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La voyante troyenne
La première à s'essayer à cette expérience littéraire réussie a été l'écrivaine allemande Christa Wolf qui a publié Cassandre (1) en 1983, aujourd'hui traduit dans de nombreuses langues. Ce courageux roman en forme de monologue donne la parole à la célèbre voyante troyenne, fille des souverains Hécube et Priam et prêtresse d'Apollon. Ayant refusé de s’unire à lui, elle reçoit le don de prédire l'avenir mais est en même condamnée à ne pas être crue.
Devenue l'esclave d'Agamemnon après la chute de sa cité, elle se retrouve à Mycènes et attend en silence devant l'imposante Porte des lions avec son fils et sa vieille nourrice, entourés d'une foule de badauds. Alors que le roi achéen trouve la mort sous les coups de son épouse Clytemnestre, désireuse de venger le sacrifice de sa fille, la belle et malheureuse prêtresse se livre à un long récit entrecoupé de repentir, d'angoisse et de tourments.
La jeune Troyenne devient une métaphore de ce qui arrive à de nombreuses femmes dans le monde : consciente et visionnaire, elle n'est pas entendue et fait souvent l'objet de moqueries, pour finalement être marginalisée.
En procédant à rebours par associations, elle retrace ses dix années de siège, son amour romantique et impossible avec Énée, ses rencontres érotiques avec le prêtre Pantoo, jusqu'à son insouciante jeunesse au palais de son père. Ses propos révèlent un personnage complexe et profondément humain qui remet constamment en question la position des femmes dans une société misogyne et patriarcale.
Ainsi, la jeune Troyenne devient une métaphore de ce qui arrive à de nombreuses femmes dans le monde : consciente et visionnaire, elle n'est pas entendue et fait souvent l'objet de moqueries, pour finalement être marginalisée. Pourtant, elle reste fidèle à elle-même en s'opposant courageusement aux intrigues du palais royal, ce qui lui vaut d'être emprisonnée.
Une fois libre, elle devient dissidente, rejoint les femmes de la "communauté de Scamandre" qui vivent dans des grottes creusées le long du fleuve et célèbrent secrètement le culte de l'ancienne et mystérieuse déesse Cybèle, la grande Mère. Le seul homme admis dans ce "gynécée révolutionnaire" est le sage Anchise, vieux père d'Énée, avec lequel les officiantes discutent et se confrontent, rêvant d'une société pacifique et égalitaire où toutes et tous pourraient être enfin libres.