibrent au rythme du ballon qui résonne dans la ville. Dans ses stades délabrés, au milieu de paysages désertiques, la jeunesse est son cœur battant. Elle trouve que le football est une passion, mais avant tout un ascenseur social, une porte sur l’avenir.
Au fil des bribes de vie à Khenifra et des paysages montagneux en filigrane, le film suit les pas des jeunes joueuses dans leurs entrainements quotidiens, en plein mois de Ramadan. Agées entre 8 et 15 ans, Ibtissam, Wissal, Malak ne s’appellent pas par leurs prénoms : on les surnomme Cavani, Neymar et Modric. Sur le terrain, elles sont dans leur élément : cheveux tirés en l’arrière, regard fougueux, elles se battent sans répit. Décomplexées, elles défient les garçons et les affrontent à pied d’égalité, sous le regard complice et bienveillant de leur entraîneur.

En dehors du terrain, on voit les filles occuper les rues, jouer au foot le soir avec les voisins du quartier. A la maison, autour de la table, les mamans parlent naturellement de foot, les pères encouragent leurs filles à poursuivre cette voie. Des images peu familières laissant entrevoir le changement de mentalités qui opère au Maroc dans les milieux les plus modestes.
« Avant, dans ma génération, il n’y avait que les garçons qui jouaient au ballon. Jamais de parents ou de frères n’auraient laissé leurs filles ou leurs sœurs jouer au foot. Aujourd’hui, vous avez votre propre club, vous pouvez voyager... vous n’avez qu’à jouer. C’est une belle époque et il faut que vous en profitiez » confie Rachid, directeur du C.A.K FF, à une des joueuses.
L’évolution du football féminin est donc favorisée par une véritable implication citoyenne et une prise de conscience collective, en faveur d’une société plus égalitaire, et c’est ce dont témoigne L’Bnat. Karim Hapette, réalisateur du film, voit dans ces joueuses une conséquence et un symbole du désir de modernité qui s’exprime au Maroc. Elles portent en elle, selon lui, l’essence d’une société en mouvement et aussi d’ « un féminisme qui ne dit pas son nom ».