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De nombreuses épouses de détenus palestiniens utilisent aujourd'hui le sperme de leur mari “introduit clandestinement" dans des éprouvettes de fortune pour la fécondation in vitro (FIV), qui devient de plus en plus courante dans le pays. Au début, beaucoup d'entre elles hésitaient à en parler par crainte de la répression et d’éventuelles critiques de la part de leurs voisins et des religieux, jusqu'à ce qu'un édit du Conseil suprême de la fatwa palestinien, en 2017, ne l'autorise dans le cas où les hommes sont condamnés à de longues peines d’emprisonnement.
Selon l'association de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l'homme Addameer, 4650 Palestiniens sont actuellement enfermés dans les prisons israéliennes. Beaucoup d'entre eux sont condamnés à des peines de 20, voire 40 ans, et la contrebande de sperme est le seul moyen de préserver leurs droits reproductifs dans une guerre qui semble ne pas avoir de fin.
En effet, les lourdes restrictions imposées par l'Agence de sécurité israélienne (ISA) interdisent les visites conjugales et n'autorisent que les rencontres par les fenêtres et les conversations téléphoniques. Les enfants de moins de 10 ans sont les seuls à pouvoir embrasser pendant quelques minutes leur père, qui, lors de ces contacts fugaces, offre des barres de chocolat ou des bonbons avec des tubes à essai de fortune, généralement des tubes de stylo, avec leur sperme caché à l'intérieur.
Les chiffres publiés par Middle East Monitor, en février 2021, révèlent que 96 enfants sont né.e.s jusqu'à présent grâce à cette méthode, proposée gratuitement par les cliniques locales aux épouses des combattants qu’elles considèrent comme des "martyrs vivants" pour le bien collectif.
Le photographe italien Antonio Faccilongo (Rome, 1979) a raconté leurs histoires dans le projet "Habibi, mon amour" en arabe, qui a remporté le prix "Story of the Year" du World Press Photo, consacré aux histoires d'importance journalistique internationale, et le "Long-Term project Award" organisé par la même organisation.
"Le point de vue du photographe, ainsi que le caractère unique de l'histoire, ont produit un chef-d'œuvre", a commenté Ahmed Najm, membre du jury de l'Agence irakienne de métrographie. "C'est l'histoire de la lutte humaine au XXIe siècle, l'histoire de ces voix inaudibles qui peuvent atteindre le monde si nous les véhiculons. Ce travail montre une autre facette du long conflit contemporain entre Israël et la Palestine."
Plutôt que de photographier l'occupation militaire, les actions de la guérilla, les blessés et les maisons détruites, Faccilongo a choisi de raconter l'impact de ces événements sur la vie des gens ordinaires et les difficultés auxquelles sont confrontées les familles des prisonniers politiques au quotidien. La détermination des épouses restées seules réaffirme chaque jour le pouvoir de l'amour contre les abus et la violence : pour certaines, c'est la seule forme de résistance possible.
Avec un regard délicat, intime et respectueux, l'auteur capte le mélange complexe de présence et d'absence, d'espoir et d'attente désespérée dans des chambres vides, sur des photos de jeunesse, dans les lettres de prison, et dans les visages d’enfants qui ont grandi sans père et de leurs mères, fortes, courageuses et profondément seules (1).
En 2013, le gouvernement israélien, afin de contrer le phénomène, a imposé une réduction drastique des visites, punissant les prisonniers par des méthodes d'emprisonnement encore plus extrêmes. Abdul Karim, qui purge une peine de 25 ans depuis 2001, a dû payer environ 1 500 dollars pour avoir conçu le bébé Majd in vitro avec sa femme Lydia Rimawi, et n'a pas été autorisé à recevoir de visites pendant deux mois.
Au fil du temps, les interdictions se sont assouplies mais les proches des détenus doivent souvent faire des voyages longs et difficiles pour leur rendre visite en prison : le petit Majd, qui a maintenant 9 ans, part avec sa mère à 5 heures du matin de Beit Rima près de Ramallah, prend trois bus et traverse un poste de contrôle pour pouvoir serrer son père dans ses bras pendant quelques minutes.
"Lors de la cérémonie de remise des prix, les familles que j'ai photographiées étaient connectées en ligne parce que c'était leur prix", a raconté M. Faccilongo dans une interview. Nous nous parlons tous les jours, les enfants m'envoient des photos de leur premier jour d'école, comme si j'étais leur oncle de Rome. Cela m'étonne quand certains collègues me disent qu'ils ne savent pas ce qui est arrivé aux personnes qu'ils ont photographiées. Je ne dis pas que c'est mieux de faire comme moi, mais cela me semble impossible de faire autrement."
Son premier voyage en Palestine remonte à 2008, pour apporter médicaments et aide humanitaire à Gaza, alors sous embargo. Peu après son arrivée, la deuxième intifada a éclaté. "J'étais déjà photographe et j'ai décidé de documenter ces affrontements, mais je suis rentré chez moi avec un grand poids pour ce que j'avais vu et constaté de mes propres yeux, se souvient-il dans une interview vidéo. Je ne pouvais pas ne pas continuer à documenter ce territoire, mais je voulais raconter quelque chose de différent de la guerre. Je pensais qu'il était très important de documenter les difficultés quotidiennes de ces personnes afin de leur rendre leur dignité. C’est ainsi que j’ai commencé à suivre les histoires de familles des prisonniers".