Image principale de Anthony Micallef: La soirée inaugurale du festival Bruits roses à la salle de concerts Makeda
Au cœur de Bruits roses, le Makeda — salle de concerts emblématique du centre-ville de Marseille — a accueilli un moment inédit pour célébrer l’inauguration du festival, conçu avec le collectif Cabaraï, que Justine décrit comme « plus qu’une table ronde, un format un peu hybride », installé « dans une boîte, avec un casque à l’oreille », un dispositif que le Makeda n’avait jamais vu. La thématique : « Raï : la création comme vecteur d’émancipation des jeunes Algérien.nes et de la diaspora ». Les échanges réunissaient Feryal, membre de Cabaraï et engagée pour la sécurité des femmes en milieu festif à Marseille, Faïza alias La Louuve, DJette et exploratrice des musiques populaires algériennes, ainsi que moi-même Amel Hadjadj, fondatrice du Journal Féministe Algérien. La soirée s’est prolongée sous le signe du raï et de ses imaginaires populaires ; la piste s’est transformée en un espace dansant, créatif et collectif, fidèle à la volonté du festival de faire se rencontrer pensée et fête, luttes et joie, paroles et corps libérés.
Écouter la Méditerranée autrement
Il s'agit de la première édition de ce rendez-vous annuel français consacré aux podcasts et à la création sonore en Méditerranée. Du 10 au 12 octobre 2025, la programmation a fait dialoguer des œuvres venues d’Algérie, de Tunisie, du Liban, de Turquie, de Palestine, de France, d’Italie et d’ailleurs, ainsi que des diasporas méditerranéennes installées en Europe. Entre projections, écoutes et rencontres publiques, le festival a investi plusieurs lieux marseillais — le Mucem Lab, le Musée d’Histoire de Marseille, le Makeda, le Théâtre de l’Œuvre.
Le nom du festival renvoie à un son que l’on croit venir du large, mais qui émane en réalité de notre propre corps. « C’est comme quand on colle un coquillage à son oreille. On entend à la fois le souffle de la mer et notre circulation intérieure. C’est une image qui relie l’intime et le collectif — et c’est exactement ce qu’on voulait faire à travers le festival », explique Justine Perez documentariste sonore et cofondatrice de cet événement. Cette symbolique prend tout son sens cette année, où le centenaire de la radio à Marseille rappelle l’histoire d’un médium populaire qui se réinvente aujourd’hui à travers le podcast et l’écoute partagée.
Bruits Roses est porté par l’association Sonorama composée de professionnel.les du podcast et de la radio, ainsi que d’expert.es de la gestion de projets culturels. Sonorama souhaite sensibiliser aux nouvelles écoutes et à un patrimoine sonore en partage. Elle mène des projets de curation et de diffusion d’œuvres sonores, d’accompagnement de créateurices, et veille à créer des espaces de rencontre entre acteurices du son à Marseille et en Méditerranée. L’association défend les nouveaux récits et leur circulation au sein des jeunesses euro-méditerranéennes, en imaginant le son comme un outil d’émancipation et de lien.
« C’est comme quand on colle un coquillage à son oreille. On entend à la fois le souffle de la mer et notre circulation intérieure. C’est une image qui relie l’intime et le collectif — et c’est exactement ce qu’on voulait faire à travers le festival »
Une démarche féministe, dans la forme comme dans le fond
Justine explique que cette première édition porte une dimension féministe assumée. L’association organisatrice est largement composée de femmes, notamment dans ses postes de direction, avec une volonté explicite de « travailler autrement », loin des structures « plus masculinistes » qui dominent les milieux culturels. Selon elle, le podcast a été un médium qui a permis une libération de la parole depuis le mouvement #MeToo : il offre un espace pour « tordre le cou à la sociologie des médias toujours composée des mêmes : des Blancs, des CSP+ ». Les créatrices sonores invitées ont porté des récits féministes puissants, ancrés dans les réalités de leurs pays, éclairant les fractures Nord–Sud et les héritages coloniaux dans les trajectoires des femmes. Ce positionnement n’a rien de décoratif : il est au cœur de l’ambition de Bruits Roses, qui vise à valoriser les voix que l’on entend peu, à créer des espaces d’échanges et à faire exister des récits capables de transformer le réel. Pour Justine et son équipe, écouter est déjà une forme de résistance : faire circuler les voix de la Méditerranée, c’est contribuer à leur émancipation.
Un ancrage politique assumé
Dès la conception du festival, Bruits Roses a voulu ouvrir l’écoute à des récits que les médias dominants invisibilisent encore trop souvent. « Le podcast en France reste un milieu très restreint. Le festival a justement été un moyen d’investir cet espace pour porter d’autres paroles », indique Justine. « On a vu émerger des voix du Sud qui parlent de genre, de justice, de luttes, mais aussi de poésie et de mémoire. Ces regards non français sur le monde étaient précieux », souligne-t-elle. Le festival n’a pas cherché à lisser les débats : la question du prétendu matriarcat méditerranéen, par exemple, a permis de rappeler que les inégalités persistent, et que les discours coloniaux restent vivaces, notamment sur des sujets comme le voile.
Les organisateurices tenaient à ne pas aborder la Méditerranée en gommant les réalités politiques qui la traversent. « Il ne fallait pas faire comme si ça n’existait pas, dit-elle, notamment ce qui se passe en Palestine ». Cette attention s’est traduite dans la programmation avec plusieurs rendez-vous dédiés aux créations palestiniennes. Au Théâtre de l’Œuvre, une séance de projection et d’écoute intitulée Bruits de la Palestine, organisée en partenariat avec Aflam et Ciné-Palestine, proposait des œuvres sur la radio en Palestine, sur le drame actuel vécu à Gaza, sur la guerre, les voix et les luttes palestiniennes, suivie d’un échange avec le public. La Palestine a également été au cœur de la table ronde Micro Résistance : faire entendre les paroles confisquées, au Musée d’Histoire de Marseille, où le réalisateur et sound designer palestinien Mahmoud Abughalwa a présenté son travail sur l’imaginaire sonore, la mémoire et l’archivage des sons en temps de guerre.

Une édition zéro pour poser les bases
Pensé comme une édition zéro, Bruits roses a été imaginé comme une exploration collective avant les prochaines éditions. « C’était une sorte d’état des lieux, précise Justine. On a voulu comprendre ce qui se racontait, d’où, et comment. L’idée, c’était de poser les bases pour aller plus loin l’année prochaine, avec une édition vraiment multilingue et co-construite avec d’autres festivals du bassin méditerranéen ». Si durant cette première édition les intervenant.es se sont majoritairement exprimé.es en français, l’équipe a déjà l’ambition de renforcer le multilinguisme : « C’est un vrai levier pour créer des espaces réellement multiculturels. »


























