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La presse algérienne traverse ses pires moments depuis l’ouverture dite démocratique de 1990. Il ne reste presque plus aucun journal de cette explosion de titres créés pour la plupart d’entre eux par des journalistes de médias gouvernementaux. Les Algériens découvraient alors dans ce foisonnement de partis politiques, d’associations, de syndicats, d’associations féministes, le gout de la liberté d’expression. Même les médias publics dont la télévision se décrispent. Les journalistes s’organisent et les jeunes diplômés accourent pour faire partie de la folle aventure. Mais la parenthèse enchantée fut brève.
La montée de l’islamisme puis le terrorisme islamiste s’abattent sur le pays muselant l’expression par la terreur. Des dizaines de journalistes, intellectuel.le.s et artistes sont assassiné.e.s. Le métier de journaliste devient un défi quotidien à la mort. Pendant dix ans le pays est en état de guerre, les reportages, l’investigation et même les interviews sont oubliés. Les unes deviennent des décomptes de morts. La presse ne retrouvera plus son dynamisme d’avant le terrorisme. L’exil et la mort ont vidé les rédactions, la mainmise du pouvoir sur la manne financière vide les caisses des médias indépendants.

Paradoxalement la décennie noire est aussi la période où des jeunes femmes entrent en nombre dans les rédactions. Ghada Hamrouche, aujourd’hui rédactrice en chef du media en ligne 24 H Algérie, dont elle est aussi membre fondatrice en faisait partie : « Quand j'ai commencé à faire, ce métier, c'était encore les années du terrorisme. Plus que le fait d’être femme journaliste, c’est le fait d’être une journaliste tout court qui était périlleux. Le métier de journaliste était, dans ces conditions, perçu comme un travail d’homme et peu recommandé pour les femmes. La société était, de ce fait, moins encline à accepter la présence d'une femme sur un lieu d'un massacre ou de ratissage. Dans les rédactions, les choses sont différentes. Je pense qu'à l'instar des autres métiers, il fallait prouver que nous pouvions être aussi perspicaces que les collègues hommes. Cependant, je n'ai pas eu la malchance de subir dans les rédactions le machisme des confrères ou des comportements sexistes et inappropriés. Bien au contraire. On m'a beaucoup encouragée et aidée à mes débuts. En revanche, sur le plan personnel, il y a un vrai défi à relever : la conciliation du travail avec la vie privée. Il faut tout le temps se montrer ingénieuse pour trouver l'équilibre entre un métier chronophage et les exigences d'une société patriarcale. »
Les jeunes femmes comme Ghada ont peu à peu investi la profession en nombre mais peu en pouvoir de décision. Selon une étude de 2017 du Ministère de la communication, en partenariat avec ONU Femmes, les femmes journalistes représentent 52% de l’effectif de l’audiovisuel public contre 38% dans le privé. Cette faible présence féminine est également inscrite dans la production des contenus. Dans ces médias, seules 160 informations et émissions traitent de sujets liés à la femme contre 5590 contenus dédiés aux hommes, rapportent les résultats de cette enquête.
Les femmes occupent 40% des postes dans la presse écrite et 38% dans la presse électronique. En 2015, une autre étude menée par la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh ) en collaboration avec Mena Media Monitoring (MMM) révèle également la faible intervention des femmes journalistes sur des sujets dits sérieux comme la politique et l’économie. Moins de la moitié, 42,61% des reportages sont réalisés par les femmes qui sont pourtant 55,70% à être envoyées sur le terrain. Les présentatrices (53%) sont, comme on peut s’en douter, plus nombreuses que leurs collègues masculins.
Si les femmes sont cantonnées dans les sujets « légers », elles ont l’exclusivité des questions liées aux violences faites aux femmes et de manière générale à la condition des femmes. Dans l’étude du ministère de la communication citée plus haut, il ressort que le nombre de sujets traités sur des thématiques liées aux femmes reste faible même lors de la journée internationale des droits des femmes, ou encore à l’occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes qui a lieu le 25 novembre.
Dans les journaux francophones, les articles consacrés aux droits des femmes enregistrent une légère hausse durant ces dates, 14%, contre 12% le reste de l’année. Dans la presse arabophone, ces parts sont respectivement de 17% et de 14%. Dans l’audiovisuel public, la visibilité des femmes journalistes, invitées ou sujet, augmente légèrement avec une moyenne de 35 %, tandis que que dans les chaînes privées elles stagnent entre 29% et 16%.
Plus récemment, une enquête de 2022 du Conseil de l’Europe sur la région MENA montre que les journalistes femmes restent les principales productrices de contenus autour des violences faites aux femmes, car elles seraient perçues comme “plus compétentes” ou “aptes” à traiter cette thématique. Cette perception stéréotypée contribue à la rareté du traitement des violences dans les médias algériens, qui continuent de penser que les thématiques « femmes » ne concernent que les femmes et ne sont pas un sujet de société à part entière.