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Les cheveux blancs ressemblent à des sardines, les orques sont nos sœurs, les trans de bonnes conseillères en hormones, et le tout se décline en un opéra rock sur Les airs de Dao ou des Rita Misouko...
« Ménopause pour tout le monde » est une série documentaire radiophonique en quatre épisodes, produite par Perrine Kervran et réalisée par Annabelle Brouard. Diffusées en mars dernier sur France culture, ces quatre pépites dénoncent l’invisibilité qui enveloppe sournoisement les femmes à l’approche de la cinquantaine et appréhendent ce qu’est la ménopause gaiement, intimement, poétiquement, politiquement, socialement, historiquement, anthropologiquement, scientifiquement... La ménopause, ou plutôt les ménopauses tant celles-ci assument au-delà du métronome de l’horloge biologique, formes, ressentis et vécus multiples.
«L’idée de faire un documentaire sur la ménopause m’est venue il y a une dizaine d’années à l’occasion de la fête des cinquante ans de France culture, explique-t-elle. Par analogie avec notre radio cinquantenaire, nous avions imaginé avec Maryvonne Abolivier une fiction sur la femme de cinquante ans. Nous nous étions prises au jeu, passionnées pour ce sujet. A l’époque, personne ne parlait de ménopause. Je m’étais rendue compte que je n’avais même jamais évoqué le sujet avec ma mère. »
Les réactions à cette proposition sont franchement négatives : « Mais quelle horreur ! la ménopause, c’est vraiment pas sexy ! » leur rétorque-t-on. Elles abandonnent. Tenace, l’idée, se loge malgré tout dans l’esprit de notre productrice, «Dès que j’en ai eu la liberté, je suis revenue à ce projet initial. Les temps ont changé. Je m’en suis rendue compte en faisant une série sur les règles qui a eu beaucoup de succès.»
Invisibilité
Les temps ont changé certes mais, dans les mentalités, la ménopause reste encore affublée de ses oripeaux glauques «On nous avait tellement dit que ce sujet était ennuyeux que quand j’ai cherché ce qui pouvait être le plus glamour possible pour l’aborder, je me suis dit “mais bien sûr, la comédie musicale, c’est ce qu’il y a de plus sexy”. C’est ainsi qu’est née l’idée de raconter la ménopause avec des incursions d’opéra.»
Perrine Kervran, 45 ans, qui a prêté sa voix pour introduire la série, tourne en dérision, sur un ton décalé, sa propre hantise de la ménopause. Dans une litanie hilarante, elle énumère symptômes et injonctions contradictoires que les femmes subissent à l’approche de la ménopause. Fatigue, perte de mémoire, doute cornélien sur porter ses cheveux gris ou teints, plaire ou ne plus plaire...la liste est longue.
Une gamme de picotements existentiels à l’opposé de cette invisibilisation que la femme ménopausée subit, un silence neutre qui la gomme soudain de la scène sociale et séductionnelle «Dans le cinéma européen, 75% des personnages de plus de 50 ans sont des hommes. Il faut quand même s'interroger sur le pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de femmes de plus de 50 ans sur nos écrans, interroge l’autrice Iris Brey.»
Dans la vraie vie ce n’est pas mieux «Je me suis rendue compte que les hommes qui continuaient de me regarder c'était des hommes qui avaient mon âge et plus, en dessous, plus du tout. Alors que je sais très bien qu'un homme de 50 ans continue d'être regardé par des femmes d'à peu près tous les âges», note à son tour la philosophe Camille Froidevaux-Metterie.
« Toi qui me regardes, m’évalues, nous sommes avant d’être perçues. Notre langue parle une langue crue, de chair, de corps et de flux... », propos repris par La chorale des Hot bodies.
Ménopause Tralala
Pourtant, pas question de sombrer dans la morosité. L’idée de l’opéra poursuit son chemin. La chorale féministe Hot bodies répond à l’appel. Elle est formée d’activistes féministes et queer qui associent lecture et écriture collectives au chant choral. Celles-ci s’emparent du projet avec beaucoup d’enthousiasme. Il en faut ! Au moment d’enregistrer, le confinement surprend tout le monde. Gestes barrière obligent, il est impossible de réunir les membres de la chorale pour les faire chanter : «On a essayé d’imaginer une alternative et on s’est dit que plutôt qu’une vraie chorale, il était plus malin de prendre les citations des femmes qui racontaient leur ménopause et de les mettre en exergue sur des airs correspondant aux tubes qu’elles écoutaient quand elles avaient 15 ans. Les femmes de Hot Bodies ont répondu au quart de tour. Dans un premier temps, on leur envoyait les textes par watsap, elles s’exerçaient, jusqu’au moment où on a réussi à les faire chanter par petit groupe en plein air, au parc de la villette, et ailleurs.»
La trouvaille est géniale, l’énergie des hot bodies féconde. Les récits des femmes composent le livret de ce drôle d’opéra qui entrecoupe les 55 minutes radiophoniques de l’épisode 1. La parole de ces femmes recouvre ainsi une nouvelle jeunesse. Cette chaîne de sororité vocale permet de les faire sortir de l’ombre, de les représenter dans ce moment particulier de leur vie.
« La femme de 45 ans, c'est comme si elle était un peu terne, un peu pas là, un peu invisibilisée », propos repris par La chorale des Hot bodies.
« Ce qui était important, ajoute Perrine Kervran c’est d’entendre toutes sortes de femmes raconter leur ménopause, des femmes de toutes origines, de tous milieux sociaux, pour toucher à l’universel. Si on avait écouté uniquement des femmes bobos de cinquante ans, on serait passé à côté de ce que l’on voulait faire. C’est pourquoi nous sommes allées à la maison des femmes de Montreuil et au centre des Francs Moisins de Saint-Denis, un endroit précieux où les femmes viennent régulièrement et parlent en toute confiance. Nous étions confinés mais dès que cela a été possible, fenêtres ouvertes et masques sur le nez, nous avons pu recueillir leurs témoignages. »
Que nous disent Sonja, Carole, Isabelle, Maria, Zara, Khadija, Juliette, Leocadie, Asta, Gwenaelle et Gisèle ? La manière dont elles ont vécu ce moment, parfois à leur insu, dans leur corps et dans leur tête : l’émotion à fleurs de peau, la larme facile, les bouffées de chaleur qui les envahissent ou qu’elles domptent, la baisse de la libido ou la découverte d’une sexualité diverse, l’angoisse de la finitude ou à l’inverse le sentiment d’un tournant qui ouvre sur d’autres horizons.
L’une s’est fait confectionner un petit ventilateur portatif par son mari, l’autre a amené le sien chez son médecin afin qu’il comprenne pourquoi elle a moins envie de lui. Dans un pépiement de connivences entrecoupé de rires, elles se racontent, chacune nommant le phénomène dans sa propre culture : « Sinni alya’si » (ménopause en arabe), « elle a l’âge » ou « tu ne vois plus tes règles » dit-on encore dans certains pays de l’Afrique subsaharienne pour désigner la femme ménopausée.
« Si j’avais pu trouver une piscine, plonger dedans, je l’aurais fait, je pouvais plus supporter les vêtements sur moi », propos repris par La chorale des Hot bodies sur le tube « Porque te vas ».
Orquasme
En proie elle aussi à ses premières bouffées de chaleur, l’autrice américaine Darcey Steinke fait des recherches et découvre que les orques font partie avec les femmes des deux seules espèces qui connaissent la ménopause. Petit à petit les cétacées prennent une place de plus en plus importante dans sa vie, elle les voit en rêve, dans le lac où elle se baigne, jusque dans son bol de soupe : «Après leur ménopause, les orques femelles deviennent les leaders de leur communauté, remarque-t-elle. Ce sont elles qui savent où trouver le poisson, elles aident à la formation des couples où elles s'occupent des plus jeunes, ça a été la première description de la ménopause qui m'a vraiment aidée à accepter l'idée. J’ai réalisé que ça pouvait être une forme de pouvoir. »
Depuis la nuit des temps, la ménopause incarne parfaitement le « care » (1) : en se rendant disponible pour leur communauté, en aidant les autres, paradoxalement les femmes ménopausées qui ne sont plus fertiles permettent aux plus jeunes de l’être et à l’espèce de se reproduire.
«Cette histoire d’orque est géniale, s’exclame Perrine Kervran. Darcey Steinke est une femme hyper sympa qui raconte avec beaucoup d’humour le moment de sa rencontre avec cette orque centenaire comme une transe, une épiphanie, un orquasme. »
Pourtant généralement, pas de métaphore, de digression, ni de légèreté dans les représentations de la ménopause qui continue d’être pointée comme un écueil. La femme qui perd sa jeunesse, sa beauté, sa fécondité, perd tout, c’est pourquoi elle est sommée de préserver ces caractéristiques par tous les moyens. Les grands laboratoires américains en ont fait leurs choux gras en fabriquant des hormones de substitution, relayés par une pratique médicale qui traite la ménopause comme une pathologie invalidante.
« Dans la société française contemporaine, écrit la sociologue Cécile Charlap, la ménopause apparaît comme une étape-clef du vieillissement des femmes, souvent vécue avec angoisse, et prise en charge par la médecine. L’on pourrait penser que c’est une façon universelle de considérer un événement qui, après tout, l’est aussi. Il n’en est rien. Selon les sociétés, la cessation des menstruations peut être un accroissement des possibles et des pouvoirs, l’avènement d’une sexualité enfin libérée de la fertilité, ou même un non-événement, ne faisant pas l’objet d’une attention particulière, au point qu’il n’existe pas de mot pour le désigner. »
Hommes et hormones
Mais serions-nous les seules soumises aux caprices hormonaux ? Loin s’en faut. Les hommes aussi ont des cycles, des poussées de testostérone commandées par un hypothalamus soumis aux saisons. Ils vivent eux aussi un genre de ménopause : coup de blues, embonpoint, libido dans les chaussettes, bouffées de chaleur.
« En fait il y a beaucoup de symptômes communs entre hommes et femmes aux alentours de la cinquantaine, mais tandis que pour les femmes on en fait tout un bin‘s, pour les hommes, on n’en parle pas, remarque Perrine Kervran. Et pourtant, les pauvres, c’est très difficile pour eux aussi puisqu’ils subissent une injonction continuelle à la performance.»
“Andropause ton gun”, titre de l’épisode 3, détourne précisément, avec ironie, cette injonction à la performance pour une invitation faite aux hommes - peut-être tout aussi douloureuse - à lâcher prise et à mettre leurs maux en mots : «En parler est un vrai tabou, voire pire qu’un tabou : c’est la mort, souligne la productrice. D’ailleurs aucun homme ne voulait parler de son andropause. Pour avoir des témoignages on a dû poser cela autrement, évoquer “la crise de la cinquantaine”. Parler de ce qu’il leur arrive au moment de la cinquantaine, c’est possible, prononcer le mot “andropause” reste très compliqué, cela désigne une pathologie que les hommes ne parviennent pas à reconnaître.»
Et Elise Thiebaut de renchérir : « On dit sans cesse à une femme qui est de mauvaise humeur qu’elle a ses ragnagna. Mais quand un homme est en colère, personne ne songerait à lui dire qu’il fait peut-être un petit pic de testostérone ».
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce travail radiophonique qui distille une belle énergie pour parler d’un âge où l’on ait censé en avoir moins. « Ce qui a été très chouette dans ce projet, c’est que dès que nous sollicitions quelqu’un, la personne s’impliquait avec énormément d’enthousiasme, de générosité, de disponibilité. Les gens étaient très contents de parler d’autre chose que du covid, d’avoir des échanges », conclut Perrine Kervran.
Une gestation de 10 ans, des bribes de vie arrachées à l’effarement du confinement, ces « bouffées de chaleur du temps » ont participé sans nul doute à l’alchimie créatrice de cette série hors pair, à écouter, savourer et ré-écouter !
MENOPAUSE POUR TOUT LE MONDE :
Episode 1 : Ménopause tralala
Episode 2 : Les femmes sont des orques comme les autres
Episode 3 : "Andropause ton gun", une sombre histoire d'hormones
Episode 4 : La femme invisible
Chaque épisode est accompagné de la liste des intervenant·e·s et d’une riche bibliographie.