Hajar Azell n’a pas encore 30 ans et vient de publier son tout premier récit aux éditions Gallimard (Collection blanche). Le roman a reçu un accueil enthousiaste de la critique et des lecteurs. Nous l’avons rencontrée.

Pourquoi dans « L’envers de l’été » la Méditerranée est pour ainsi dire un personnage à part entière ?
Parce que c'est un territoire que j'aime beaucoup, j'ai écrit le roman entre Tanger, Alger, Alicante et Paris. J'aime l'intensité de "la vie méditerranéenne", ses décors, ses personnalités, son vécu en "foule". C'est quelque chose qui m'a beaucoup nourri. Mes lectures aussi en sont empreintes. Il y a bien sûr les textes de Camus mais aussi Alessandro Baricco ou Kamel Daoud. Pour moi, la Méditerranée est un territoire à la fois sensoriellement très palpable et en même temps totalement imaginaire puisqu'il rassemble des pays et des vécus totalement différents. C'est un territoire très propice à la fiction et au fantasme. J'avais envie de raconter ma propre vision de ce territoire tout en déconstruisant certains mythes qui lui sont associés.
Les femmes semblent avoir du mal à prendre en charge leur destin ? Y compris les jeunes générations. Pourquoi ?
Je ne dirais pas qu'elles ont dû mal à prendre en charge leur destin mais plutôt qu'elles doivent naviguer entre beaucoup d'injonctions. Finalement, mon roman est très matriarcal : ce sont les femmes qui construisent et qui détruisent aussi. Ce que je voulais montrer c'est la difficulté à choisir un modèle librement. Les femmes qui choisissent la communauté, l'honneur, la famille, la maternité. (Gaia et Nina) s'opposent à celles qui souhaitent vivre leur vie autrement : Rita et Camélia. C'est cette impossibilité de choisir librement sa vie qui crée des souffrances, des non-dits, des secrets. La foule est reine et les rondes collectives figent les femmes comme les hommes dans une image faussée de ceux qu'ils sont.
May est-elle un espoir ?
May a un recul, oui. Elle est dans entre-deux qui lui permet d'observer et d'apprendre. Ses tourments à elle sont autres : ce sont ceux de l'identité et du déchirement.
Que représente le personnage de Nina, cette femme rendue folle par le déni de sa filiation ?
Nina est un personnage très important pour moi. C'est celle qui connaît le mieux la terre, la mer et le soleil… si bien qu'elle en est devenue la gardienne. C'est celle qui veut conserver la maison, perpétuer la tradition, protéger l'héritage de Gaia. Elle incarne la constance dont on s'accommode, siège en reine dans une nature désertée. C'est une femme sacrifiée… et en même temps c'est le personnage le plus libre finalement. Une fois que la maison est vendue, elle se confond presque avec les éléments, elle retrouve une certaine liberté, glisse dans la folie.
Quel accueil a reçu votre roman ?
Je suis très heureuse des premiers retours de journalistes et de lecteurs. C'est fascinant de voir comment ma subjectivité peut entrer en résonance avec d'autres. Malgré la covid, j'ai pu rencontrer des gens qui m'ont beaucoup encouragée. J'ai une relation très forte avec mon éditeur. Il attend déjà les prochains écrits. J'ai hâte aussi.
Extrait
« Chaque année avant les adieux, Nina organisait le partage des figues du mois d'août. Des dizaines de petits doigts s'agrippaient aux branches, tâtaient la pulpe molle des fruits avant de les arracher. Le sol se couvrait de violet. On rentrait à la maison avec de la sève blanche sur les doigts et, dans la bouche, ce goût sucré et granuleux qui marquait la fin de l'été. Dans la grande maison familiale au bord de la Méditerranée, Gaïa vient de mourir. May, sa petite-fille, qui a grandi en France, éprouve le besoin de passer quelques mois dans la maison avant sa mise en vente, en dehors de la belle saison. Elle y découvre, en même temps que la réalité d'un pays qu'elle croyait familier, le passé des femmes de sa lignée. En particulier celui de Nina, la fille adoptive de Gaïa, tenue écartée de l'héritage. Le paradis de son enfance se révèle rempli de blessures gardées secrètes.
Derrière la sensualité du décor, Hajar Azell fait apparaître l'extrême violence des rapports familiaux et des interdits sociaux qui pèsent principalement sur les femmes. Elle décrit aussi les coulisses du bonheur, les parenthèses ensoleillées des vacances en famille qui laisseront au cœur de ceux qui repartent une profonde nostalgie et chez ceux qui restent une douleur lancinante. »