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Si un rapport de 2021 sur le genre a montré que l’égalité entre les sexes serait atteinte dans 135 ans, au nord-est de la Syrie et en Irak le fossé entre les deux sexes nécessiterait plus de mille ans pour être comblé, surtout dans les régions tribales de El-Qoneitra, Banias et El-Haoula dans le Golan.
Dans cette région du monde, les sociétés misogynes rendent des femmes partie intégrante de la propriété familiale et tribale, infligeant à la plupart des jeunes filles les pires formes de violence sexuelle, tels que les mariages forcés et les mariages précoces. Ainsi, sont-elles couramment utilisées dans les règlements de comptes entre tribus pour les réconciliations, les vengeances, la prévention de l’effusion de sang et, généralement, la résolution des conflits. Tout cela au détriment de leurs droits fondamentaux d’êtres humains libres et indépendants, de leurs sentiments et de leur dignité.
Al-Fasslia, An-Nahwa, Al-Hayyar, Qatch Al-Radn, Aqd-Ach-Chalil…
Al-Fasslia, An-Nahwa, Al-Hayyar, Qatch Al-Radn, Aqd-Ach-Chalil… : ainsi s’égrènent les modalités de mariages complexes que les tribus continuent d’imposer aux femmes, aujourd’hui encore. Le mariage Al-Fasslia, ou prix du sang ou Ad-Dakka, est utilisé pour empêcher l’effusion de sang entre les tribus. Il consiste à obliger une femme d’une certaine tribu à épouser un homme d’une autre tribu afin de calmer la tension entre ces deux dernières et de parvenir à une réconciliation. Cette coutume est encore répandue dans certaines régions d’Irak, du nord au sud, et dans certaines régions de la Syrie.
Dans le mariage Nahwa, l’oncle ou le cousin paternels interdisent à la femme d’épouser quelqu’un d’autre que son cousin, dût-elle rester célibataire à vie. De ce fait la Nahwa constitue une des menaces contre les femmes du clan.
Le mariage Al-Hayyar, connu dans les régions orientales syriennes, réserve la cousine paternelle au mariage avec son cousin. Elle lui sera donc destinée jusqu'à la mort. Il lui est interdit d’épouser un autre homme. Elle restera dans la maison paternelle à l’attendre même si le cousin contracte mariage avec une autre personne.
Dans la série des mariages forcés, il y a également le mariage Al-Badail. Dans ce cas le tuteur de la mariée impose au frère du futur gendre d’épouser la sœur de la mariée ou vice-versa. Une forme de troc.
Dans la coutume du mariage Qatch Al-Radn, le parent qui rend visite à l’occasion de la naissance d’une fille peut annoncer que celle-ci sera destinée à un de ses fils dont il prononcera le nom. Cet engagement intervient après qu’il a déchiré une partie du vêtement du nouveau-né devant les personnes présentes. Cela signifie qu’il est interdit à la fille d’épouser un autre homme que celui nommé par ce parent. Les familles attendent alors que les deux promis soient pubères pour exécuter le contrat conclu à la naissance de la fille.
Enfin, dans le cas de Aqd Ach-Chalil (le nœud du vêtement), le tuteur du futur marié s’agenouille, genoux collés à ceux du tuteur de la future mariée, puis il noue son mouchoir ou une partie de son vêtement avec des nœuds difficiles à dénouer et prononce : « j’ai noué ton vêtement, je t’en supplie ne me déçois pas ». Il demande ensuite la main de la fille pour son fils. Cette demande est difficile à refuser chez les bédouins.
Entre la loi et la réalité, un fossé difficile à combler
Bien que les lois irakiennes et syriennes associent la validité du mariage au consentement des époux et à l’absence de contrainte, en 2015, une quarantaine de femmes ont été mariées de force en vue de mettre fin à un conflit armé entre deux tribus dans le gouvernorat d’Al-Bassorah où les armes ont largement proliféré. Cet antécédent a été suivi par d’autres cas similaires dans la région pour éviter l’effusion de sang. C’est une violation flagrante des droits les plus élémentaires des femmes irakiennes. En 2017, des dizaines de cas de suicide parmi les femmes victimes de mariages Al-Fasslia et An-Nahwa ont été rapportés.
Le nord de la Syrie a, quant à lui, connu plus d’un cas de suicide de jeunes filles forcées à conclure un mariage An-Nahwa et de cas de féminicides. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’histoire de Hamda. En 2009, cette jeune fille de la ville de Raqqa a été tuée par son cousin après qu’il eut appris sa prochaine union à un autre homme alors qu’elle lui était destinée exclusivement jusqu'à sa mort, comme le veut la tradition dans ce type de mariage.
La loi syrienne n’interfère pas dans le mariage Al-Hayyar car elle le considère comme une affaire privée du clan. De plus, il est conforme à la loi sur le statut personnel qui prévoit le consentement « apparent » et la présence de témoins.
La loi sur la violence domestique promulguée par le gouvernement du Kurdistan irakien (Article 8 de la loi 56 de 2011 sur le Statut personnel) prévoit une peine d’emprisonnement et une amende à l’encontre de « quiconque commet des violences domestiques, physiques, psychologiques ou contraint une autre personne au mariage, à contracter un mariage forcé, à l’excision ou à un mariage au prix du sang.»
En Irak, l’Article 9 de la loi 188 de 1959 sur le Statut personnel punit quiconque force une personne, homme ou femme, à se marier sans son consentement ou l’empêche de se marier, d’une peine de prison n’excédant pas trois ans ou d’une amende, s’il s’agit d’un parent du premier degré. La peine variera entre 3 et 10 ans pour un parent plus éloigné.
Les mouvements féministes syriens et irakiens, y compris kurdes, luttent fortement contre ces coutumes protégées par la non application de la loi ou de nouvelles législations, le chaos sécuritaire régnant, la prolifération des armes, l’affaiblissement et la fragmentation de l'autorité de l'État. Le Centre médiatique et culturel pour les femmes du Kurdistan irakien et des organisations pour les droits humains et l'autonomisation des femmes en Irak figurent parmi les groupes militants. Leurs efforts ont permis de sauver environ un millier de femmes des affres de ces coutumes et traditions tribales.
Malgré tous ces accords et toutes ces déclarations conclus au niveau international, malgré certaines législations nationales en Syrie et en Irak, les tribus n’ont rien à craindre.
Des Conventions internationales pertinentes
Selon la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, la violence à l'égard des femmes englobe « la violence physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les coups, les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin du foyer, les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la femme, la violence non conjugale, et la violence liée à l'exploitation. »
Il est stipulé dans la Déclaration universelle des droits humains qu'une personne est absolument libre d’épouser le conjoint de son choix, sans coercition ni contrainte, et qu'il s'agit d'une question essentielle qui ne souffre d’aucun compromis. La Convention CEDAW (Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes) définit la discrimination à l'égard des femmes comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par les femmes -quel que soit leur état matrimonial, et sur la base de l'égalité homme/femme- des droits humains et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. »
Malgré tous ces accords et toutes ces déclarations conclus au niveau international, malgré certaines législations nationales en Syrie et en Irak, les tribus n’ont rien à craindre. Elles continuent à ce jour d'étendre la domination masculine sur la société, et sur les femmes en particulier, de sorte qu'elles considèrent les filles comme des biens leur appartenant. Ainsi la « fille de la tribu» incarne à la fois « l'honneur » de la famille et devient sa « marchandise ». Quels que soient les déclinaisons ou les différents noms attribués à ces mariages, il s’agit dans les faits de mariage forcé… de viol.