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En ce début d’été, les rayons du soleil se déploient sur l’Université de Birzeit. Elle accueille plus de 13 000 étudiant.es au sein de ses 9 facultés. Ce sont de grands bâtiments en pierres blanches perchés sur l’une des collines de la ville de Birzeit, à 9 km au Nord de Ramallah. D’abord créée en 1924 comme école de filles pour les enfants des villages alentours, elle est aujourd’hui la meilleure université en Palestine, se hissant au douzième rang parmi les universités arabophones à travers le monde en 2025. Pas tellement étonnant dans un pays où l’éducation est considérée comme étant essentielle. Autant pour les jeunes hommes que pour les jeunes femmes qui, elles, représentent 64% des étudiant.e.s.
Habitué.e.s aux contrôles aléatoires
Ils/elles entrent et sortent par un grand portail noir en acier, sous l’oeil vigilant du personnel de sécurité. Les agents, postés à l’entrée, arrêtent des jeunes au hasard pour leur demander leur carte. Ils les laissent passer et expliquent : « On se doit d’être vigilants. Beaucoup d’incidents sont arrivés. » Par « incidents », il veut parler des arrestations par l’armée israélienne ou l’Autorité palestinienne, des incursions de soldats israéliens infiltrés suivie d’une fusillade ou des raids de voitures blindées de l’armée israélienne. Une stèle a même été installée au centre du campus en mémoire des étudiant.e.s tombé.e.s en martyr. L’inscription précise que la liste des noms n’est pas exhaustive.

Visiblement, tous.tes sont habitué.e.s aux contrôles aléatoires. L’agent se lève : « Montrez-moi votre carte d’étudiant, s’il vous plaît ». L’étudiante en question ne s’embarrasse même pas d’une réponse. Elle dégaine sa carte et après validation de l’agent, continue son chemin pour se mêler au ballet des allées et venues. Une étudiante déboule par la gauche, téléphone à l’oreille et manuel pressé contre la poitrine pour rejoindre un groupe d’étudiantes qui la questionnent du regard. Elle termine son appel et rapporte : « l’armée est au camp » Les autres jettent à leur tour un coup d’oeil à leurs téléphones respectifs et confirment : l’armée israélienne vient de pénétrer dans le camp de réfugiés de Al Jalazoon pour y mener une opération militaire. Elles ne peuvent donc pas immédiatement rentrer comme elles l’auraient espéré. Alors, elles s’interrogent du regard pour décider de ce qu’elles vont faire : attendre la fin de l’opération militaire israélienne ou rentrer ? Elles coupent la poire en deux et l’une d’elle tranche : « Allons d’abord boire un jus à Ramallah avant de rentrer quand ce sera terminé ». Autrement dit quand l’armée israélienne sera repartie. L’opération ne durera que quelques heures, cette fois-ci sans conséquence notoire.
« Comment on peut envisager l’avenir quand, à côté, nos frères et nos soeurs meurent de faim et sont assassiné.e.s sous les bombes ? Les prochain.e.s, c’est nous »
« Avant c’était dur, maintenant c’est pire »

En pénétrant davantage dans le campus, on longe les arbres qui encadrent la route. Des voitures y circulent tant il est grand. Il est pensé pour accueillir un nombre important d’étudiant.e.s, dont ce groupe assis à l’ombre en train de faire une pause. L’ambiance est joviale et les discussions s’interrompent pour laisser place aux présentations. C’est Rama qui prend la parole en premier et commence par se présenter : « je suis en troisième année de design, parce que je voulais mettre ma créativité au service de raisons pragmatiques. Pour les opportunités de carrière. Même si j’ai bien conscience qu’elles sont rares ». En effet, d’après le Bureau central palestinien des statistiques (PCBS), 31% des jeunes diplômés ne trouvent pas de travail après leurs études et 68% d’entre eux ne parviennent à trouver un emploi en adéquation avec leurs études.
À l’évocation du futur, Hala, une autre étudiante, elle aussi en troisième année de design et assise à la gauche de Rama, se met à rire et s’explique : « la vie ne nous permet pas d’envisager le futur ». C’est tout le paradoxe pour des étudiantes en Palestine ; l’université prépare à l’avenir mais, pour elles, impossible de se projeter. Tout peut arriver à n’importe à quel moment, à elles-mêmes comme à leurs proches. « On a tous un ou plusieurs membres de notre famille ou de nos ami.e.s en prison ou tombé en martyr ».
Et puis, « Gaza n’est pas très loin », ajoute Rama. En ce début mai 2025, ce sont 53 000 gazaoui.e.s qui ont été tués par Les bombardements israéliens. Ils s‘y sont intensifiés, tuant entre cinquante et cent personnes en moyenne par jour. Les étudiantes expliquent qu’une manifestation vient justement de se terminer. Organisées régulièrement, elles servent de sordide rappel « pour qu’on n’oublie pas Gaza », comme le précisent Hala et Rama. Cette dernière demande : « comment on peut envisager l’avenir quand, à côté, nos frères et nos soeurs meurent de faim et sont assassiné.e.s sous les bombes ? Les prochain.e.s, c’est nous ». Et Hala ajoute : « J’aime ma famille et je voudrais rester ici, mais qu’est-ce qu’on a comme avenir ici ? Tout le monde ne parle que de partir. Et ceux qui partent finissent par ne jamais revenir. C’est l’instabilité qui nous pousse au départ ». Elle termine en citant les paroles d’une chanson du populaire rappeur palestinien Shabjdeed dans sa chanson “Ya balad”, il dit : “بلادنا بتخزي بس بنحب البلاد”. Les étudiantes traduisent en choeur ; « notre pays craint, mais on aime notre pays ». Ce sentiment n’a rien de nouveau.
« C’était déjà dur avant [le 7 octobre 2023], maintenant c’est pire », assène Razan. Jusqu’à présent, elle s’était tue. Elle écoutait, assise en face de Hala qui rebondit : « évidemment, les conditions pour étudier étaient compliquées mais aujourd’hui c’est pire. C’est simple, si je ne vois pas de soldats israéliens sur la route pour venir au campus, je trouve ça bizarre ». Elle mentionne les barrages militaires israéliens qui se sont installés parfois définitivement, d’autres fois aléatoirement, mais tous avec les mêmes conséquences : ces checkpoints rallongent significativement le temps pour se rendre à l’université. Avant, Hala mettait 10 minutes pour se rendre sur le campus. Aujourd’hui, il lui en faut au moins 45. Et elle s’estime chanceuse ; certain.e.s mettent parfois des heures avant d’arriver à l’université, au point de devoir parfois déménager afin de poursuivre sereinement leurs études. « Ils [l’occupation israélienne] cherchent à nous compliquer la vie, mais ça ne nous empêchera pas de continuer à étudier ».
Puis, une à une les étudiantes s’excusent. La pause a assez duré, le devoir les appelle...