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La mort de Fatima m’a bouleversée au point de me plonger dans une colère sourde pendant des jours. Elle était une jeune femme, à peine au début de sa vie, avec un sourire empli d’optimisme malgré toute la douleur qui l’entourait. Fatima s’efforçait de garder son calme, de continuer, elle et l’objectif de sa caméra, à filmer et documenter ce qui se passe à Gaza, au cœur d’une guerre sanglante qui a déjà fauché la vie de plus de 52 000 personnes, en majorité des enfants et des femmes, laissant derrière elle des histoires tragiques que le temps lui-même ne pourra guérir.
Fatima est partie, mais son objectif reste le témoin d’une journaliste courageuse, qui voulait parler et transmettre la voix des Gazaouis à travers ses images. Fatima est partie, mais sa voix et ses photos demeurent, et ses derniers mots résonnent encore comme un testament qui fait trembler le cœur.
« Si je meurs, je veux une mort retentissante. Je ne veux pas être une simple brève dans un flash info, ni un chiffre parmi d’autres. Je veux une mort dont le monde entier entendra parler, laisant une trace qui traverse le temps, une image immortelle que ni les années ni les lieux ne puissent effacer. »
À Gaza, être journaliste relève de l’instinct de survie. Les journalistes gazaouis affrontent seuls une guerre impitoyable, pris en étau entre les bombes, la famine et le silence de la communauté internationale. La journaliste palestinienne Douaa Shaheen décrit ce quotidien sans répit :
« J’écris et je documente cette guerre en sachant que chaque mot peut me coûter la vie. C’est un équilibre fragile entre la peur et le devoir : la peur que chaque article soit le dernier, et la responsabilité vis-à-vis de la cause palestinienne et celle de transmettre la vérité de Gaza, face à une extermination que l’occupant tente d’enfouir sous les décombres. Ce que nous faisons dépasse le journalisme : c’est un acte de résistance pour que la voix de Gaza ne soit pas étouffée — comme nous le sommes. »
« Si je meurs, je veux une mort retentissante. Je ne veux pas être une simple brève dans un flash info, ni un chiffre parmi d’autres. Je veux une mort dont le monde entier entendra parler, laisant une trace qui traverse le temps, une image immortelle que ni les années ni les lieux ne puissent effacer. »
Les journalistes de Gaza ne sont pas différents du reste de la population de ce territoire assiégé : ils vivent chaque instant sous la menace de la mort — sous les bombes, la faim ou l’abattement. Douaa raconte l’impact de l’assassinat de ses collègues sur le terrain : « J’ai ressenti un profond découragement. Personne n’est en sécurité à Gaza. L’occupation cible tout le monde, par le feu, les frappes et la famine. Il n’y a rien qu’elle n’ait expérimenté sur Gaza. Avant même de viser mes collègues journalistes, elle a commis une atrocité : l’exécution d’une équipe de secouristes entière à Rafah. Cela prouve que l’occupant veut tuer les Gazaouis dans le silence, sans leur laisser la moindre chance de secours, ni même de témoignage — pour masquer l’horreur de sa réalité et le génocide qu’il perpètre à Gaza. ». Elle ajoute :
“L’image de nos collègues brûlés a bouleversé toute la profession. Chacun d’entre nous a compris qu’il pourrait être le prochain. Cela a provoqué une tristesse infinie. Même chez moi, j’ai peur. Être Palestinienne à Gaza, c’est vivre chaque seconde comme si c’était la dernière.”
Et de conclure :
“Le message d’Israël est limpide : ils ne veulent aucun témoin. L’occupation ne supporte pas que ses crimes soient révélés. Elle veut réduire Gaza au silence, sans caméras ni voix. Tuer les journalistes, c’est tenter de tuer la vérité. Mais cette vérité résiste. Nous avons été abandonnés. Les institutions qui devraient nous protéger se contentent de communiqués tièdes et inutiles. Combien de morts faudra-t-il pour qu’elles agissent ? Nous nous sentons trahis. Pourtant, le soutien populaire, les voix libres à travers le monde, nous redonnent un peu de souffle.”
Quand on lui demande d’où elle puise sa force, Douaa répond :
“Quand je vacille, je regarde autour de moi : un enfant fouillant les décombres à la recherche de sa famille, une mère tenant le corps sans vie de son fils, ou un collègue tombé, caméra à la main. Je puise ma force dans mon peuple, dans sa résilience, dans ses larmes, dans les cahiers d’enfants retrouvés sous les décombres. C’est pour eux que j’écris. Pour qu’ils ne soient pas oubliés.« J’écris et je documente cette guerre en sachant que chaque mot peut me coûter la vie. C’est un équilibre fragile entre la peur et le devoir : la peur que chaque article soit le dernier, et la responsabilité vis-à-vis de la cause palestinienne et celle de transmettre la vérité de Gaza, face à une extermination que l’occupant tente d’enfouir sous les décombres. Ce que nous faisons dépasse le journalisme : c’est un acte de résistance pour que la voix de Gaza ne soit pas étouffée — comme nous le sommes. »
Avant de clore notre entretien, elle adresse ce message aux journalistes du monde entier :
“Ne vous taisez pas. Le silence est une complicité. Ne cherchez pas en nous des images idéalisées : nous n’avons que notre sang et nos décombres. Portez notre voix. Rétablissez l’équilibre du récit. Ne laissez pas notre mémoire être effacée. Gaza ne meurt pas, elle saigne. Et aujourd’hui plus que jamais, elle a besoin de vous.”
À nos confrères tombés en exerçant leur métier, je dis : vous étiez les yeux de Gaza, ses sentinelles, les chevaliers de la vérité. Vous n’avez pas disparu. Nous continuerons votre combat. Nous prendrons vos caméras, vos plumes, et nous poursuivrons le récit, coûte que coûte.
Le second témoignage est celui de la journaliste et réalisatrice Shoruq Al-Aila, épouse du journaliste Rushdi Al-Sarraj, tué le 22 octobre 2023 dans un raid aérien qui a frappé leur maison à Tel Al-Hawa. Il avait 31 ans.
Shoruq raconte :
“Je suis une femme comme tant d’autres. Je n’ai pas supporté les images des journalistes brûlés vifs. C’était la vidéo la plus insupportable depuis le début de la guerre. Depuis, je suis incapable de travailler. Israël exécute les journalistes méthodiquement. Chaque crime me rappelle les visages de nos collègues disparus. Mais cette scène, celle du feu, est devenue un cauchemar récurrent. Je pense sans cesse à ce qu’ils ont ressenti, à leurs proches qui ont vu leur mort en direct sur les écrans. Ce jour-là, une part de mon humanité s’est éteinte. Chaque nouvelle attaque ravive la peur de ma famille, qui me supplie d’arrêter de travailler. Ils me rappellent que je suis tout ce qu’il reste à ma fille, depuis qu’Israël a tué son père, Rushdi.”
Elle poursuit :“L’occupation veut étouffer nos voix, car la vérité est sa pire ennemie. À Gaza, nous savons que le droit international n’est pas appliqué. Nous sommes abandonnés. Voir Netanyahu libre malgré un mandat d’arrêt est une humiliation. Mais je continuerai, jusqu’à mon dernier souffle. Ce travail me sauve du silence et m’empêche de sombrer. Personne ne peut concevoir ce que nous vivons ici. Le réel dépasse la fiction. Et face à l’absence de presse étrangère, c’est à nous qu’incombe la mission de dire la vérité, même si nous devons l’écrire avec notre sang.”
Quand nous lui avons demandé quel avait été le moment le plus difficile de son travail de journaliste couvrant la guerre à Gaza, elle a répondu : “Les obstacles sont immenses. Il ne s’agit pas seulement de survivre, mais de faire comprendre ce que nous vivons. Comment traduire l’odeur de la poudre et du sang ? Certains vécus échappent aux mots et aux images. Parfois, je ne veux ni filmer ni écrire, je veux juste que l’on sente ce que nous r sentons…”
À Gaza, un journaliste ne meurt pas lorsque son souffle s’arrête, mais lorsque le monde détourne le regard face au crime de son assassinat. Ce qui s’est produit dans la tente des journalistes non loin de l’hôpital Nasser, la mort de Fatima Hassouna et de centaines d’autres reporters, dépasse la simple violation du droit international : C’est un message limpide d’Israël : dire la vérité est désormais un crime puni de mort. Et à chaque journaliste fauché, le fossé entre justice et impunité se creuse davantage, tandis que la communauté internationale inscrit, ligne après ligne, l’histoire de sa lâcheté et de son abandon.