Sur un ton agressif, voire souvent hargneux, Imad Trabelsi, ministre du gouvernement intérimaire du Premier ministre Abdelhamid Dbaibah, s’est dit décidé de renforcer « les normes morales de son pays ». Le ministre de l’Intérieur par intérim a déclaré qu'il n'y avait « pas d'espace pour la liberté personnelle en Libye » et qu'il déploierait une « police des mœurs » pour surveiller les interactions sociales entre les femmes et les hommes, la mixité dans les cafés et les lieux publics menaçant d'« emprisonner les couples sans lien de parenté qui se rencontrent en public ».
En plus du port obligatoire du voile pour toutes les femmes et filles dès l'âge de 9 ans, y compris dans les écoles, l'officiel, veut interdire aux Libyennes de voyager sans être accompagnées d'un homme de leur cercle familial proche (un mari, un père ou un frère) ou sans l'autorisation d'un tuteur.
Les mesures annoncées le 6 novembre dernier touchent également la façon de se couper les cheveux ou de s'habiller afin de respecter la « spécificité de la société libyenne », justifie Imad Trabelsi, qui ajoute : « Que ceux que cela dérange quittent le pays pour l’Europe! ». Les nouvelles restrictions s’étendent également aux réseaux sociaux dont « les contenus seront contrôlés jusqu’à la poursuite de leurs auteurs », clame Imad Trabelsi. Le ministre va même jusqu’à prôner « l’invasion des domiciles dans le cas de suspicions ».
Des déclarations en contradiction avec la constitution libyenne
Ces déclarations, largement médiatisées dans le monde, ont divisé l’opinion publique en Lybie. Si certains s’y sont montrés favorables, une majorité a critiqué la posture du ministre. C’est le cas de Layla Ben Khalifa, candidate à l’élection présidentielle, qui a accusé Trabelsi de « vouloir gagner la sympathie des islamistes ».
De son côté, Loubna Ibrahim, chercheuse et activiste de la société civiles, estime que les propos du ministre de l’Intérieur représentent une grave violation des droits des femmes et du « caractère sacré des foyers libyens ». Elle affirme : « L'annonce de « l'invasion des maisons » reflète une politique imprudente qui nous fait régresser et va à l'encontre des fondements juridiques et constitutionnels qui protègent les droits et la vie privée des citoyens, en particulier des femmes qui sont soumises à des violations sous le couvert de la « sécurité » ».
Loubna Ibrahim revient sur la remise en question du droit de conduire une voiture pour les femmes libyennes par Trabelsi, la chercheuse critique ainsi sa déconnexion du contexte local : « Des hommes, décédés dans les violences fratricides, qui ont agité le pays ces dix dernières années ont laissé un grand nombre de veuves. Celles-ci ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour entrer sur le marché du travail et subvenir aux besoins de leur famille. Dans ces circonstances, il est essentiel que les femmes puissent conduire librement et en toute sécurité, dans un pays qui est censé protéger et soutenir ses femmes plutôt que de créer des obstacles pour les restreindre ».
Dans un communiqué publié le 13 novembre, l’organisation Human Rights Watch s’est dite catastrophée par les déclarations de Trabelsi.
« Le ministre en exercice n’a pas expliqué la base juridique de ces mesures arbitraires et draconiennes qui violeraient la constitution provisoire de la Libye. En tant qu’Etat membre de nombreux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et au Protocole de Maputo sur les droits de la femme en Afrique, la Libye est légalement tenue de mettre fin à toute discrimination à l’égard des femmes et de garantir le droit à la liberté de circulation », proteste Hanan Salah, Directrice associée, division Moyen-Orient et Afrique du Nord de HRW.