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Ouvrez la télé, un journal, une radio et prenez la température du sexisme en tant d’épidémie. Et regardez-les, entendez-les forcément : ils sont huit sur les plateaux, dans les studios ! En moyenne, il reste donc deux femmes sur les dix personnes interrogées, filmées, enregistrées, considérées comme aptes à parler du virus et de ses conséquences… En temps d’épidémie, comme en temps de guerre, et davantage qu’en temps « normal », la parole d’autorité reste un monopole largement masculin, y compris dans un domaine où les femmes sont largement majoritaires, la santé…
La revue française des médias de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) a analysé en mars-avril 2020 les journaux télévisés de trois grandes chaînes publiques françaises, plus deux chaînes privées. Les résultats sont consternants : la crise sanitaire a aggravé les écarts déjà constatés en temps normal. Plus que jamais, on a vu les femmes invitées pour dire leur mal-être, parler de leur vie de maman confinée, de témoin plus ou moins engagée, etc. Mais dès qu’il s’agit d’éclairer et d’expliciter les avis scientifiques, place aux hommes !

Ce n’est pas une nouveauté, et toutes les études menées sur le genre le confirment. Même chose au sein de la profession des journalistes, en France et dans les pays latins en particulier : les écarts sont réels, et parfois énormes, à tous les échelons du métier. Pourtant, il y avait eu des progrès depuis le début des années 2000. En 2019, les femmes représentaient 38% des experts à s’exprimer sur les plateaux télé. Comme on venait du néant ou presque : moins de 10% de femmes expertes avant les années 2000, on pouvait se dire qu’on allait dans le bon sens, celui de la parité professionnelle, médiatiquement parlant...
On a vu les femmes invitées pour dire leur mal-être, parler de leur vie de maman confinée, de témoin plus ou moins engagée, etc. Mais dès qu’il s’agit d’éclairer et d’expliciter les avis scientifiques, place aux hommes !
Et patatras, voilà les meilleures intentions du monde (je veux dire : le monde réel, donc masculin) anéanties pour cause de Covid 19. Est-ce vraiment la seule faute à l’épidémie si les expertes ne sont pas invitées à prendre la parole ? Pour répondre à cette question, il faut en soulever d’autres comme celles-ci : avez-vous remarqué comment, dans n’importe quelle assemblée, les hommes prennent la parole facilement, les premiers, et le plus longtemps ? Avez-vous remarqué qu’ils s’autorisent (très souvent) des généralités sur un ton posé, sérieux, voire impérieux ? Avez-vous remarqué que les femmes quant à elles s’expriment (souvent) avec réserve, tout en nuances, sur un ton parfois si doux qu’il peut virer à l’inaudible ? Et question complémentaire : depuis quand les femmes s’autorisent-elles à parler de politique, de sexe, de sport, à s’aventurer seules dans les rues, dans les espaces publics?
Jusqu’au début du 20è siècle, la société patriarcale a imposé le silence aux femmes, à tel point qu'elles-mêmes l'ont intégré...
La prise de parole des femmes dans l’espace public est un phénomène récent. Jusqu’au début du 20è siècle, la société patriarcale a imposé le silence aux femmes, à tel point qu’elles-mêmes l’ont intégré… et fait subir à d’autres femmes, inconsciemment ou pas. Ainsi, « les bonnes manières » de la société bourgeoise rejetaient l’idée qu’une femme puisse se mettre en avant, et cette idée était entretenue par nos mères (pas toutes, évidemment, il y avait déjà de la rébellion dans l’air).
Reste que l’emprise des hommes a façonné notre monde et nos comportements, à tel point que dans les écoles françaises, les professeur.e.s ont continué de valoriser surtout les garçons.
Dans les années 80-90, les sociologues qui ont étudié minutieusement les comportements des pédagogues étaient eux-mêmes surpris des résultats qu’ils obtenaient, en comparant les attentes des professeurs face à leurs élèves, selon qu’ils étaient garçons ou filles. La socialisation commence dès la maternelle, au féminin comme au masculin. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de voir pendant les récréations, les cours d’école envahies par des hordes de garçons tandis que les filles les regardent jouer au ballon ! Cette dissymétrie s’estompe, heureusement mais sûrement, à chaque protestation, individuelle et collective, qui fait progresser l’égalité filles-garçons, que ce soit dans les cours d’école, sur les plateaux télé ou dans les colonnes des journaux. Alors que les femmes sont désormais plus nombreuses en France à être diplômées que les hommes au niveau du baccalauréat et de l’enseignement supérieur (52%), elles sont rares, celles qui sont admises dans la grande « cour » médiatique télévisuelle.
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes en haut de la hiérarchie des médias ?
La ritournelle des questions peut reprendre : pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes en haut de la hiérarchie des médias ? Pourquoi disparaissent-elles dès qu’il s’agit de grimper les échelons, dans le monde de la recherche, dans le monde hospitalier, dans le monde universitaire, dans le monde médiatique ? Et jusqu’à quand ?
Le Monde, grand quotidien français, s’est interrogé sur ce qui se passe dans ses propres colonnes. Il lui a fallu du temps pour s’interroger… car comme dans tous les grands quotidiens du monde entier, les rubriques les mieux considérées restent l’apanage des hommes. Le Monde a mis en place un suivi statistique …en 2018, alors que des rédactions bien plus modestes s’y sont attelées dès les années 2000. J’étais à l’époque dans l’une de ces rédactions, d’une cinquantaine de journalistes : certes, faire admettre à la direction qu’il fallait diffuser une grille de salaires « genrée » n’a pas été chose facile, mais on l’a fait !

Mieux vaut tard que jamais. La contribution aux débats, sur le Covid comme sur n’importe quel sujet politique ou de société, gagnera à être passée par les observations inspirées d’autant d’auteurs que d’autrices !
Et rendre publics les chiffres « genrés » est non seulement un moyen de contribuer pleinement aux débats en cours, c’est aussi pour les féministes un moyen de peser sur ces débats, avec obligation de résultats pour rendre compte des progrès réalisés.
Études sur la représentation des femmes dans les médias :
ÉTUDE INA. Covid-19 dans les JT : un niveau de médiatisation inédit pour une pandémie
Conseil supérieur de l’audiovisuel. La représentation des femmes dans les médias audiovisuels pendant l’épidémie de Covid.