Le 11 juin 2025 au soir, une délégation de militantes féministes algériennes prenait l’avion depuis Alger, direction Le Caire. Leur objectif : participer à la Global March to Gaza, organisée par une coalition internationale avec la Flottille de la Liberté . Une marche prévue depuis le territoire égyptien, sur 45 kilomètres de désert jusqu’au poste frontalier de Rafah, pour briser le blocus imposé à la population palestinienne. Ce voyage, entre tension, espoir et clandestinité, n’aura cependant pas été sans entraves.
Une mobilisation urgente et politique
Dès l’annonce de la marche mondiale, six féministes algériennes se sont organisées à travers réseaux, collectifs et associations. L’appel à agir, à briser le silence, à rejoindre un nouvel internationalisme anticolonialiste n’a laissé personne indifférent. « Il était important pour nous de réagir, de répondre, de faire partie de cette nouvelle forme d’universalisme actif contre le colonialisme, pour un cessez-le-feu, pour briser le blocus de Gaza », explique l’une des militantes.
La coordination s’est faite dans l’urgence. Il a fallu rassembler des représentantes, s’organiser avec les consignes locales de la coordination algérienne tout en suivant l’évolution des négociations menées par l’organisation internationale avec les autorités égyptiennes.
Un convoi aérien sous surveillance
La délégation féministe algérienne faisait partie du convoi aérien, un des dispositifs majeurs prévus pour cette mobilisation internationale. Les militantes devaient entrer en Égypte par voie aérienne, sous couvert de tourisme, afin d’éviter la répression prévisible. Mais dès les premiers jours, les autorités égyptiennes ont commencé à bloquer l’accès au territoire : refoulements à l’aéroport du Caire, arrestations, contrôles renforcés.
En parallèle, un autre convoi terrestre, est parti de plusieurs pays d’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Libye ) et a été renforcé en chemin par des militant·es mauritaniens, décidée.s eux/elles aussi à rejoindre Rafah.

Un départ déguisé, une tension omniprésente
L’entrée en Égypte exigeait discrétion et prudence. Pour contourner les restrictions, les participantes ont dû se faire passer pour des touristes. L'une d'elle raconte* : « On nous a demandé de voyager avec des bagages adaptés aux visas touristiques : maillots, chapeaux, robes… et de ne surtout pas emporter de tentes ni de sacs de couchage. Pourtant, la marche vers Rafah devait se faire dans le désert. »
Le vol était chargé de tension contenue. Les regards se croisaient, timides, inquiets, solidaires. Sans se parler, beaucoup comprenaient qu’ils et elles partageaient le même but. C’était une forme de reconnaissance silencieuse, un espoir commun et une peur commune aussi. L’enthousiasme de participer à une action de portée historique se mêlait au stress d’être arrêté·e, refoulé·e, fiché·e.
À l’arrivée, la sélection a commencé. Certains passager.es ont passé la police aux frontières, d’autres ont été immédiatement dirigé.es vers le poste de police. « C’était beaucoup de stress. On faisait de notre mieux pour ne pas se faire remarquer, pour ne pas montrer qu’on formait un groupe », témoigne une participante. Les consignes de sécurité étaient strictes : vider ses téléphones, effacer les discussions, désinstaller les applications sensibles. Chaque geste était pensé pour se protéger soi-même et les autres.
Une hospitalité protectrice et stratégique
Dans ce contexte tendu, l’accueil des camarades égyptiennes fut un soulagement immense. Beaucoup de militantes algériennes, repérées ou suspectées, ont pu être hébergées dans des appartements sûrs, à l’écart des hôtels fortement surveillés. « Elles nous ont accueillies comme des sœurs. Elles ont passé des nuits blanches à nous attendre, à nous guider. Elles nous ont protégé·es, écouté·es, tenté de nous apaiser malgré leur propre exposition. »
Au-delà de la chaleur humaine, elles ont aussi partagé des analyses essentielles sur la situation: le cadre juridique égyptien, les risques encourus, les tactiques à adapter. Leurs explications ont permis à nombre d’entre nous de réévaluer nos stratégies, de mesurer la portée symbolique de notre présence, mais aussi les limites imposées par le contexte autoritaire.
Dans les rues du Caire, chaque déplacement était incertain, mais parfois des sourires et des gestes simples ravivent l’élan initial. Lorsque des Égyptien·nes comprenaient que nous étions là pour Gaza, leur regard changeait. Des mots d’encouragement, des mains posées sur le cœur, des « ahlan bikoum » pleins de chaleur. L’hospitalité populaire, spontanée, vient contrebalancer la peur et la pression.
Une tentative empêchée, un engagement intact
Malgré les expulsions et les empêchements, les militantes algériennes restent lucides : cette tentative est un geste politique en soi. Se préparer à marcher vers Gaza, même sans pouvoir atteindre Rafah, c’est signifier un refus du silence. « Le but est symbolique, oui. Mais il compte. On a essayé d’être là, de nous rapprocher de celles et ceux qui sont bombardés, privés d’eau, de soins, de nourriture. Et ça, personne ne pourra l’effacer. »
Selon les organisatrices, près de 80 % de la délégation algérienne du convoi aérien a été refoulée à la frontière égyptienne. Mais la solidarité tissée entre militantes, les liens forgés avec les égyptiennes, et l’élan politique international qui se renforce autour de Gaza restent vivants.