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Qu'est-ce que le consentement ? sorti au printemps 2025 est le premier ouvrage de la collection Dis maman, dis papa, qui s'adresse à la fois aux enfants à partir de 4 ans et à leurs parents. D'autres livres éducatifs verront prochainement le jour sur la corruption, les animaux errants, le recyclage ou encore la diversité. Pourquoi avoir choisi la question du consentement pour débuter cette série ?
En Tunisie, il y a tout un changement sociétal qui est en cours, sans que nous prenions en compte l'impact de ces transformations sur la jeunesse. J'ai constaté qu'il y avait un manque en termes de communication concernant la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. C'est un sujet tabou. Pas seulement en Tunisie, également en Suisse, en France, où c'est difficile d'évoquer l'inceste ou les violences intrafamiliales.
Initialement, mon objectif était d'apprendre aux enfants à dire non. Le consentement est une thématique sensible. Dans le livre, nous parlons d'attouchements, de violences sexuelles, des violences banalisées au sein de la famille, mais de manière un peu indirecte.
Dans chaque ouvrage, il y a des messages écologiques, féministes ou décoloniaux concernant les standards de beauté par exemple. On m'a dit "tu devrais commencer par une thématique un peu plus légère". Or pour moi, le livre sur le consentement, c'était la base de tout le projet. Je ne peux pas aider les parents ou les professionnels de l'éducation à enseigner à leurs enfants les notions de diversité, de respect d'autrui, de l'environnement, des animaux errants sans déjà leur apprendre ce qu'est le respect de soi.
L'histoire s'articule autour d'une suite de questions posées par les deux jeunes protagonistes : « Comment savoir si je veux retirer mon consentement ? Qu'est-ce que je fais si quelqu'un rentre dans ma bulle ? ». Quel a été le processus d'écriture de cet ouvrage ?
Ce premier livre est l'aboutissement de trois ans de travail. Nous avons travaillé avec une pédopsychiatre, la docteure Khadija Boughaïa Bagbag, pour que le contenu soit adapté aux enfants. Lors de notre première rencontre, elle m'a expliqué que pour les thématiques compliquées, il vaut mieux laisser l'enfant poser des questions, à partir desquelles on peut construire un dialogue. Donc ça a été la base méthodologique du projet.
Je ne peux pas aider les parents ou les professionnels de l'éducation à enseigner à leurs enfants les notions de diversité, de respect d'autrui, de l'environnement, des animaux errants sans déjà leur apprendre ce qu'est le respect de soi.
En plus de ce travail collaboratif, j'ai avalé des heures de documentaires sur les violences sexuelles et sur les notions de consentement. J'ai emprunté une trentaine de livres à la bibliothèque. J'y ai trouvé 70 % des questions qui pouvaient être posées.
Au fur et à mesure de la création du livre, de nouveaux besoins ont émergé. Le livre n'est donc pas seulement un récit, mais il présente aussi des contacts ressources, un guide à destination des parents et une partie interactive où les enfants peuvent dessiner une situation où leur consentement n'a pas été respecté.
Vous aviez à cœur de proposer un ouvrage inclusif. Trois versions en sont disponibles : en arabe tunisien, en anglais et en français, mais également en langue des signes, en braille et en audio. Existe-t-il des variations au niveau du contenu ?
Non, le livre est identique. Les versions audio, dépourvues d'images, sont juste un peu plus explicites. L'ouvrage s'adresse d'abord au public tunisien, mais il est adapté à tout enfant issu de culture non occidentale. Par exemple, la petite fille qui a un mono-sourcil et les cheveux bouclés, n’incarne pas seulement les jeunes filles tunisiennes.
Je voulais aussi promouvoir la culture tunisienne et immortaliser certains éléments que les enfants de 4 ans ne voient plus aujourd'hui, comme les tatouages berbères de nos grand-mères par exemple.
Ce livre est un projet 100% tunisien. J'avais envie de faire bouger les choses dans le domaine de la littérature jeunesse en Tunisie. Petite, je n'avais jamais vu en Tunisie de jolis livres pour enfants tunisiens. À raison, cela coûte trop cher à faire, c'est beaucoup d'énergie et ce n'est pas rentable. Dans la bibliothèque de jeunesse à Lausanne, où j'ai grandi, j'avais des beaux livres colorés, cartonnés, bombés, avec plusieurs thématiques. Et puis quand je venais en Tunisie, j'avais le petit livre moche. C'est vraiment subjectif, mais en tout cas qui n'était pas coloré et qui ne se tenait pas.
Techniquement, cela a été une prouesse de pouvoir réaliser notre ouvrage en Tunisie, concernant le rapport qualité-prix. Mais le livre va être exporté à l'étranger. Ça me fait plaisir qu'on puisse voir des noms arabes sur une étagère de livres pour enfant, dominée par des auteurs et des entreprises non arabes.
Dis maman, dis papa est un projet d'envergure. Vous proposez aussi de distribuer gratuitement le livre aux associations. Avez-vous reçu des financements extérieurs pour ce projet ?
Non, aucun. J'ai beaucoup mangé de riz, j'ai dormi par terre, je n'avais plus d'argent... J'ai commencé ce projet il y a quatre ans et j'ai fini mes études en février 2025. Mon premier vrai salaire je l'ai eu au mois de mai. Avant cela, j'enchaînais les jobs étudiants, plus ou moins ingrats et je faisais des stages. Je ne voulais pas que les gens qui travaillent pour ce projet ne soient pas rémunérés. Mieux encore, je voulais qu'ils soient rémunérés davantage que la moyenne. Je travaillais nuit et jour pour cela. J'ai obtenu des propositions, malheureusement les sources de ces financements étaient liées à des conflits géopolitiques ou des ressources dont je ne côtoyais pas l'acquisition.
Je finance le projet toute seule pour le moment. Plus tard, j'aimerais pouvoir faire en sorte qu'il s'autofinance. C'est un projet déficitaire, mais c'est comme un don pour mon pays. En attendant que je puisse l'aider à faire des changements profonds et structurels grâce à mes études et à ma carrière, je ne peux pas rester sans rien faire.
Quels ont été les retours après les premiers exemplaires vendus ?
Je n'arrive pas à croire que tout se passe si bien. En Tunisie, nous avons davantage des livres pour s'amuser, mais des ouvrages profondément éducatifs,100 % axés sur l'enseignement de valeurs, il n'y en a pas. Quand nous avons fait le lancement à la foire du livre, je me suis dit : vraiment si on vend trois livres par jour pendant quatre jours, je serais contente. Et en fait nous avons vendu 55 livres. Puis, j'ai eu différents témoignages. Par exemple, une maman a acheté le livre pour le lire avec sa fille. Elles sont arrivées à l'activité interactive et la petite fille s'est dessinée au hammam. Sa maman lui a demandé d'expliquer son dessin et sa fille lui a alors confié qu'elle n'avait pas aimé la manière dont la dame du hammam l'avait touché. Elle a donc réussi à mettre les mots sur une situation embarrassante, qu'elle n'avait auparavant pas évoqué. Pour moi cet échange montre que le livre a rempli son objectif. J'imagine que plus tard, cette petite fille arrivera à détecter une situation à risque avant que ça ne devienne trop grave.
