Depuis le scandale qui a éclaté en 2016 sur le Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême à l’annonce d’une sélection de bédéistes 100% masculine, le vent semble avoir définitivement tourné. Le festival a retenu cette année pour sa nouvelle édition, du 17 au 20 mars, trois autrices en lice : Penéloppe Bagieu rendue célèbre avec les aventures de Joséphine et son Album « Culottées », la canadienne Julie Doucet, nom majeur de la bande dessinée, et Catherine Meurisse, dessinatrice, caricaturiste et reporter. Mais derrière ces stars du 9ème art, c’est tout une génération de jeunes bédéistes qui pointe son nez.
Pauline Torregrossa fait partie de leurs files. Dans ses créations, la jeune femme a recours à un style d’une douceur mordante pour défendre les deux causes fondamentales qui ont façonné son parcours : le féminisme et l’écologie. Voulant éclairer l’imbrication entre inégalités de genre et réchauffement climatique, elle a publié sur son site « Premières impactées, premières mobilisées » .
Dans ses illustrations qui disent tout son attachement à la biodiversité, Pauline Torregrossa incarne dans une explosion de couleurs les créatures d’un monde végétal qui n’est pas sans rappeler les représentations de la végétalité des femmes artistes de l’art brut (1).
Elle a aussi récemment publié avec sa sœur, Lucile Torregrossa, « Vivace », un roman graphique paru aux éd. Des ronds dans l’O qui s’articule lui aussi autour du thème de l’écologie et révèle tout leur talent. Une navigation sur le site de leur l’éditrice Marie Moinard vaut le détour, on y découvre de jeunes dessinatrices dont les BD donnent une envie irrésistible d’être feuilletées, telles que « Ma grossesse tout le monde s’en mêle » de Sandra Camilleri, Loudia Gentil et Lili L’archi ; le beau biopic de Virginia Wolf signé Liuba Gabriele, ou encore les albums collectifs d’artistes mobilisé.e.s contre la violence faites aux femmes, intitulés « En chemin elle rencontre».
Entretien avec Pauline Torregrossa
Quel est votre parcours ? Comment en êtes-vous venue à la bd et à l'illustration ?
Je dessine depuis toute petite, avec l'envie de faire de la bd. J'ai d'abord fait un BTS en Design Graphique avant de m'orienter vers l'organisation de projets culturels, avec plutôt des expériences dans le spectacle vivant. En deuxième année de master professionnel (en Développement culturel du territoire), j'ai réalisé un stage au Fonds pour les Femmes en Méditerranée en tant que chargée de projets. Cela m'a permis de rencontrer des groupes féministes très différents au Maroc, à Zagreb ou à Paris. J'avais envie de raconter toute cette intelligence collective et ces victoires. Cette expérience m'a donné confiance en moi pour me lancer dans l'illustration et le dessin, que j'avais délaissés. Il fallait que je me donne ma chance !
Comment définiriez-vous votre engagement féministe par le dessin ?
Pendant cette expérience au Fonds pour les Femmes en Méditerranée, j'ai rencontré les membres d'un collectif écolo et féministe, Pieds de Biche, qui m'ont ouvert les yeux sur la manière dont notre genre impacte la façon dont nous vivons les effets du réchauffement climatiques. En parallèle, je lisais des études montrant combien les personnes assignées femmes étaient plus durement frappées par les catastrophes naturelles, d’autant plus selon les territoires qu’elles habitent, leurs couleurs de peaux... J'ai voulu faire quelques planches de bd à destination des réseaux sociaux pour expliquer ces liens de cause à effets et montrer ces injustices. Ce travail a pris de l'ampleur, ma sœur Lucile Torregrossa m'a rejoint dans l'aventure : on a aussi décidé de s’adresser à un public large et de raconter des luttes de femmes pour l’environnement qui donnent de l’énergie. Cela a donné un roman graphique à destination des adolescent.e.s et adultes, Vivaces, paru en novembre 2021 aux éditions Des ronds dans l'O ! Mon engagement féministe a été un point de départ et toutes les personnes féministes avec qui j’ai partagé des moments de lutte ou de joie ces dernières années ont nourri ce roman graphique.
On a souvent accusé votre génération d'être peu politisée, cependant j'ai l'impression que vous êtes toutes, ou presque, portées par une vraie conscience féministe, comment l'expliquez-vous ?
Ces accusations me semblent infondées. La société a changé, les mouvements et les paroles féministes ne sont plus confidentiels. Après le mouvement Me too par exemple, il n’a plus été possible de faire comme si les violences sexistes n’existaient pas. Je suis aussi impressionnée par les plus jeunes que moi qui ont une avance folle sur ma génération sur les questions de genre, qui bloquent leur collège suite à des actes choquants...
Découvrir les créations de Pauline Torregrossa
Les prochains rendez-vous de Pauline Torregrossa avec, ou sans, Lucile Torregrossa :