Écrit par Charlotte BESSON, sage-femme libérale sarthoise
J'ai peur pour les couples que j’accompagne au quotidien et qui s'apprêtent à accueillir leur bébé, et je redoute le moment où ils devront aller à la maternité.
J’ai peur pour les sages-femmes fonctionnaires (des hôpitaux, des PMI) et salariées (des cliniques), qui sont toutes en épuisement professionnel.
J’ai peur des décès de femmes enceintes, des décès de fœtus ou de nouveau-nés, des suicides de collègues sages-femmes.
- Beaucoup de sages-femmes sont en arrêt de travail pour burn out ou dépression et non remplacées (les candidatures ne se bousculent plus à ces postes éreintants et mal reconnus).
- Beaucoup sont sur le point de faire une reconversion professionnelle, car ce métier qu'ils et elles chérissent les tue à petit
- Beaucoup d'étudiants et étudiantes sages-femmes réfléchissent déjà à changer de métier avant même d'avoir exercé.
Des témoignages alarmants affluent actuellement
- Celui d’une sage-femme, qui a dû quitter une jeune accouchée faisant une hémorragie pour courir au bloc opératoire extraire en urgence par césarienne le bébé d'une autre patiente. Le manque d’effectif et de moyens nous oblige à devoir choisir qui soigner parmi nos patientes. Pouvons-nous accepter ça au XXIe siècle dans la 5ème puissance économique mondiale et faire porter ce fardeau aux sages-femmes?
- D'autres qui avouent ne plus être assez nombreuses pour pouvoir surveiller tous les rythmes cardiaques des bébés in utero en salle d'accouchement durant parfois 30 minutes consécutives. Si ces cœurs faiblissent, rien n'est vu, et donc rien ne peut être fait. C'est gravissime. Est-ce le modèle de société que nous souhaitons et le genre de risques que nous sommes prêts et prêtes à assumer collectivement ?
- Début novembre, une patiente enceinte de jumeaux, en menace d'accouchement prématuré, ne pouvait être accueillie en urgence près de chez elle, faute de professionnels dans les maternités plus proches, de lits disponibles, et de respirateurs pour bébé... Elle a tenu bon sur 200 km, de Laval jusqu’à
La prochaine patiente tiendra-t-elle ?
- À la Rochelle, une patiente n'a pu être hospitalisée qu'au Mans, aucune maternité n'étant disponible plus près de chez elle. Est-ce le type de risques auxquels nous souhaitons être exposés? Quid des pères dans ces situations ?
- Il arrive maintenant de plus en plus souvent que, juste après l'accouchement, une jeune accouchée reste dans sa maternité (qualifiée pour l'accueillir elle et son bébé), mais qu'on transfère finalement son nouveau-né prématuré dans une autre maternité, par manque de matériel et de personnel. Comment peut-on séparer une mère de son bébé de la sorte, pour des raisons de pénurie ?
- La plupart des services de maternités fonctionnent malgré plusieurs sages-femmes non remplacées en permanence. Celles qui restent courent dans tous les sens. Combien de temps notre système tiendra-t-il encore ?
Concrètement, aujourd'hui, être sage-femme en hôpital ou clinique c'est :
- Être seule pour assurer la sécurité de 3 à 4 patientes qui sont en travail, et qui parfois peuvent avoir besoin de nous en même
- Surveiller seule la sécurité de 20 à 30 patients (10 à 15 jeunes mamans et 10 à 15 nouveaux-nés), avec de plus en plus de pathologies complexes associées.
- Travailler 12 heures de suite, (en alternant les gardes de 12h de jour comme de nuit), en courant d'une urgence à l'autre, sans pause (ni repas, ni pipi), en sachant pertinemment que vous serez rappelée pour revenir travailler sur vos quelques jours de repos. En effet, la structure qui vous emploie est au bord de la fermeture pour manque d'effectif, et si vous ne revenez pas travailler sur vos jours de repos, on vous accusera d'être en partie responsable de la fermeture d'un service hospitalier, voire de la maternité entière.
- Ne plus réussir à dormir par manque de jours de
- Pleurer sans pouvoir s'arrêter en découvrant son planning de travail (qui paraît chaque mois seulement 15 jours avant), en y découvrant beaucoup d’heures supplémentaires.
En 40 ans, du fait de décisions politiques désastreuses, deux tiers des maternités de France ont déjà fermé.
Un grand nombre des maternités françaises restantes sont sur le point de fermer, par manque de professionnelles. Où les patientes vont-elles accoucher ?
De plus en plus loin de chez elle ? Dans leur voiture ?
Seules sur la route ?
Ou bien arrivées à bon port dans une maternité (isolée dans un grand périmètre de désert hospitalier), avec une équipe de professionnels épuisés et non disponibles ?
Je le répète, j’ai peur car notre système va craquer, et nous aurons des morts.
On s'en attristera, on s'en offusquera mais j'aimerais autant qu'on puisse éviter cela.
Que faut-il attendre pour enfin reconnaître notre métier à sa juste valeur ? Pour enfin nous donner les moyens de travailler correctement et assurer en continu la sécurité des patientes ?
- Il s'agit de revoir de toute urgence les décrets de périnatalité obsolètes (datant de 1998), qui régissent le nombre de sages-femmes par établissement. C'est la révision de ces décrets qui permettra de régler le problème des sous-effectifs dans les services, pour de bonnes conditions de travail et de sécurité.
Aucune proposition politique ne va dans ce sens pour le moment, malgré beaucoup de d’agitation autour du rapport sur les 1000 premiers jours ! La détresse de la profession ne sera pas apaisée tant que ce sujet ne sera pas étudié sérieusement…
- Il s'agit de rémunérer les sages-femmes correctement. Nous partageons une partie de nos études et le statut de prescripteur avec les médecins et les Malgré
une formation équivalente en heures à celle des dentistes, notre profession, nettement plus féminisée, perçoit une rémunération bien inférieure.
Ça ne paye donc pas d'être une profession féminine qui s'occupe de la santé des femmes.
La revalorisation annoncée dernièrement (près de 500 euros par mois, majoritairement sous forme de primes supprimables à tout moment, et non prises en compte pour le calcul de la retraite) est bien inférieure à ce que notre responsabilité mérite.
De plus, elle ne concerne pas totalement les nombreuses sages-femmes contractuelles, ni celles des établissements privés, ni les sages-femmes territoriales ! Un amendement proposant de revaloriser la rémunération des sages-femmes selon les recommandations de l'IGAS (jusqu’à près de 700 euros par mois) a même été rejeté fin octobre par les députés.
- Il s'agit également de revaloriser les actes réalisés par les sages-femmes libérales à leur juste
- Il faut d’urgence arrêter la précarisation de la profession, avec son recours massif au contrats précaires (CDD, se transformant parfois après nombreuses années en CDI plutôt qu'en statut de fonctionnaire, pour éviter d'avoir à verser des primes !)
- Il faut mettre en place un nouveau statut médical pour la profession, en accord avec la grande responsabilité professionnelle qui pèse sur les sages-femmes, et la quantité de savoirs acquis au cours de la formation. Cela permettrait d'accroître l’attractivité, de favoriser l’accès à la formation professionnelle, d’accéder à un exercice hybride (ville/ hôpital), ou encore de participer à des activités de recherche pour celles qui le
- Il faut supprimer la limitation des prescriptions, que ne subissent ni médecins, ni
- Si une 6eme année d'étude doit être ajoutée (en raison de l'abondance des connaissances à intégrer pour devenir sage-femme), il faut alors nous reconnaître le même niveau universitaire que les dentistes, qui eux aussi ont 6 ans d'études supérieures, couronnées par une thèse, leur confèrent le statut de
- Il ne faut plus dire que les sages-femmes travaillent sous l'autorité médicale des gynécologues. Nos compétences ne sont pas les mêmes. Les gynécologues n’ont pas particulièrement de compétences en matière de pédiatrie, d’allaitement, et très peu en matière d’accouchement physiologique. Ce sont en revanche des spécialistes de la pathologie et des chirurgiens chevronnés.
Nous sommes simplement leurs collègues, autonomes dans nos responsabilités.
Ces changements sont nécessaires si l’on ne souhaite pas détourner les étudiants sages-femmes de leur vocation. Ils sont incontournables si l’on souhaite que les sages-femmes restent dans le métier, renoncent à faire des reconversions professionnelles, et cessent d’être en épuisement professionnel, pour pouvoir reprendre ce travail qu'elles aimaient tant.
Ainsi les parents et les bébés seront de nouveau en sécurité. Il est urgent d'agir avant le drame !