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Fatima AlBassam
Je n’aurais jamais imaginé devenir, un jour, le sujet d’une information relayée par les médias locaux et étrangers, après la diffusion d’une vidéo montrant le moment où je quittais ma maison et le quartier populaire où je vivais, en périphérie de la banlieue sud de Beyrouth, la capitale du Liban.
Une journée ordinaire, puis la guerre est arrivée
Je me souviens que c’était une journée comme les autres, il y a un mois. Comme chaque matin, je me rendais à mon travail dans le quartier de la Corniche el-Mazraa à Beyrouth. J’avais opté pour une tenue confortable, choix qui s’est avéré judicieux par la suite.
Je ne comprends toujours pas ce qui a mal tourné sur cette planète, transformant une journée banale en un événement que je raconte aujourd’hui depuis la chambre où j’ai trouvé refuge, rue Hamra à Beyrouth.
J'ai déjà mentionné trois lieux par lesquels je suis passée : du quartier où je vivais dans la banlieue sud, à mon lieu de travail à la Corniche el-Mazraa, pour finir dans mon refuge à Hamra. Comment lire ces noms sans plonger dans les détails de ce qui s’est passé ?
“ Fatima, prends ta mère et ton père, et sors tout de suite du quartier ! », cet appel de mon frère cadet avait des allures d’ordre militaire. Avant même que je n’en comprenne la raison, il avait raccroché. Ensuite, les appels et les messages vocaux de mes amis et de mes proches m’ordonnant de quitter immédiatement le quartier de « Lailaki » – qui venait de figurer sur la liste des lieux menacés par les bombardements de l'armée israélienne – se sont multipliés.
L'ordre d'évacuation émis par Israël avait pris une forme « innovante » : il ne s'agissait plus seulement de tracts largués par des avions de guerre ou des drones au-dessus des villages et des villes, mais aussi d'un tweet publié sur la page du porte-parole de l'armée israélienne, Avichay Adraee, accompagné de cartes et de coordonnées de la zone à évacuer dans un rayon de 500 mètres. Qui pourrait croire à une menace « polie » sur la plateforme « X » ? C'était le premier avertissement de ce type. Quelque chose en moi répétait sans cesse : « Peut-être que ce n'est pas vrai. »
Quand j'ai atteint les abords du quartier, la scène était saisissante : tout le monde courait et criait, certains pieds nus, en larmes. J'étais littéralement sous le choc, incapable de prononcer un mot. Était-ce la vision de l'apocalypse dont on nous parlait ? Était-ce réel ? Des centaines de personnes évacuaient la zone simultanément.
Mon frère et son ami m’attendaient à l’entrée de l’immeuble. J’ai couru vers l’appartement sans réfléchir : « Où est Ginger ? ». J’ai jeté un rapide coup d’œil à ma chambre préférée, mais je ne me souviens pas des détails. J'étais incapable de rassembler tous mes souvenirs de cette pièce où j’avais vécu pendant vingt-neuf ans. Je laissai tout en l’état, sauf ma chatte Ginger qui s’était cachée sous le lit. Je l’ai attrapée de force, comme si je l’arrachais à des décombres potentiels, et j’ai couru avec elle en criant à mes parents : « Vite, à la voiture ! » J'avais envie de pleurer, mais ce n’était pas le moment.
Les appels pleuvaient sur moi comme des obus, augmentant ma tension. J’ai partagé une vidéo du moment où je quittais le quartier sur un groupe WhatsApp réunissant des collègues journalistes, espérant qu’ils cesseraient de m’appeler. En un instant, la vidéo est devenue virale sur toutes les plateformes de réseaux sociaux, les sites et les chaînes d'information. Même des chaînes et des pages en hébreu l’ont diffusée sous le titre : « Le moment où les habitants de Lailaki fuient leur quartier. » Je ne sais pas qui a divulgué cette vidéo, mais elle a failli me coûter la vie à ma famille et à moi cette nuit-là, à cause du flot incessant d’appels et de messages, dont certains prenaient presque l’allure d’accusations : « Bravo, ton message est parvenu à Israël ! » Tout à coup, j’ai entendu un bruit sourd : ma voiture heurtait un bloc de béton, et la voix de ma mère : « Fais attention », mais trop tard. J’ai crié de toutes mes forces : « Oh, mon Dieu », jeté mon téléphone sur la banquette arrière et poursuivi ma route avec trois pneus, miraculeusement jusqu'à Hamra. Le lendemain, j’ai dû faire remorquer la voiture jusqu’au garage.
Et maintenant, où aller alors que la nuit était bien avancée ? Je devais paraître folle en refusant de rester avec ma famille dans l'appartement où la plupart de mes proches s’étaient réfugiés, parce qu’ils n’aimaient pas les chats. Les hôtels non plus ne voulaient pas de moi avec mon chat.
Déplacée avec ma chatte et une valise
J'ai passé ma première nuit chez une amie, où j’ai fait semblant de dormir. Ma chatte Ginger, terrifiée, s'était réfugiée dans la valise que j'avais laissée quelques jours plus tôt dans ma voiture, après un reportage dans le sud. Elle cherchait sans doute du réconfort dans l'odeur de mes vêtements. Mon foyer se réduisait désormais à une valise contenant quelques affaires pour un voyage de deux jours, et à ma chatte, que beaucoup m'avaient conseillé d'abandonner, comme tant d'autres l'avaient fait.
Mon cœur battait à tout rompre ; je me sentais vide et en colère. J’avais envie de pleurer en regardant les bombardements israéliens ravager les quartiers de la banlieue sud, alors que certains habitants n’avaient pas eu le temps d’évacuer. Mais les larmes ne venaient pas. Mon système nerveux semblait s'être rebellé au pire moment. Frappe après frappe, j’attendais notre tour. Je croyais que le monde allait s’arrêter cette nuit-là, mais je n’étais pas prête à mourir...