C’est à la suite d’une vaste campagne lancée fin 2019 que l’Observatoire Régional de la Société Civile (ORSC) mis en place par EFI (Euromed Feminist initiative) a lancé l’enquête, publiée fin 2022. Au-delà des constatations sur le haut niveau des violences domestiques et intra-familiales, elle donne des renseignements précieux sur l’expérience personnelle de chaque femme interviewée.
Cette étude est la première du genre dans cette vaste région si troublée de la Méditerranée. EFI s’appuie sur les résolutions prises au niveau des instances et conventions internationales telles l’ONU et la CEDAW (Convention pour l’élimination des violences faites aux femmes) pour forger son plaidoyer afin que les législations des pays aillent vers une harmonisation, dans le respect du droit et du corps des femmes. Cela, dans un futur qu’on souhaite proche...
En attendant, comme les conventions sont peu ou pas appliquées selon la bonne (ou mauvaise) volonté des pays, l’ORSC publie des rapports argumentés sur l’égalité de genre dans le bassin méditerranéen, et mesure l’écart entre les droits revendiqués par les femmes et les lois patriarcales qui les cernent de toutes parts. Première (mauvaise) demie-surprise : au lieu de se combler, l’écart tend à se creuser. Les guerres, les occupations de territoires et les nombreuses migrations qui en découlent aggravent le phénomène.
Une femme sur cinq a reçu, au moins une fois dans sa vie, des menaces de mort de la part de son conjoint ou compagnon
Pour pallier le manque de statistiques intrinsèques aux pays concernés, les expert.e.s de l’Observatoire ont réparti 3000 questionnaires afin de représenter le plus finement possible la réalité sociologique de chaque pays.
Niveau de sensibilisation des femmes aux lois et services fournis aux victimes des violences, niveau de perception des valeurs liées à ces violences, les sujets étaient très délicats à manier et à traiter. Ils l’ont été en toute confidentialité et avec la garantie de l’anonymat.
L’ensemble des données sélectionnées a permis d’approfondir, en milieu urbain et rural, 137 interviews passées au crible analytique par deux expertes dans chaque pays. Derrière chaque questionnaire, il y a une femme, en chair et en os.*
Résultat : l’étude démontre la forte prévalence des violences intra-familiales, voire son augmentation dans toute la région : une femme sur cinq a reçu, au moins une fois dans sa vie, des menaces de mort de la part de son conjoint ou compagnon. Dans bien des cas, les blessures, mentales ou physiques laissent d’énormes dégâts chez leurs victimes comme dans leurs familles. Et comme ailleurs sur la terre, les violences domestiques et intra-familiales revêtent de multiples facettes : physiques, économiques, psychologiques, les unes et les autres étroitement connectées.
Cela on le savait, mais ce qui revêt un caractère particulier ici est le poids des violences quotidiennes traversant toute la société, les femmes en étant le premier réceptacle. L’enquête de l’Observatoire isole et démonte les mécanismes qui révèlent le nombre considérable de femmes à avoir intériorisé les violences, au point de paraître « consentantes ». Les guillemets sont indispensables devant cette énormité repérée par l’enquête, qui consiste à transformer une femme-victime en bourreau de sa propre fille.
Au-delà de l’observation pointue, l’enquête agit comme un miroir réflecteur en scrutant les représentations qu’ont les femmes, elles-mêmes, des violences exercées contre elles ou leurs proches. Certes, le niveau de perception des femmes varie selon les pays et ses conséquences aussi, qui vont de la dépression au suicide. Reste que les chiffres produits sont accablants, à commencer par celui-ci : huit femmes sur dix (78%) dans toute la région décrite, estiment qu’il est normal d’être battue par son mari si elle part du domicile sans l’avertir. D’autres réagissent par le déni des violences subies pour elles-mêmes ou pour leurs filles. Près d’une femme sur cinq (17%) estime que les violences physiques peuvent être justifiées dans certaines circonstances. Pire encore : 88 % déclarent qu’il est normal d’être battue si la femme se dispute avec son mari. Beaucoup ne s’attendrissent ni sur elles-mêmes ni sur leurs sœurs, trop se soumettent.
Les chiffres produits sont accablants, à commencer par celui-ci : huit femmes sur dix (78%) dans toute la région décrite, estiment qu’il est normal d’être battue par son mari si elle part du domicile sans l’avertir
Les courbes et les graphes décrivent avec précision les horreurs exercées sur les femmes, particulièrement dans les pays où la guerre fait rage et ceux où affluent les réfugié.es... ce qui concerne la plupart des pays ciblés par cette étude. Du Liban au Maghreb en passant par la Palestine ou l’Egypte, les femmes et les filles sont encore trop nombreuses à subir des mariages non consentis, des mutilations génitales, des enlèvements, des viols, voire à être enrôlées dans des circuits de prostitution.
L’observatoire d’EFi conclut son enquête par des recommandations qui pointent le manque cruel de services sociaux et des structures d’accueil pour les femmes victimes de violences. De ces manques, les femmes interrogées sont en revanche très conscientes. Toutefois, l’observatoire reste prudent sur les critiques à formuler. Il n’évoque qu’à demi-mots l’absence de volonté des gouvernants qui caressent toujours dans le sens du poil leurs administrés mâles les plus réactionnaires. Quant au poids des religions sur l’oppression des femmes, il est abordé timidement par le détour du poids culturel des traditions. Sujet sacré !
Diffuser cette enquête, cela revient à mettre le pied dans la porte d’un appartement d’où proviennent des cris jusque-là restés inaudibles. A moins que les gouvernants ne soient sourds, il faudra bien qu’ils les entendent. Mais combien d’enquêtes, d’études et de campagnes de sensibilisation seront encore nécessaires avant qu’ils ne prennent en compte le droit à l’égalité pour la moitié de la population, pour nous les femmes ?
Pour conclure et ajouter une lueur d’espoir au milieu de tant de noirceur, près d’une femme sur dix estime aujourd’hui qu’il faut mettre fin au mariage des mineur.es. Pour l’avenir de leurs enfants, la plupart des femmes sont convaincues que le chemin passe par l’éducation et l’apprentissage de la citoyenneté.