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Une initiative, Omgyno, portée par des femmes en Grèce prouve que les rendez-vous chez le gynécologue ne doivent pas nécessairement être désagréables ou traumatisants, et que l’on peut apprendre beaucoup plus de choses sur notre santé menstruelle et sexuelle que ce que l’on croit habituellement.
D’après le Manifeste xénoféministe, la technologie n’est pas progressiste par essence et l’innovation technique et scientifique doit être liée à une pensée théorique et politique collective qui tienne compte des femmes, des personnes queers et non-binaire et qui leur fasse jouer un rôle sans précédent.
Quand on parle technologies et expérience de genre, je ne peux m’empêcher de penser au spéculum vaginal, l’instrument médical couramment utilisé par les gynécologues pour examiner les femmes. En général, pour ne pas dire toujours, ces techniques provoquent un sentiment d’inconfort, et dans certains cas de véritables traumatismes à des personnes qui veulent simplement faire des examens pour s’assurer de leur santé vaginale. Je sais que pour moi, et pour bien d’autres femmes, c’est souvent la raison qui se cache derrière le report du premier – et peut-être de chaque – rendez-vous chez le gynécologue. S’agissant d’une démarche qu’il faut effectuer une fois par an, imaginez la panique.
La question est donc de savoir s’il existe d’autres méthodes d’examen. Mais encore, les spéculums et les instruments aux formes phalliques sont-ils les seuls qui puissent nous aider à préserver notre santé sexuelle ? L’équipe d’Omgyno, basée à Athènes et composée exclusivement de femmes, nous dit qu’il n’en est rien !

Les principaux axes de travail de ce groupe sont les soins auto-administrés, l’intimité et le contrôle, ses valeurs sont l’inclusion, l’approche féministe et la conscience écologique. Le principal cerveau d’Omgyno est Doreen Toutikian, qui est originaire de Beyrouth.
Doreen est une designer dont les conceptions sont centrées sur les utilisateurs, qui travaille sur l’émancipation des populations autour de questions ayant un impact social. Elle enseigne aussi la théorie du dessin, court les festivals, et travaille en tant que consultante pour plusieurs organisations non gouvernementales. C’est avec Elizabeth Milisi qu’elle a fondé la structure Omgyno.
Leur état d’esprit drôle et avenant se reflète aussi dans le nom qu’elles ont choisi, Omgyno, créé de la combinaison de l’exclamation « OMG » (oh my God) et du mot « gyno », l’abréviation de gynécologie en anglais.
« C’est une manière de montrer le côté fun du soin sexuel et menstruel, en mettant un préfixe international excitant. On le prononce « oh my guy-no », précise Dorren avec un grand sourire qu’encadrent ses cheveux roses.
« En tant que féministe, j’ai des idées plus progressistes et une ouverture d’esprit plus grande que la société dans laquelle j’ai grandi. J’ai pris conscience que chercher un suivi médical, gynécologique en particulier, représente un très gros problème »
« Nous sommes un projet qui oscille entre l’activisme et la santé. À la différence d’un grand nombre d’autres plates-formes, Omgyno n’a pas été créée par des médecins pour des médecins ; c’est plutôt un projet qui voit les choses du point de vue des usagers/usagères, en prenant en considération leur regard et leurs besoins. Nous voulons vraiment créer le contexte adapté afin que quelle que soit leur dentité de genre ou leur orientation sexuelle, nous soyons là. Et nous savons combien cela est important quand on cherche un suivi médical », ajoute Doreen.
Et de poursuivre : “En tant que féministe, j’ai des idées plus progressistes et une ouverture d’esprit plus grande que la société dans laquelle j’ai grandi. J’ai pris conscience que chercher un suivi médical, gynécologique en particulier, représente un très gros problème au Liban », déclare Doreen, qui n’a compris que plus tard combien on pouvait améliorer les soins sur un plan systémique : « parce qu’il ne s’agit pas d’une question purement individuelle ».
« Dans ce cas, me suis-je dit, pourquoi ne pas proposer une solution, une plate-forme qui indique des médecins recommandés par la communauté, afin que nous puissons être un lieu safe pour toutes et tous. Ça peut être très utile pour les gens qui ont vécu des situations bizarres ou pénibles avec des médecins, ou qui bougent et changent souvent de ville… Comment peut-on repenser l’expérience dans son ensemble ? Parce que la plupart du temps, quand je vais chez le gynécologue pour une visite, je me dis qu’en fait je peux faire ça toute seule et promouvoir l’idée qu’on peut se soigner soi-même et la capacité à comprendre ce que vit réellement mon corps. Parce que lorsqu’on va chez le médecin, il ou elle n’explique pas nécessairement ce qui se passe, il ou elle peut juste te dire si ça va ou pas , explique Doreen. Et c’est comme ça que l’idée de ce projet est née.»
Apporter un service aussi novateur pour la première fois en Grèce, où les personnes ne sont pas franchement habituées aux dispositifs de soina aussi innovants, comme les auto-examens à domicile ou l’usage des coupes menstruelles, peut être accueilli de manière dubitative ou hésitante. C’est pourquoi les deux fondatrices ont cherché de comprendre comment ce service pouvait-être perçu par les personnes interessées.
« Nous croyons que la toute première chose à faire, c’est d’éduquer », affirme Katerina, qui a entrepris d’informer, de sensibiliser et d’éduquer le public via des posts judicieux et colorés sur la page Instagram d’omgyno.
« Outre le manque de formation dans la plupart des centres, il n’est pas facile de communiquer avec le public à cause du tabou qui entoure le sujet de la santé sexuelle. On ne trouve pas facilement un site web de gynécologue ou un site consacré à la santé qui parle des règles ou de ce qui se passe quand on ressent des douleurs durant les rapports sexuels, ou de la possibilité d’avoir des rapports sexuels durant les règles. On devrait pouvoir lire et s’informer sur toutes ces questions sans difficulté. Nous ne devrions pas avoir peur de parler de ces choses-là. C’est notre vie. C’est quelque chose dont nous faisons l’expérience quotidiennement. C’est pour cela que nous essayons de construire un projet holistique, à la fois du point de vue des produits que nous offrons et de l’information que nous donnons aux femmes, aux individus trans et non-binaires », raconte Katerina.
Les individus transgenres ne savent pas quel docteur aller voir... leur faut-il aller chez l’urologue, le gynécologue, comment se faire dépister ?
L’examen à domicile : comment et pourquoi ?
Beaucoup de personnes ne vont pas chez le médecin, parce qu’elles en ont peur ou parce qu’ils ne leur font pas confiance. Il arrive que ces individus aient honte de leurs habitudes, alors que le médecin pourrait être quelqu’un de très proche. Cela peut expliquer en partie pourquoi la pratique de l’examen à domicile a commencé à se populariser lentement dans différents endroits du monde.

« Nous voulions importer en Grèce la pratique de l’examen à domicile, telle qu’elle existe déjà aux États-Unis, en Angleterre et en Allemagne par exemple. Il y a eu de nombreuses recherches sur le sujet, en particulier sur le test de dépistage HPV. L’idée est de prélever soi-même un échantillon, et ce en toute confiance car l’ensemble du processus est sûr et reste privé. Quand on reçoit les résultats, s’il y a un problème spécifique dont on veut parler, on peut réserver directement une séance de télémédecine ou une visioconférence avec son médecin pour discuter des étapes à suivre. Ça peut être fait très rapidement et ça permet d’écarter la plupart des excuses dont les gens se servent pour ne pas se faire dépister », éclairci Doreen.
Par exemple, en faisant une culture des sécrétions vaginales, on peut voir les différentes phases par lesquelles passe l’échantillon et savoir précisément ce qui fait l’objet d’un examen d’avoir une vision de la situation et de savoir comment gérer les micro-organismes spécifiques, comment les traiter, et comment prévenir leur réapparition.
« Dans la plupart des pays du Moyen Orient, le cancer du col de l’utérus est en hausse parce que beaucoup de femmes de la région évitent de se faire dépister. C’est une maladie qu’on peut prévenir si on dépiste régulièrement, et pourtant elle progresse, à la différence des pays qui promeuvent le dépistage, où les pourcentages sont très bas. De plus, le problème en ce moment est que de nombreux médecins ne prennent pas suffisamment le temps d’aider les patientes à comprendre pourquoi elles attrapent des infections répétées. Il est plus facile de dire à une femme de prendre des antibiotiques, qui pourraient pourtant créer des problèmes bien pires sur le long terme. C’est pourquoi à Omgyno nous essayons de vous donner les outils et les informations qui vous permettent de décider pour vous-mêmes », commente Doreen.
D’autre part, comme le confirme Katerina, « il y a plusieurs personnes autour de nous avec qui des gynécologues se sont très mal comportés. Il y a aussi des gens qui souffrent tout simplement à cause du dilatateur. C’est un processus très douloureux, surtout pour celles et ceux qui ont été abusés ou qui ont subi des traumatismes. Beaucoup de lesbiennes par ailleurs n’arrivent pas à croire que de telles pratiques aient toujours cours, et les individus transgenres ne savent pas quel docteur aller voir… faut-il aller chez l’urologue, le gynécologue, comment se faire dépister ? La plupart des médecins en Grèce ne sont pas suffisamment formés pour répondre à de telles situations et pour guider leurs clients correctement. »
En fin de compte, les personnes feront-elles confiance à ce processus autogéré ?
« Nous avons besoin de construire de la confiance. Comment avons-nous soudainement appris à nous auto-tester au Covid-19 durant la pandémie, par exemple ? Ne pouvons-nous pas faire la même chose pour notre santé vaginale ? Il y a des défis, bien sûr, mais puisque ça s’est avéré possible dans le monde entier, nous voyons la chose comme une opportunité de sauver des vies », selon Katerina.
« La peur actuelle est essentiellement une peur culturelle. Les méthodes d’auto-examen du vagin existent depuis 20 ans, il y a même un débat dans la communauté médicale qui se demande pourquoi la pratique n’est pas répandue partout, alors que de nombreuses recherches prouvent son efficacité », conclut Doreen.