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La société palestinienne connait des violences graves et complexes. Ce sont généralement les femmes qui les subissent, et de loin, car elles sont encore au bas de la pyramide sociale et familiale. Elles font l’objet de plus grandes formes d'oppression et de persécution que le reste des femmes dans le monde. En plus d'être le maillon socialement le plus faible dans un environnement patriarcal dominé par le caractère tribal et fortement religieux, les femmes subissent également l'oppression coloniale en tant que Palestiniennes.
La violence contre les Palestiniennes est également une violence « sociétale ».
La société palestinienne, à l’instar des sociétés du Moyen-Orient, se caractérise par une structure hiérarchisée fondée en premier lieu sur les critères de sexe et d'âge. La société rejette généralement le principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Ce profond déni de droit transparait dans les situations, les histoires et les détails du quotidien de la vie des femmes en Palestine. Il sévit également dans les décisions de mariage, les péripéties d’un divorce et même dans les domaines de l'éducation et de la liberté de mouvement. Dans ces circonstances « ordinaires », au demeurant, les femmes palestiniennes ne peuvent toujours pas décider seules et en toute liberté car elles sont souvent obligées de se soumettre à l’avis de leur « tuteur ». Sur ce plan, la société contribue grandement à faire accepter cet état de fait si bien que ces règles apparaissent comme évidentes dans la vie des femmes, consacrant ainsi leur oppression.
Les statistiques des services spécialisés dans l’observation des violences à l’égard des femmes confirment l’ampleur de ce phénomène. A titre d’exemple, le recensement des cas de violence réalisé en 2019 indique que « 29% des femmes mariées ou ayant été mariées, âgées entre 18 et 64 ans avaient subi au moins une forme de violence exercée par le mari.»
Les violences faites aux femmes prennent une dimension sociale, voire officielle, car l'Autorité a apporté son soutien à la culture tribale dominante en instituant une « administration générale pour les affaires tribales» dépendant du ministère de l'Intérieur. Dans un contexte marqué par le gel des institutions législatives de l'Autorité ainsi que celles de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), ce fait accorde aux coutumes tribales avec leurs traditions patriarcales la légitimité d’une institution gouvernementale et exécutive.
Dans de nombreux cas, la société opte pour la justice tribale en raison du manque de confiance dans la justice de l’Autorité, d’une part, et du conflit entre le travail de la police et la culture sociale dominante, qui préfère soumettre ce qui est appelé « atteintes ou crimes d’honneur » à des groupes tribaux, d’autre part. Dans certaines régions, des « hommes des tribus » ont mené des agressions contre des centres ou des institutions appelant à la signature de la CEDAW, convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes. Les agresseurs arguent du fait que ces centres et institutions incitent à instituer des lois contraires aux coutumes et à la culture dominante.
Entretien avec Amal Juma'a, responsable des médias audiovisuels à la Women's Affairs Team
Quels recours pour les femmes victimes de violences en Palestine ?
Ce sombre constat est alourdi par l'augmentation des cas de violences à l'égard des femmes et par l'incapacité du système politique palestinien à y mettre fin. Malgré tous les appels, plans et projets en vue de la création d'institutions étatiques depuis l’avènement de l'Autorité palestinienne, seuls trois centres sécurisés pour les femmes ont été créés à ce jour, répartis dans trois villes. Ces centres n’ont pas été en mesure d’absorber et de traiter les cas de violences endémiques tandis que le recours à ces lieux reste rare comparé au nombre de femmes qui pourraient en avoir besoin.
Dans ce contexte, Amal Juma'a, responsable des médias audiovisuels à la Women's Affairs Team, affirme que « la peur de s’adresser à la police existe chez la plupart des femmes résidant en Palestine. D’où l'idée de créer des réseaux de protection informels, des espaces auxquels les femmes pourraient avoir recours si elles sont exposées aux violences en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. »
Amal Juma'a souligne que les violences sont un problème de société : «Tant que la société croira au droit des hommes d'opprimer les femmes, ces violences ne cesseront pas. Cette croyance constitue l'une des principales raisons, qui découragent les femmes d’aller vers des centres spécialisés. Etant entendu que l'incapacité de la loi de protection de la famille à mettre fin aux violences, contribue à perpétuer les injustices à l’égard de toutes les femmes.»
Dans son rapport statistique sur les centres de protection des femmes contre les violences, le ministère du Développement social indique que 93 femmes ayant subi des violences ont été hébergées dans trois centres situés dans les villes de Ramallah, Jéricho et Naplouse. Le rapport souligne que ces centres fournissent plusieurs services aux femmes victimes de violences, notamment une assistance psychologique, médicale et sociale.
Seuls trois centres sécurisés pour femmes ont été crées à ce jour. Même s’ils ne peuvent absorber les cas de violences endémiques, le recours à ces centres reste très rare.
La pandémie de la covid-19 a eu un impact énorme sur la société palestinienne, qui souffrait déjà du chômage, de la paupérisation et de l'occupation, exacerbant ses problèmes économiques, psychologiques et sociaux. Cependant, cet impact, comme attendu, a doublement affecté les femmes. Cela explique, dans une certaine mesure, l'incidence élevée des féminicides pendant la pandémie et l'effondrement économique. Le nombre de meurtres a atteint 23 cas en 2019 et 15 en 2020.
Entretien avec Amal Juma'a, responsable des médias audiovisuels à la Women's Affairs Team
Amal Abu Sorour, directrice de programme au Women's Center for Legal and Social Guidance, constate « une augmentation importante et sans précédent des cas de violences en Palestine, en particulier pendant la période de propagation de la covid-19 et le confinement qu’a connu le monde. » Et d’ajouter : « Nous avons recensé plusieurs raisons à la recrudescence des crimes et des violences à l’encontre des femmes. En premier lieu, la présence de l'agresseur à l’intérieur du foyer pendant une longue période sans possibilité d’en sortir ; ensuite il y a eu l'interruption de l’activité des institutions féministes et sociales et le manque de communication ou d'accès aux services fournis aux femmes. Tous ces facteurs ont constitué des charges psychologiques, économiques et sociales supplémentaires pour les femmes. Ils ont contribué à un niveau sans précédent de violence et de criminalité. »
Amal Abu Sorour note « l'émergence de nouveaux types de violence psychologique en raison de la pression et du confinement, y compris la privation des droits économiques et les nouvelles charges imposées aux femmes. En plus de leurs tâches ménagères quotidiennes, les femmes doivent apporter les soins aux malades, aux personnes âgées, aux enfants et superviser l'enseignement électronique à distance. »
En parallèle, le gouvernement a étrangement annoncé en 2020 une baisse des chiffres des violences en Palestine malgré l'augmentation des cas enregistrés par les organisations de femmes.
Amal Abu Sorour avance une explication : « En tant qu'institution, nous n'avons pas cessé de travailler avec les femmes pendant ces crises. Cette déclaration du gouvernement signifie que le contact des femmes avec la police ou les refuges et les maisons d'hébergement pendant la propagation de la covid-19 était très faible en raison du confinement et de l'état d'urgence. Il faut y ajouter, dit-elle, un système de transfert des victimes défaillant, l’absence d’une stratégie claire d’accueil et de diagnostic des victimes, préalable à leur mise à l’abri ainsi que l’incapacité de l'autorité à leur accorder la priorité souhaitée. »
Amal Abu Sorour poursuit : « Nous avons assisté à une augmentation sans précédent du nombre d'appels sur les hotlines, soit 160 % par rapport à la même période l'année précédente. »
Paradoxalement, cette augmentation continue des violences à l'égard des femmes ne s'est accompagnée d'aucune évolution des politiques et mécanismes officiels qui préserveraient les droits des femmes en temps de crises sanitaire et économique et les protégeraient adéquatement des violences privées ou publiques. Ou du moins leur éviteraient de subir l’oppression d’un mari ou d’un parent violent dans des lieux fermés où leurs plaintes restent inaudibles. La solution de ce problème réside dans la multiplication de maisons sécurisées et l’encouragement officiel à briser la culture patriarcale et tribale dominante par l’engagement sérieux vers des lois civiles et leur application.