Image principale: Samiha Huraini, à Masafer Yatta, avec derrière elle un véhicule blindé de l’armée israélienne, issu du documentaire “Sameeha Huraini”.
C’est à la suite d’un énième appel à la solidarité internationale lancé le 29 mai 2025 par Basel Adra, le co-réalisateur palestinien du documentaire récemment oscarisé No Other Land, que Medfeminiswiya s'est rendu à Masafer Yatta, une région rurale au sud-est du gouvernorat d'Hébron, dans le sud de la Cisjordanie occupée. Les autorités israéliennes en ont unilatéralement fait une zone de tir militaire fermée, pour ainsi donner une assise légale aux pratiques systématiques de transfert forcé de la population palestinienne et de destructions. At-Tuwani, le village de Basel Adra, comme d'autres de cette région, n'est pas épargné par les démolitions de maisons, d’écoles, l’arrachage d'arbres, le vol ou le meurtre de bétail. Sur ses réseaux sociaux, le cinéaste avertit : « Ce n’est pas facile pour moi d’écrire ça, mais ma communauté à Masafer Yatta sera détruite, à moins que des activistes et des journalistes viennent urgemment nous rejoindre sur le terrain (...) ». Pour illustrer son appel au secours, Basel Adra poste une vidéo. On y voit d'une part, des colons et leurs moutons et d'autre part, des soldats de l’armée israélienne pour les protéger, dans le village de Khalet Aldabaa menacé de nettoyage ethnique comme le reste de la région. Depuis un rapport du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1992, le nettoyage ethnique a été défini comme étant une pratique contraire au droit international. Il vise à rendre une zone ethniquement homogène par la violence, la déportation ou le déplacement forcé en vue de faire disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes déterminés.

En arrivant sur place ce lundi 2 juin, l’armée israélienne arrête celles et ceux qui tentent d’entrer dans le village de At-Tuwani en dégainant un ordre militaire émis plus tôt dans la matinée. Ce dernier interdit l’accès à quiconque n’est pas résident de la zone ou membre des services d’ordre israéliens. Les humanitaires, les journalistes et les activistes étrangers sont rassemblés pour demander des explications, en vain. Ce jour-là, personne ne pourra entrer dans la zone. Le lendemain l'accès se libère pour aller au village d'At-Tuwani et nous pouvons dés lors aller à la rencontre de l'activiste Samiha Huraini, pour parler du rôle des femmes dans la résistance pour leurs terres à Masafer Yatta.
« Chaque histoire de chaque femme importe. Il faut en parler, les relayer pour que le monde prenne conscience de notre réalité. »
Samiha a grandi dans la violence de la colonisation
Samiha Huraini vit avec ses sept frères et sœurs ainsi que ses parents dans une grande maison truffée de caméras de surveillance et dont les pourtours sont désormais affublés de grillages métalliques. Toutes ces précautions sont récentes ; quelques dizaines de mètres les séparent d’une colonie israélienne. Les colons, illégalement installés à quelques dizaines de mètres de là, font régulièrement des descentes violentes pour terroriser la famille.
Du haut de ses 27 ans, Samiha explique être une activiste depuis son plus jeune âge, parce qu’elle a toujours grandi dans la violence de la colonisation israélienne : « Les colons sont de plus en plus créatifs dans leur violence contre les Palestinien.ne.s. Ils sont persuadés qu’en tant que Palestinien.ne.s, nous n’avons aucun droit à être ici, que ce soit les colons ou l’armée d’occupation israélienne. » Elle énumère les violences quotidiennes auxquelles sa famille doit faire face : les colons et l’armée tirent sur des personnes de sa communauté, les blessent, voire les tuent, attaquent et brûlent leurs maisons et leurs champs, sans distinction de genre ou d’âge. « On pourrait penser que les femmes seraient moins attaquées parce que ce sont des femmes, mais il n’en est rien », précise-t-elle.
Si Samiha a bien conscience qu’ils ne sont pas confrontés au même niveau de violence que ses concitoyen.ne.s dans la bande de Gaza, elle met en garde la communauté internationale des conséquences à venir de son silence sur son village et le reste de la Cisjordanie : « La guerre n’est pas aussi brutale qu’à Gaza. Ici, ce n’est rien en comparaison, mais le silence de la communauté internationale ne fait qu’encourager la guerre silencieuse qui se déroule ici depuis bien longtemps. Ce qui se passe à Gaza va arriver chez nous, c’est certain (...). C’est juste qu’on en parle moins. La guerre est déjà là. » Depuis le 7 octobre 2023, plus de 1000 Palestinien.ne.s ont été tué.e.s en Cisjordanie occupée, d’après un rapport du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) publié en 2025.

Les femmes, sur tous les fronts
Samiha en est convaincue : « Les femmes ont un rôle important ici, elles sont toujours en première ligne de la résistance, dans les manifestations et toutes les activités contre l’occupation israélienne. ». Depuis quelques années, elle conduit des projets pour soutenir les femmes de sa communauté, pour leur permettre de s’exprimer parce qu’elle en a l’intime conviction, « chaque histoire de chaque femme importe. Il faut en parler, les relayer pour que le monde prenne conscience de notre réalité. » Nécessité de parler aussi pour expier les traumatismes : « On a aussi fait venir des expert.e.s en santé mentale pour aborder la question des traumatismes ou comment protéger sa famille, ses enfants dans ces conditions. »
Les femmes ne sont pas seulement mobilisées contre l'occupation, d’après Samiha. Leur rôle se joue aussi dans le soutien qu’elles apportent au sein de leurs foyers. « Quand les hommes ne sont pas à la maison, ce sont elles qui sont responsables de la maison, des enfants, des terres, des bêtes », souligne-t-elle.
La militante palestinienne insiste en particulier sur le rôle de transmission que les femmes de sa communauté endossent : « Ce sont les femmes qui enseignent la résistance pacifique, la résilience. Mes frères et moi sommes aujourd’hui tous.tes activistes grâce à elles. Ce sont elles qui nous ont transmis le premier pilier de la résistance pacifique : croire en notre droit de rester sur nos terres. »
« On voit moins les jeunes femmes en première ligne ces temps-ci. C’est parce que beaucoup d’entre elles sont récemment devenues mères. Elles ne peuvent pas prendre le risque de se faire tuer, sinon qui transmettra les valeurs de la résistance pacifique à nos enfants ? ».
Une grand-mère pour exemple éternel
C’est notamment à sa grand-mère que Samiha tient à rendre hommage. À son évocation, le regard de cette dernière s’éclaire et sa voix laisse transparaître une profonde admiration. Elle explique que celle-ci est décédée trois ans plus tôt, à l’âge de 96 ans. Elle est donc née avant la Nakba (« catastrophe » en arabe) en 1948, lorsque les milices sionistes ont expulsé par la violence plus de 750 000 Palestinien.ne.s de leurs villages d’origine en vue de créer l’État d’Israël. Samiha raconte que son aïeule a elle-même fui cette violence et s’est installée à Masafer Yatta. Elle s’est ensuite battue toute sa vie pour y rester, et éviter un deuxième déplacement forcé.

La jeune femme la tient en exemple de la résistance féminine : « J’ai grandi en la voyant défendre ses terres, ses enfants, ses bêtes. Elle nous a transmis la profondeur de son attachement à la terre, comme constitutive de notre identité. » Jusqu’au passage de relais : « Elle a fini par me dire que c’était mon tour de faire tout ce que je pouvais. Ce qu’elle m’a inculqué a fait de moi une activiste. ». C’est une responsabilité que la nouvelle génération ressent collectivement et d’autant plus aujourd’hui que le nettoyage ethnique dans la région s’accélère.
La jeune militante pacifique précise que cet esprit de transmission se poursuit jusqu’à aujourd’hui : « On voit moins les jeunes femmes en première ligne ces temps-ci. C’est parce que beaucoup d’entre elles sont récemment devenues mères. Elles ne peuvent pas prendre le risque de se faire tuer, sinon qui transmettra les valeurs de la résistance pacifique à nos enfants ? ». Elle conclut en appelant aux valeurs d’humanité : « Tout le monde est en mesure de savoir ce qui se passe ici ou à Gaza. Ouvrez vos cœurs et vos oreilles en tant qu’humain.e.s. Il ne s’agit plus d’une affaire politique, c’est juste une suppression de l'humanité. C’est un test pour le monde entier. »