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Par Rola Abou Hashem - journaliste et correspondante de "Radio Nisaa FM" à Gaza, Palestine.
Nous étions complètement abasourdis suite à l'opération du Hamas dans la bande de Gaza et nous avons invoqué Dieu pour qu’il nous préserve car nous connaissons bien Israël. Nous connaissons l'ampleur du mal, du crime et de la violence dont il est capable, même si cela ne veut pas dire que nous connaissons tout de l’ampleur des souffrances que les Palestinien.ne.s affrontent quotidiennement, loin de là. Ce sont les victimes d’un mal qui ne cesse de croître jusqu’à obtenir le label de "violence inédite".
Des lettres sous les bombes : le premier jour des attaques, le samedi 7 octobre 2023.
C’est samedi, il est 6:30 du matin. On était censé passer une journée ordinaire et calme à décompresser et faire la grasse matinée, puisque c'est le jour de congé de mes enfants écoliers.
Mais la réalité en a voulu autrement. Je me suis réveillée pétrifiée au son des tirs de roquettes continus du Hamas qui parvenaient de tous les districts de la bande de Gaza de façon concomitante.
À première vue, comme tous les Gazaouis, j'ai cru à de simples roquettes expérimentales tirées par la résistance vers la mer…. Sauf que le nombre vertigineux de roquettes retentissant pendant des heures laissait penser à autre chose. Voilà ce qui a été confirmé lors du discours prononcé par le Commandant des brigades d'al-Qassam qui a annoncé le lancement de l'opération "Déluge d'al-Aqsa" en riposte aux violations de l'occupation israélienne contre la ville de Jérusalem et de la Mosquée d'al-Aqsa.
Mes enfants se sont réveillés l'un après l'autre, complétement déconcertés par le vacarme assourdissant des roquettes. J'ai essayé de les calmer comme je pouvais.
Mon mari, qui était en route vers l’école publique où il travaille, m'a dit au téléphone que l'ambiance était bizarre et tendue. Il m'a même demandé de préparer les affaires des enfants pour quitter la maison tout de suite. Depuis un an, nous habitons un appartement dans une tour résidentielle située dans une région frontalière au nord de la bande de Gaza. C'était une vraie poudrière pendant les guerres précédentes contre Gaza, ce n’est donc pas un lieu sûr pour nous surtout si la situation dégénère.
En attendant que la situation ne s'éclaircisse, le Ministère de l'Éducation et de l'Enseignement Supérieur a suspendu les cours ce jour-là. Mon mari est donc rentré à la maison. À ce moment-là, j'ai décidé de rassembler tout ce dont notre famille et nos 4 enfants avaient le plus besoin dans un petit sac. Ensuite, nous avons quitté la maison.
Pour nous éloigner du danger, nous avons dû marcher environ une heure avant de trouver un taxi qui nous transporte jusqu’à la station des voitures qui vont vers le sud de la bande de Gaza. C’est là que se trouve la maison de mes parents où nous avons décidé de nous réfugier, en pensant qu'elle serait moins exposée aux dangers. Une fois de plus, nous avons attendu longtemps avant de trouver un deuxième taxi qui nous mène dans le district de Rafah.
Les taxis ont subitement déserté la ville. Nous avons essayé d’en commander un en nous adressant à plusieurs compagnies, sans succès.
Des files d'attente se sont vite formées devant toutes les boulangeries, les magasins de produits alimentaires et les stations d'essence… La route était longue, périlleuse, semée d’embûches, entrecoupée par les questions compliquées de mes enfants.
Une roquette lancée par un avion de reconnaissance s'est abattue sur l'une des maisons à Khan Younes alors que nous marchions au bord de la route. Nous l’avons échappé belle grâce à Dieu.
J'ai poussé un soupir de soulagement, récité la chahada, en faisant des douas tout au long du chemin jusqu’à notre arrivée à Rafah. Nous nous sommes sont alors peu à peu calmés...
Le 8 octobre… que nous réserve l'avenir ? : des lettres sous les bombes.
Il n'est pas facile de mettre des mots sur ce qu'on ressent devant les photos et les vidéos que nous avons reçues, que ce soient celles publiées par la Résistance ou sur les réseaux sociaux par ceux qui ont pu franchir la frontière et atteindre les colonies qui entourent Gaza.
Malgré cela, le 7 octobre s’est avéré une journée historique pour les Gazaoui.e.s qui attendaient depuis des années que leur sort et leurs souffrances soient pris en compte, même s'ils savaient pertinemment qu'ils auraient à payer un lourd tribut en raison de la défaite écrasante infligée par Hamas à l'ennemi israélien. Toutefois, les habitant.e.s de Gaza savaient qu’ils auraient à se sacrifier avec leurs enfants et leur famille, qu’ils verraient de surcroit détruire leurs maisons et tout ce qu'ils possèdent.
Après avoir franchi des casernes militaires et dépassé des soldats armés jusqu'aux dents, les résistants ont pénétré dans des espaces que nous avons tant espéré fouler de nos pieds. Ils y sont parvenus et ont suscité de nombreuses questions mais la véritable question demeure : comment ont-ils réussi à franchir tous les obstacles ?
L'occupation a reçu son premier coup dur depuis des décennies. Elle a donc décidé de redorer le blason de ses soldats, auxquels la Résistance a enfoncé la tête dans la boue, en lançant une opération militaire contre toute la bande de Gaza. C'est le début de l'agression israélienne.
Comme à son habitude, la riposte de l'occupation ne s'est pas fait attendre. Les forces d'occupation ont pilonné les maisons, les sièges d'organisations civiles et des immeubles résidentiels dans tous les districts de la bande.
La Tour de la Palestine, qui est l'une des tours les plus anciennes et célèbres de Gaza composée d'appartements résidentiels, de bureaux commerciaux et d’agences de presse, avait été la cible de l’aviation israélienne dès les premiers jours de l'assaut.
La Tour s'est effondrée emportant avec elle les souvenirs de plusieurs générations de Palestinien.ne.s qui ont vécu des moments inoubliables dans ses couloirs.
Les bombardements des forces d'occupation ont même ciblé les lignes électriques qui approvisionnent la bande de Gaza en électricité. Ces lignes ont été endommagées, ce qui a limité la fourniture de l’électricité à 4 heures par jour, dans le meilleur des cas.
Je vous laisse imaginer la vie à l'intérieur de ces maisons qui abritent souvent une quinzaine de membres au moins, dont la plupart sont des enfants ne jouissant que de quelques petites heures de lumière par jour.
Durant les premières nuits d'attaques, le premier massacre dans la région de Rafah a touché la famille "Abu Quta" qui a vu sa maison s'écrouler sur sa tête sans préavis ni alerte d'évacuation avant le bombardement israélien. Un massacre que de fois répété...
La maison de la famille ciblée dans le camp de Al-Shaboura n'est pas loin de la mienne. Le bruit de ce bombardement a été la première terreur qui a fait sursauter mes enfants après notre arrivée à Rafah.
24 personnes sont tombées en martyr dans l’explosion de leur maison de 4 étages, preuve de l'intensité du bombardement. La famille Abou Quta a perdu 19 de ses membres, les autres victimes étaient leurs voisins.
C'est ainsi que la vie touche à sa fin à Gaza sous d’incessants bombardements qui anéantissent les citoyens, détruisent leurs maisons et sèment d’inimaginables dévastations.
Des lettres sous les bombes : mercredi 18 octobre… Je ne compte plus les jours
J’ai été réveillée hier avec ma famille -adultes et petits- par le bruit assourdissant d’un bombardement près de chez nous. C’était l’aube, il était 4:30.
Cela fait 12 jours maintenant que les raids israéliens s’abattent sans relâche, partout dans la bande de Gaza. Nous volons quelques heures de sommeil quand un calme prudent s’immisce chez nous, mais nous nous réveillons soudainement tremblant de peur à cause des bombardements qui s’intensifient et de notre maison qui chavire.
Les bruits des bombardements nous effraient toujours. Il est impossible de s'y habituer avec le temps. Notre cœur bat la chamade à chaque raid. Nous faisons des douas et nous invoquons Dieu afin que la peur se dissipe et fasse place au réconfort.
Lors des bombardements, mes frères se sont précipités hors de la maison. À leur retour, ils étaient stupéfaits de l'ampleur de la destruction : une maison composée de 5 étages était complétement démolie. Même les maisons avoisinantes ont connu des dommages.
Les corps en lambeaux sont suspendus sur ce qui reste des murs des maisons avoisinantes.
Malgré les circonstances difficiles, de gros efforts ont été consentis afin de retrouver les martyrs et les disparus sous les décombres. Mais le jour ne s'était pas encore levé et la région était encore plongée dans l'obscurité, ce qui a largement compliqué la mission de sauvetage.
Les équipes médicales ont pu retrouver 28 martyrs ainsi qu'un grand nombre de blessé.e.s vu que la maison-cible abritait plusieurs familles déplacées de leurs demeures vers le sud de la bande suite aux menaces des forces d'occupation qui leur avaient intimé l’ordre de quitter Gaza, surtout les quartiers du nord de la ville.
Ils ont quitté leurs maisons par instinct de survie, croyant se réfugier en lieu sûr, mais ils ont fini par tomber en martyr dans ces maisons soi-disant sûres dans le sud de Gaza.
En réalité, il n'existe plus de lieux sûrs dans la bande de Gaza. Les avions lancent des raids en tous lieux, sans discernement ni considération aucune.
Quelques heures après ce massacre, nos corps ont sursauté suite à un raid ciblant une nouvelle maison dans les environs. Un nouveau massacre contre de nouveaux civils.
Ceci est Rafah, la ville pour laquelle j'ai abandonné ma maison dans le nord de la bande de Gaza au début des hostilités afin de m'y réfugier puisqu'elle est moins dangereuse que d'autres régions. Hier, mon cœur était lourd et une peur immense me figeait. Ici, la mort nous guette et peut nous faucher à tout instant.
Ce sort n'est pas uniquement celui de Rafah. Le district de Khan Younes a été secoué par des crimes similaires. Sans parler des maisons des citoyen.en.s ciblées dans différentes régions, ainsi que le lourd bilan humain et le nombre incalculable de blessé.e.s.
La veille a été marquée par le plus grand nombre de massacres. En effet, les forces d'occupation ont clôturé la journée en perpétrant le massacre le plus violent et le plus sanglant qu’il soit puisqu’ils ont bombardé l'hôpital al-Ahli Baptiste dans la ville de Gaza.
L’hôpital al-Ahli Baptiste suite à la frappe israélienne.
Près de 3000 personnes dont beaucoup de familles des environs qui s’étaient réfugiées dans l’hôpital, dans sa cour, ses couloirs et ses blocs, après s’être déplacées de leurs maisons dans les régions à haut risques. Dans cet hôpital qu'ils croyaient être un lieu protégé, ils ont été pris au dépourvu par les roquettes de l'occupation dans la nuit, alors que leurs enfants jouaient dans le jardin de l'hôpital et que les femmes étaient allongées à même le sol à côté des personnes âgées.
Selon les chiffres du Ministère de la Santé, plus de 500 personnes sont tombées en martyr dans ce massacre, toutes réduites en cadavres et en lambeaux humains sans que la protection internationale dont jouit l’hôpital ne puisse les protéger. L'hôpital al-Ahli Baptiste est un établissement médical chrétien qui offre des services de santé et compte une église où les chrétiens font leur prière. Cet hôpital était supposé jouir de la protection du droit international humanitaire… mais non, ce dernier ne s'applique pas à Gaza.
Les murs de l'hôpital et les corps des martyrs se sont enflammés et avec eux nos cœurs brûlant de rage face à notre impuissance et notre tristesse ...
Des lettres sous les bombes : le 21 octobre… notre troisième semaine en enfer.
Nous entamons la troisième semaine sous les bombes israéliennes et les raids de tous bords. Nous sommes à la merci des avions qui virevoltent sans relâche dans le ciel des cinq districts de la bande de Gaza. Nous flirtons avec le fantôme de la mort qui nous poursuit infatigablement en tous lieux.
Plus de 4000 martyrs et plus de 10 000 blessé.e.s jusque-là.
Chaque matin, mon fils de 4 ans et demi me demande dès qu'il se réveille : "Le bombardement est fini, maman ?" Et je me trouve contrainte de lui dire : "J'espère qu'il finira, mon fils" moi qui sait pertinemment qu'il n'y a aucune de lueur d'espoir à l'horizon.
Personne ne parle d'un éventuel retour au calme prochainement dans les journaux télévisés ou les analyses politiques. Tout le monde parle d'attaques continues de longue durée. En effet, l'ennemi ne me donne même pas l'occasion d'être honnête avec mon fils car un bombardement dans les environs peut à tout moment contredire les paroles rassurantes que je lui aurais dites. À chaque bombardement, le visage d'Ibrahim pâlit et ses traits se crispent, ses phrases deviennent boiteuses et des larmes lui montent aux yeux. Je me trouve impuissante chaque fois que ce scénario se reproduit.
Rayan, mon fils ainé de 7 ans attend impatiemment notre retour à la maison et me demande constamment : "Quand est-ce que nous allons rentrez, maman ?" Je lui réponds : "Quand les bombardements s'arrêteront !" avant de pousser des soupirs et d'invoquer Dieu : "Pourvu que la guerre se termine aujourd'hui."
En effet, je ne sais pas comment les attaques contre Gaza ont fait de moi une mère qui cache la vérité en répondant aux questions innocentes de ses enfants. Je me suis même transformée, comme beaucoup, en une mère malhonnête par moment : Comment pouvons-nous apaiser la terreur de nos enfants, comme celle de ma fille Carmel de moins de 3 ans autrement que par le mensonge ?
Elle accourt vers moi redoutant les bruits des bombes autour de nous. Je la prends dans mes bras et me trouve encore une fois dans l'obligation de falsifier les faits en lui posant la question suivante d’un ton amusé : "Qui a éclaté le ballon, ma petite ?" Sa peur se meut en sourire et elle me répond : "Pas moi !!!"
En temps de guerre, nos enfants sont nos points faibles et le véritable motif de notre peur. Ils sont à la fois la raison de notre survie - si nous survivons - et notre source d'impuissance. Si seulement nous pouvions les remettre dans nos entrailles en attendant que la guerre se termine pour qu'ils échappent à la peur et aux bombardements.
Chaque soir, je prie Dieu pour tomber en martyr avec mes 4 enfants, si telle est ma destinée. Je veux que nous restions ensemble et que Dieu nous élève en martyr rapidement avant d'étouffer sous les décombres… Et que notre mort survienne en plein jour, pas dans le noir de la nuit.
Des lettres sous les bombes : le dimanche 22 octobre. Nouveau jour, nouveaux massacres.
Il n'y a pas de lieu sûr dans la bande de Gaza et pour cause : les frappes israéliennes sont ininterrompues de jour comme de nuit. Au 16ème jour des attaques, les raids israéliens ciblent les maisons des civils au nord et au sud de la bande de Gaza, malgré les allégations de l'occupation selon à celles du nord. Cependant, sur le terrain, nous avons vu des frappes touchées des familles qui se sont déplacées du nord au sud pour se rendre dans les maisons de leurs proches ou de leurs connaissances.
Des dizaines de personnes tombent en martyr après chaque raid et un grand nombre de blessé.e.s sont transféré.e.s dans les hôpitaux. C'est une scène qui se répète en permanence puisque les forces d'occupation israéliennes bombardent les habitations sans aucun préavis.
La plupart des maisons ciblées sont composées de plusieurs étages et rassemblent plusieurs familles. C’est pourquoi le nombre d'appartements à louer dans les districts du sud est restreint, ce qui signifie que les déplacés ont très peu de choix pour se loger. Ils se rendent alors chez ceux qui sont prêts à les accueillir, quand bien même le domicile de leur l'hôte soit exigu et que ses habitants n’aient pas assez de place en temps normal.
Dans la région de Rafah, les avions israéliens ont bombardé aujourd'hui la maison de la famille Abu Younes dans le voisinage de Tell es-Sultan à l'ouest de la ville. Tous les habitants de la maison sont donc tombés en martyr, ainsi qu'un certain nombre de personnes parmi leurs voisins. Sans parler de la destruction à grande échelle du quartier résidentiel.
Mon amie, dont les parents vivent dans la région, m'a raconté que c’est uniquement grâce au ciel si elle n'a perdu aucun membre de sa famille. En effet, celle-ci s'apprêtait à déjeuner quand le raid israélien les a pris de court. En un clin d'œil, la moitié de leur maison a été détruite par les bombardements intenses qui ont frappé toute la région.
Tôt le dimanche, la maison de la famille Al-Zatma dans le voisinage de Tell es-Sultan a elle aussi été bombardée. C'est la maison de l'infirmière Ibtissam Al-Zamta (photo ci-dessous) qui travaille à l'hôpital émirati de la ville. Non seulement elle a été horrifiée en apprenant la nouvelle du bombardement de son habitation, mais elle a dû accueillir les cadavres de son fils Imad, de sa femme et de ses cinq fils ainsi que ceux de sa fille Hanane, de son mari et de leurs fils.
Ainsi va la vie hantée par la mort à Gaza, cette ville qui jouit néanmoins d'une détermination inébranlable, malgré la peur, l'anxiété et les forces de l'occupation qui s’abattent sans répit sur les gazaouis innocents.
Des lettres sous les bombardements : lundi 23 octobre… Quand est-ce que nous aurons le luxe de boire un verre d'eau potable ?
Quand est-ce que ce cauchemar finira ? Quand est-ce que nous retrouverons un semblant de calme ? Quand est-ce que la guerre, la mort et les bombardements s'arrêteront ? Quand est-ce que les avions israéliens et leur vacarme disparaîtront de notre ciel ? Quand est-ce que l’on pourra veiller sur nos bien-aimés et pleurer nos morts sachant qu'on ne connaît pas tous les noms des victimes ?
À Gaza, nous sommes la cible de bombardements depuis 17 jours sans que l'on puisse préciser les lieux exacts des bombardements et sans que l'on sache qui en sont exactement les victimes. Comment pouvons-nous nous renseigner avec les coupures de courant et d'internet des heures durant, et les réseaux de communication endommagés ? Parfois le mieux que l’on puisse faire, c'est de tenter de deviner le lieu où aura lieu le bombardement, et d’envoyer un message à nos ami.e.s vivant dans les zones bombardées afin de prendre de leurs nouvelles.
Quand aurons-nous droit à un sommeil paisible sans que le bruit des explosions fasse sursauter nos cœurs et horrifie nos enfants ? Quand est-ce que je retrouverai avec ma famille notre voisinage alors que nous ignorons l'ampleur de la destruction qui a frappé notre quartier dans cette région frontalière située au nord de la bande de Gaza : cette ville dont aucune couverture médiatique ne documente les ravages provoqués par les raids israéliens ?
Personne ne sait que mon cœur est en feu. Je ne connais pas le sort de ma maison et je peux encore moins y retourner.
Quand est-ce que nous aurons de l'électricité dans nos maisons à nouveau ? Cette électricité qui a disparu dès le début des hostilités car la seule centrale électrique dans la bande de Gaza est en arrêt puisque l'occupation a interdit son approvisionnement en carburant ?
Quand est-ce que nous aurons le luxe de boire un verre d'eau potable ? Quand est-ce que l'eau coulera normalement dans les robinets de nos habitations ?
Figurez-vous que les maisons à Gaza ne peuvent même pas subvenir à leurs besoins quotidiens en eau. Cela fait plus de 5 jours que nous en sommes privés car l'occupation a décidé de sanctionner les Gazaoui.e.s en les privant de l'eau qu'elle livrait dans la bande de Gaza.
Quand est-ce que nous pourrons acheter du pain pour nos enfants et nous-mêmes sans devoir attendre des heures et des heures dans les files d'attente avant le lever du soleil ?
Depuis 17 jours, nous nous posons toutes ces questions en vain, sans aucune réponse concluante qui panserait nos blessures et apaiserait nos souffrances.
À quand le repos même s'il ne dure qu’un instant ?
Des lettres sous les bombardements : mardi 24 octobre…en fin de compte, nous sommes des êtres humains, nous sommes aussi frustrés !
Chaque matin, nous nous réveillons sans vraiment croire que nous faisons partie de ceux et celles qui sont encore en vie, de ceux et celles qui ont encore assez de vie en eux pour être témoins de plus d'oppression et de bombardements de l'occupation.
Depuis 18 jours, nous disons "Hier soir était le pire", puis "Hier soir était le plus cruel." Certains matins, nous disons que la nuit précédente était la plus terrifiante, alors que l'occupation continue de nous prouver sa capacité à faire de chaque jour le pire jour de notre vie. Elle nous fait vivre des journées, à travers des détails déchirants et douloureux que nous n'aurions jamais imaginé vivre.
Nous savons que nous devons être patient.e.s et résolu.e.s, et nous le sommes, depuis le premier jour. Nous savons que le chemin vers la victoire, vers la liberté et l'indépendance, est difficile et rempli de sang et de grandes pertes, mais au final, nous ne sommes que des êtres humains, vulnérables à la frustration, à la tristesse et à la dépression.
Donc, j'admets que j'écris aujourd'hui avec de la douleur et de la peur dans mon cœur, une douleur et une peur que je ne peux supporter.
Hier soir, j'ai appris la nouvelle que notre jeune collègue, le journaliste Muhammad Labad (27 ans), a été martyrisé lors d'une attaque israélienne près de l'endroit où il se trouvait. Il était assis avec son grand-père devant leur maison dans le quartier Sheikh Radwan à Gaza.
Muhammad était un jeune homme poli. Nous le connaissions comme travailleur, serviable, un rêveur. Il attendait de commencer une nouvelle phase de sa vie avec sa fiancée, mais les avions de guerre de l'occupation ne lui ont pas permis d'atteindre ce à quoi il aspirait.
Avec la mort de Muhammad Labad, le nombre de journalistes décédés depuis le début de l'agression sur Gaza s'élève à 20.
La journée a commencé avec une autre tragédie. Notre amie Salma Mkheimer a été martyrisée. Salma a été tuée avec son fils Ali, qui n'avait pas encore un an, et un grand nombre de membres de sa famille. Ils ont été tués par une attaque qui a frappé leur maison dans le quartier Tal al-Sultan à Rafah à l'aube. Salma avait dit au revoir à son mari en Jordanie il y a peu de temps et était revenue à Gaza avec son enfant pour visiter sa famille... c'est comme si elle était partie vers son destin, sa part de martyre.
Les équipes de défense civile ont déclaré avoir récupéré 18 corps des décombres de la maison de la famille Mkheimer.
Les bombardements des maisons de civils dans tous les gouvernorats de la bande de Gaza n'ont pas cessé toute la journée. Le bilan des morts s'élève, au moment où cela est écrit, à 5 791 martyrs : 2 360 enfants, 1 292 femmes et filles, et 295 personnes âgées, selon le ministère de la Santé. Cela s'ajoute à 1 550 martyrs toujours portés disparus sous les décombres et à 16 297 hommes et femmes blessés.