Depuis 2011, date de la révolution tunisienne, le pays connaît des dynamiques socio-politico-culturelles inédites, qui ont probablement été à l’origine de l’apparition sur la scène publique des communautés LGBTQ++. Des associations sont nées et des festivals sont programmés afin de donner une voix à des groupes queer, qui continuent pourtant à vivre dans un contexte défavorable à toute sexualité non normative.
Parmi les évènements qui ont eu lieu à Tunis dernièrement, et qui attestent de ce mouvement, s’est tenu le colloque international intitulé « Solidarités internationales et politiques queer mondiales » (15, 16 et 17 septembre).
La rencontre a été coorganisée par l’Université tunisienne de la Manouba, l’Université libre de Bruxelles (ULB) et l’Institut de recherche sur le Maghreb Contemporain (IRMC).
Elle a vu la participation de plusieurs chercheur.e.s et d’activistes africains, européens et canadiens, qui travaillent sur le vécu et les discriminations que rencontrent les personnes queer du sud une fois exilées dans les pays du nord.
Leurs mythes d’un occident accueillant et libérateur s’effondrent alors devant les formes d’oppression qu’elles affrontent à cause de leurs différences ethniques et culturelles.
Monia Lachheb, fait partie de l’équipe de chercheur.e.s tuniso-belge qui a réfléchi, coordonné et mis en place le colloque. Sociologue tunisienne, ses travaux portent sur le corps et les sexualités. Elle a notamment dirigé un ouvrage intitulé « Etre homosexuel au Maghreb » (Karthala, 2016).
Identifiée et persécutée par les services secrets
La sociologue a présenté au cours du colloque, le parcours d’une jeune libyenne lesbienne réfugiée en Italie sur la base de son orientation sexuelle. Une trajectoire semée d’embuches à laquelle la chercheuse a consacré un excellent article publié dans la revue Alterstice ( 2021). Fatma, (pseudonyme) est âgée de 30 ans en 2019, année au cours de laquelle Monia Lachheb réalise une série d’entretiens avec elle à Milan.
« Au départ, elle n’était pas prête, ni très enthousiaste pour témoigner », se rappelle la sociologue. La confiance est venue graduellement et le récit de vie de la Libyenne a été tissé au gré de longs échanges entre les deux femmes.
La méfiance de Fatma a pour origine le très défavorable contexte libyen quant aux libertés individuelles. Dans son pays, l’homosexualité n’est même pas envisagée par la loi et le Code pénal, promulgué en 1953, mentionne que toutes les formes de sexualité en dehors du mariage hétérosexuel sont illégales et passibles d’une peine de prison allant de trois à cinq ans. Dès l’année 2011, partir était devenu vital pour la jeune femme, d’autant plus qu’elle était persécutée par les services secrets libyens.
« L’asile pour un réfugié c’est aussi une prison »
Fatma décide de s’envoler vers une première destination européenne, la Suède, avant de se rendre compte qu’il était plus facile de demander l’asile en Italie. Mais là aussi, c’est à un parcours du combattant qu’elle fait face malgré l’appui d’associations LGBTQ locales.
« L’asile n’est pas simplement une question de paperasse qui t’autorise une stabilité, une liberté de circulation... L’asile pour un réfugié c’est aussi une prison. Être obligé de rester dans un État pour une année ou deux, le temps d’avoir un passeport, n’est pas chose facile », écrit Monia Lachheb en citant la jeune femme.
Fatma passe par une phase d’enfermement sur soi, ses diplômes de droit ne sont pas reconnus et elle ne parle pas l’italien. « Dans mon premier travail dans un restaurant, j’ai fait face au sexisme et au racisme de la part du patron. Il ne cache pas ses préférences pour les Italien·ne·s, ni son regard méprisant pour les personnes racisées. Il sait que je suis lesbienne et il ne rate pas une occasion pour prononcer des mots sexistes qui prônent la domination des hommes… Après tout ce que j’ai fait pour quitter la Libye, je me retrouve dans le même conflit… le même combat… », témoigne Fatma dans l’article de l’auteure publié dans Alterstice.
Militante pour la cause des femmes lesbiennes et racisées
Passionnée par l’activisme, elle, la juriste de formation, s’investit dès 2012 dans le milieu associatif LGBT italien et contribue à la lutte pour les droits des personnes LGBT+ migrantes et réfugiées.
Elle va même jusqu’à représenter, avec d’autres libyen·ne·s, le groupe de militant·e·s en ligne Kuzah (arc-en-ciel) à la Gay Pride de Milan en 2014. Or, là aussi les relations ne sont pas égalitaires entre Italien.n.e.s et personnes racisées. Des barrières s’érigent entre le « nous » et le « vous » y compris lors d’actions communes.
Dans son article Monia Lachheb rapporte les propos de la jeune femme : « Lors d’événement sur la communauté LGBT africaine, tout est déterminé par les “blancs” : le financement, le programme, les activités connexes, la manière de voir les choses… Je suis présente, avec d’autres, comme figurante. Les discours prononcés ne tiennent pas compte des différences culturelles, ni des différents contextes… »
Parce qu’elle se rend également compte que les lesbiennes venues des pays du sud ont tendance à être invisibilisées au profit des gays débarquant des mêmes régions, Fatma décide avec un groupe de militantes queer de fonder l’association Lesbian Refugee centrée sur les femmes lesbiennes, migrantes et refugiées en Italie.
Mais au grand dam de la jeune activiste, la société italienne semble de plus en plus assaillie par les mouvements populistes et nationalistes, qui font des migrant.e.s les parias de la République. Une réalité qui entraine une vulnérabilité accrue des femmes à sexualité non normative venues d’ailleurs.