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Louise Aurat
Clermont-Ferrand, département français du Puy de Dôme. C'est dans la rue Lucie et Raymond Aubrac, du nom d'un couple de résistants français à l'occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, que se situe le centre 25 Gisèle Halimi. Une autre personnalité de l'Histoire de l'hexagone, dont le patronyme incarne lui aussi un combat, bien que de nature différente. L'avocate et militante franco-tunisienne est connue pour le procès pour viol d’Aix-en-Provence, son activisme en faveur de la légalisation de l'avortement en France et plus généralement pour sa lutte pour l'émancipation des femmes.
Son visage souriant rayonne sur la façade du bâtiment, soit 743 m² répartis sur deux étages, entièrement dédiés aux femmes. Trois associations y sont hébergées à titre gracieux par la municipalité de Clermont-Ferrand : le planning familial, le centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) et A.V.E.C-France Victimes. Différents partenaires assurent également des permanences ponctuelles comme l'ordre des avocats ou la Caisse des Allocations Familiales (CAF). Ici, chaque habitante peut obtenir, entre autres, une consultation médicale en gynécologie avec ou sans couverture sociale, s'informer sur ses droits, être accompagnée gratuitement par une psychologue pour celles qui sont victimes de violences, ou encore se reposer librement dans la salle de repos.
Un seul lieu pour répondre à plusieurs problématiques
La création de ce lieu, en décembre 2023, s'inscrit dans une politique plus globale de lutte contre les discriminations, qui s'est renforcée ces dernières années dans cette ville de quelque 150 000 habitants, avec à sa tête le socialiste Olivier Bianchi. Suite à son élection en 2014, le maire a mis en place une mission égalité des droits, représentée à ses débuts par un agent municipal. Ils sont aujourd'hui au nombre de quatre et le budget de l'année 2025 prévoit l'embauche de deux personnes supplémentaires. Une partie d'entre eux est présente au 25 Gisèle Halimi, dont la coordination fait partie intégrante du travail mené par cette délégation.
Le projet d'un tel espace prend forme suite au Grenelle des violences conjugales, cette série de tables rondes réunissant associations et responsables politiques organisées sur tout le territoire entre septembre et novembre 2019, pendant le premier mandat du président Emmanuel Macron. « La préfète du Puy-de-dôme avait organisé une conférence inversée avec des femmes qui étaient sorties de parcours de violences conjugales et venaient pour témoigner de leurs difficultés. Beaucoup disaient avoir identifié le 3919*, mais ensuite sur Clermont-Ferrand on leur donnait quatre numéros d'associations différentes. Qui appeler ? Pour quelles raisons ? C'était un frein », résume Marie Costenoble, la coordinatrice du 25 Gisèle Halimi, rattachée à la mission égalité des droits.
Sitôt passées la porte du centre, verrouillée par un interphone, toutes les femmes sont accueillies par un guichet unique. L'hôtesse à l'entrée se charge d'orienter les dames qui ont déjà un rendez-vous. Les autres ont la possibilité d'être reçues en entretien, pour que leur besoin soit identifié. Marie Costenoble prône une écoute inconditionnelle : « Nous voulons être un lieu d'écoute et de bienveillance. Si l'entretien doit durer trois heures, il durera trois heures. »
Des locaux adaptés à l'accompagnement des victimes de violences conjugales
Au second étage, Nathalie Quesnel, travailleuse sociale au sein de A.V.E.C France Victimes nous fait visiter les locaux de l'association : un coin jeux pour les enfants à proximité du bureau du psychologue, isolé derrière une vitre transparente, une salle d'attente équipée d'un ordinateur pour que les femmes puissent effectuer tranquillement des démarches administratives, un endroit avec des casiers sécurisés pour déposer des papiers ou des affaires personnelles. Nathalie Quesnel accompagne les femmes qui expriment le souhait de quitter leur domicile conjugal. Cet espace d'accueil est conçu pour que ces dernières puissent anticiper un départ dans de bonnes conditions, au contraire de ceux qui se font dans l'urgence et qui risquent de déboucher sur un retour à la maison. En plus de disposer de "locaux super adaptés", Nathalie Quesnel voit plusieurs avantages à être dans un centre qui s'adresse à un large public : « Les personnes qui se présentent au 25 Gisèle Halimi ne viennent au départ pas toutes pour des problèmes de violences. Cela nous permet d'identifier de nouvelles victimes qui ne se reconnaissent pas toujours comme telles. » La travailleuse sociale rappelle qu'il n'y a pas de profil type : «Nous recevons des femmes de toutes les catégories socio-professionnelles, de tout âge, mère ou non.»
« Nous voulons être un lieu d'écoute et de bienveillance. Si l'entretien doit durer trois heures, il durera trois heures. »



Un accès aux soins pour toutes
En redescendant les escaliers, nous arrivons au centre de santé. Cet autre constat, la baisse du nombre de gynécologues médicaux en activité, a convaincu la municipalité d'ajouter un accès aux soins pour toutes, en plus d'un point d'accueil pour les femmes victimes de violences. Les besoins en la matière s'avèrent réels. En décembre 2024, sur 967 femmes venues au centre, 610 ont bénéficié d'une consultation au planning familial (suivi gynécologique et grossesse, contraception, IVG médicamenteuse, etc.). Depuis son ouverture, le nombre de fréquentations du 25 Gisèle Halimi ne cesse d'augmenter. Les premiers mois de l'année 2024, environ 600 personnes étaient comptabilisées.
Si la grande majorité de ces femmes sont victimes de violences, les services proposés par le centre s'adressent bien à toutes. C'est en partie ce qui le différencie, des Maisons des femmes qui existent aujourd'hui dans plusieurs villes françaises, dont Clermont-Ferrand depuis novembre 2024, à quelques pas d'ailleurs du 25 Gisèle Halimi.
Les deux structures sont amenées à travailler en étroite collaboration. Alors que la Maison des femmes est conçue comme une unité de soins, le 25 Gisèle Halimi est davantage qu'un simple centre de santé. C’est aussi un lieu de ressources, avec des expositions qui explorent la thématique des droits des femmes ou, encore, des conférences.
Se ressourcer
Ce matin de février, un atelier de sport se déroule pour la troisième semaine consécutive. L'animateur propose des activités selon les envies des participantes. Les trois femmes qui ont répondu à l'appel ce lundi s'activent en musique, sur des exercices de renforcement musculaire. « Chacune fait ce qu'elle peut, à son rythme. C'est un créneau de deux heures, mais en général l'activité physique ne dure pas aussi longtemps. C'est aussi un temps pour discuter du quotidien », explique l'éducateur sportif, Baptiste Boulet. Ce dernier espère aussi à l'avenir organiser des sorties en plein air. Anne (1) est un peu essoufflée, elle dit avoir « perdue beaucoup de masse musculaire » et ressent le besoin de faire du sport pour faire face à des problèmes médicaux. Manon (2) l'encourage : « Tu te débrouilles très bien ! » Cette jeune femme s'est inscrite à l'atelier sport après avoir suivi celui en sophrologie. « Je cherchais à me redécouvrir, à prendre soin de moi. Je m'oubliais, je pensais d'abord aux autres. Ça m'a permis de me reconnecter à moi-même. », témoigne-t-elle. C'est le 3919 qui a orienté Manon au 25 Gisèle Halimi. Un « jardin secret » selon ses mots, où elle a aussi bénéficié d'une aide psychologique pendant plusieurs mois. « Je n'aurais pas pu consulter un psychologue payant car je suis sans travail actuellement. Ça m'a beaucoup aidé », partage-t-elle.
En tant que professionnelle, Nathalie Quesnel voit dans ces ateliers un grand intérêt : « Cela permet de proposer autre chose après les rendez-vous et de ne pas maintenir les femmes dans leur statut de victime. Elles peuvent ainsi y rencontrer différentes personnes et reprendre confiance en elle pour aller vers les autres. »
Unique en France à sa création, le 25 Gisèle Halimi inspire, la mission égalité des droits a été contactée par plusieurs villes françaises qui voudraient reproduire le modèle clermontois.
Dans la salle de repos, en libre accès, une bibliothèque féministe, où sur les bords des étagères se glissent des flyers de prévention et sensibilisation divers : « la contraception une histoire d'hommes aussi », « 20 millions de personnes n'ont pas accès à l'avortement en Europe ». « L'idée, c'est que ce lieu soit visible pour de la documentation. Je viens voir une expo, une conférence et je prends de l'information aussi. Des femmes qui ne seraient pas encore prêtes à parler de leurs problématiques peuvent juste venir faire du repérage sur ces temps-là », souligne Marie Costenoble.
Unique en France à sa création, le 25 Gisèle Halimi inspire, la mission égalité des droits a été contactée par plusieurs villes françaises qui voudraient reproduire le modèle clermontois.
Le nom des participantes a été changé pour préserver l'anonymat des personnes.
Le 3919 est le numéro français de référence pour l'écoute et l'orientation des femmes victimes de violence.