Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)
Maha Zaki
« J’entre dans la tente à la recherche de mon miroir, de mes produits de beauté et de soin, des vêtements que je portais chaque jour, et de mon lit propre où je pouvais m'allonger à la fin de la journée. Mais il n’y a rien de tout ça, tout est sous les décombres. Même un verre d'eau pour me laver le visage, autrefois rayonnant, et maintenant terne et couvert de boutons est introuvable », raconte Fatima, une femme de Gaza qui vit dans une tente à ciel ouvert, comme des milliers d'autres femmes. Pour elle, la perte de ces objets du quotidien, aussi insignifiant que cela puisse paraître à d'autres, représente l'effondrement d'une vie d'avant, celle où l'on pouvait encore espérer un semblant de normalité.
De la maison à la vie dans la rue
La guerre d'Israël contre Gaza a débuté le 7 octobre 2023, suite à une opération militaire lancée par le Hamas et les factions de la résistance palestinienne dans la bande de Gaza. Israël a ciblé et bombardé des civils de façon indiscriminée, tuant des milliers de Palestinien.ne.s, tout en détruisant des infrastructures vitales telles qu’hôpitaux, écoles et habitations civiles. Environ un an plus tard, le nombre de martyrs dans Gaza dépasse les 41 000, avec près de 95 000 blessés, dont une majorité d'enfants et de femmes, selon le Bureau central des statistiques palestinien. La guerre a laissé derrière elle un paysage de désolation où presque rien ne subsiste d’intact.[1]
Pour les femmes de Gaza, l'impact est encore plus tragique : plus de 90 % d'entre elles ont été contraintes de quitter leurs maisons pour s'abriter dans des camps improvisés ou des abris de fortune. Ces camps, souvent surpeuplés et dépourvus de services hygiéniques et de commodités élémentaires, ne permettent pas de répondre aux besoins essentiels des habitant.e.s. Selon plusieurs rapports[2], plus de 77 000 personnes ont été blessées, et environ 75 % sont des femmes, un chiffre alarmant qui illustre le poids disproportionné que cette guerre fait peser sur la population féminine. De plus, plus de 8 000 autres sont portées disparues, la moitié étant probablement des femmes et des enfants, laissant derrière elles des familles plongées dans une angoisse sans fin.
Rola Abou Hâchim, journaliste de Gaza et mère de quatre enfants, raconte sa vie avant la guerre : « Après des années en location, nous sommes parvenus à acheter la maison de nos rêves grâce à notre travail acharné après des années de privation. Elle offrait une vue imprenable sur la mer Nous y avons vécu seulement une année, après avoir soigneusement meublé chaque pièce, avec amour. »
Cependant, toute la famille a dû quitter cette maison à contrecœur pour se réfugier chez le père de Rola à Rafah, espérant y trouver un peu de sécurité. Mais même arrivés sur les lieux, la guerre les a rattrapés, bouleversant complètement leur vie. Aujourd'hui, ils vivent dans une tente délabrée, exposée aux éléments naturels et à tous les dangers.
« Nous commençons nos journées très tôt, raconte-elle. Les enfants ne peuvent pas dormir dans les tentes à cause de la chaleur du jour et du froid la nuit. Dans la tente, il est difficile de nous laver ne serait-ce que le visage. Hommes et femmes commencent la journée en parcourant de longues distances à la recherche d'eau". Quant aux tentes, lorsqu’elles sont disponibles, elles ne suffisent pas pour abriter correctement les familles nombreuses. Certains habitant.e.s, moins chanceux que d’autres, doivent improviser des abris avec des morceaux de tissu ou du nylon récupéré, essayant tant bien que mal de protéger leurs enfants de la pluie, de la chaleur et des regards intrusifs.
Un quotidien bouleversé
Après leur déplacement forcé, Rola n'a cessé de demander des nouvelles de leur maison, espérant y retourner un jour. Mais un jour, cette mère de famille a reçu la nouvelle qu'elle redoutait tant : leur maison avait été détruite par un bombardement israélien. « Je me disais que l'argent est remplaçable, mais le problème, c'est le travail de toute une vie qui est parti en fumée. Cela nous a coûté notre santé, et celle de nos enfants », confie-t-elle.
Les règles, un véritable défi
La guerre a multiplié les défis pour les femmes, notamment durant leurs menstruations. Rola raconte qu’une femme déplacée a un jour demandé timidement si sa fille de 17 ans pouvait se laver après ses règles, n’ayant pas accès à de l'eau propre depuis des jours. Ce genre de situations, bien que rarement discuté ouvertement, est pourtant au cœur des difficultés rencontrées par des milliers de femmes. Avec plus de 690 000 femmes en âge de procréer à Gaza, selon les Nations Unies[3], le manque d'accès aux soins médicaux de base, combiné à l'absence de produits hygiéniques appropriés, expose des centaines de milliers de filles et de femmes à un risque accru d'infections de l’appareil génital et urinaire, en plus de l'exploitation et des abus dus à la pénurie de produits de première nécessité sur les marchés locaux et à la hausse des prix, qui touchent en premier lieu les femmes et les jeunes filles.
La femme à Gaza, qu'elle soit célibataire, mariée, allaitante ou venant d'accoucher, est confrontée quotidiennement à de nouveaux défis aggravés par les ravages de la guerre. Cette souffrance ajoute une couche supplémentaire de douleur à leur vie, en raison du manque d’intimité dans les centres d’hébergement bondés. Une femme, préférant garder l'anonymat, témoigne : « Pendant mes règles, je préfère rester dans la tente pendant les premiers jours, par peur que des taches de sang n'apparaissent sur mes vêtements, car il n'y a pas de serviettes hygiéniques. Les femmes sont contraintes de se cacher jusqu'à la fin des trois premiers jours de leurs règles, malgré la nécessité de pourvoir aux besoins en eau et en nourriture de leur famille. »
Dépression post-partum sous la tente
Pour les femmes enceintes et les mères ayant accouché pendant la guerre, la situation est bien pire. Selon un rapport de l’UNICEF intitulé "Né.e.s en enfer"[4], une femme enceinte de huit mois a dû courir dans la rue pour fuir les bombardements, tandis qu'une autre s’est retrouvée ensevelie sous les décombres. Après avoir été secourue, son bébé dans son ventre n’a pas bougé pendant une semaine entière, mais la petite a finalement survécu.
Toujours selon ce rapport : la souffrance des mères ne s'arrête pas là. Après un accouchement, une femme a besoin d’une période de récupération, mais les femmes de Gaza se trouvent obligées de faire face à des difficultés physiques et psychologiques sans aucun soutien ni repos : « Cette situation accroît le risque de dépression post-partum, particulièrement lorsqu'elles doivent s'occuper d'autres enfants. Les nouvelles mères sont ainsi plongées dans une angoisse permanente, rythmée par le bruit des bombardements, la vue de la destruction environnante, et leur incapacité à allaiter leurs nourrissons, leur lait s'asséchant à cause de la malnutrition. » Ainsi, 135 000 enfants de moins de deux ans sont en danger de malnutrition aiguë.
« Les nouvelles mères sont ainsi plongées dans une angoisse permanente, rythmée par le bruit des bombardements, la vue de la destruction environnante, et leur incapacité à allaiter leurs nourrissons, leur lait s'asséchant à cause de la malnutrition. »
Rola raconte : « J'ai donné naissance à ma fille Kenda environ deux mois avant la guerre, mais elle n'a pas eu la même chance que les autres enfants du monde. Elle n'a pas pu avoir suffisamment de lait à cause du manque de nourriture, et le lait artificiel n’est pas toujours disponible. Je ne lui donnais du lait que lorsqu'elle avait très faim, et non pas selon les horaires habituels des repas. Mes enfants me demandent quand nous rentrerons à la maison. Au début, je leur disais que les bruits que nous entendions étaient des feux d'artifice, et non des explosions, mais ce mensonge n'a pas duré longtemps, car les bombardements se sont faits de plus en plus forts et nous les entendons à tout moment. »
Selon l’UNICEF[5], il y a au moins 17 000 enfants non accompagnés ou séparés de leurs familles dans la bande de Gaza. Avant cette guerre, l'UNICEF estimait que plus de 500 000 enfants avaient déjà besoin de soins de santé mentale et de soutien psychosocial. Aujourd'hui, un an après le début de la guerre, on estime que presque tous les enfants ont besoin de ces services, soit plus d'un million d'enfants.
De nouvelles tâches épuisantes pour les femmes
Les femmes se trouvent également forcées de réaliser des tâches qu’elles n’avaient jamais imaginé devoir accomplir. L’une d’entre elles, préférant garder l’anonymat, confie : « Je ne sens plus mes mains à force de laver le linge à la main, car il n’y a ni machines à laver ni électricité. Je dors donc avec ma abaya (voile), car je n’ai plus rien d’autre. Je la lave et la remets, pour être prête à l’énième bombardement ou à un déplacement forcé. Nous cherchons du réconfort. En vain... Que faire contre la chaleur accablante, les maladies de peau qui se propagent chez nos enfants, et à l'épuisement causé par nos journées, passées à lutter pour préparer les repas, collecter de l’eau, laver le linge et nettoyer la tente poussiéreuse. »
Une tente en toile et nylon à 1700 shekels (suite)
Amina Majdi (Oum Omar), 33 ans, raconte : « Je vis avec mes enfants dans une tente que j’ai achetée pour 1700 shekels, soit environ 450 dollars américains, alors que ces tentes sont censées être distribuées gratuitement dans le cadre des aides. Malgré le prix élevé, la tente est petite et ne nous protège ni de la chaleur du soleil ni du froid de l’hiver. J’essaie de protéger mon plus jeune enfant, qui a un an et fait ses premiers pas sur un sol de terre rugueuse, au lieu de marcher sur le carrelage de la maison. Malgré leur jeune âge, mes filles m’aident à transporter l’eau et le bois. » Selon le Bureau central des statistiques de Palestine, plus de 70 % des habitations de Gaza sont devenues inhabitables à cause de la guerre menée par Israël depuis le 7 octobre. Les écoles, les universités, les hôpitaux, les mosquées, les églises et les bâtiments gouvernementaux ont également été détruits, ainsi que des milliers de commerces, de banques, d’infrastructures et de terres agricoles, rendant la région invivable. Les familles sont contraintes de vivre dans des tentes séparées par de simples rideaux, ce qui empêche le sommeil, le repos ou l’intimité.
"Tant qu'il y aura de l'espoir, nous vivrons"
Dans les rues ou les tentes, les femmes de Gaza montrent qu’elles sont capables de créer de l’espoir et de la vie, même dans les pires conditions. Beaucoup résistent à travers des initiatives personnelles, comme Amina Al-Dahdouh qui a décidé, depuis sa tente à Deir Al-Balah, d’aider les enfants à surmonter leurs problèmes d’élocution causés par la guerre.[6] Amina aide ceux dont la vie a basculé, et pour qui parler est devenu un véritable défi : « Le bégaiement est le trouble qui a le plus augmenté, a-t-elle déclaré à un correspondant des Nations Unies. Actuellement, je soutiens plus de 50 enfants souffrant de troubles de la parole ici, dans le camp. D'autres enfants provenant d'autres camps souhaitent également recevoir de l'aide. Je propose des séances trois jours par semaine et vais bientôt en ajouter trois autres pour eux. »
Grâce à leurs talents culinaires, plusieurs femmes de Gaza ont réussi à apporter un peu de joie aux enfants en distribuant des gâteaux à 600 familles lors de l'Aïd al-Fitr.[7] En mélangeant de la farine, de la semoule, des épices et des arômes, ces femmes ont réussi à ajouter une touche de gaité à la fête avec leurs gâteaux délicieux.
Les femmes et les filles de Gaza savent que la catastrophe est immense, mais elles réalisent aussi qu’elles peuvent faire la différence dans la vie de centaines de personnes. Walaa Abdel Bari, une jeune femme bénévole dans un groupe humanitaire fondé par ActionAid Palestine, en est un exemple. Ce groupe vise à renforcer la capacité des jeunes à répondre aux catastrophes et aux urgences[8].
Walaa organise diverses activités récréatives pour les enfants afin de réduire l'impact de la guerre sur leur santé et leur bien-être psychique. En outre, elle agit comme éducatrice médicale auprès de certaines missions médicales à Gaza, et mène des campagnes de collecte de fonds pour acheter de la nourriture, des vêtements et des équipements d'hiver à distribuer aux déplacé.e.s.
Les histoires qui nous parviennent de Gaza sont bouleversantes : les femmes ont réussi à maintenir l’éducation, même dans la rue. Nour Nassar, une enseignante bénévole, parcourt les camps et les zones détruites avec son école itinérante, qu'elle transporte dans un sac en tissu[9]. Elle commence ses cours en installant un petit tableau dans l'une des tentes, et affiche sa fameuse pancarte où est écrit : « École itinérante » et « Tant que l’espoir existera, nous vivrons. »
Aujourd'hui, les femmes de Gaza vivent, travaillent, élèvent leurs enfants, et affrontent la peur dans la rue, au milieu des décombres. Mais elles font également naître l'espoir pour leurs enfants et leurs familles, incarnant ainsi de manière exceptionnelle la force et la résilience des femmes face à l'adversité.
[1] État de Palestine - Bureau central des statistiques palestinien
[2] Experts des Nations Unies : Les attaques violentes et brutales contre les femmes et les enfants à Gaza sont totalement inacceptables – Nations Unies – 6/5/2024
[3] Parlons des besoins mensuels des femmes à Gaza et du soutien du Fonds des Nations Unies pour la population – Nations Unies – 19/2/2024
[4] Nés dans l'enfer – UNICEF – 19/1/2024
[5] Récits de perte et de deuil :Pas moins de 17 milles enfants sont non accompagnés ou séparés de leurs parents dans la bande Gaza-UNICEF- 2/2/2024
[6] Gaza, au milieu de la guerre et de la destruction , une femme palestinienne offre de l’espoir à des enfants faisant face à des problèmes de locution – Nations Unies 16/9/2024
[7] Fabriquer le bonheur "Gâteau de l'Aïd" - Association Al-Fajr
[8] ActionAid International : Les femmes de Gaza inspirent le monde par leur force sans précédent dans la réponse à la catastrophe humanitaire à Gaza – ActionAid International – 16/3/2024
[9] "École itinérante". Initiative pour enseigner aux enfants de Gaza en pleine guerre – Site Al-Arabi Al-Jadid – 30/6/2024
Cette Enquête a été réalisée grâce au soutien du Bureau de Tunis de la Fondation Rosa Luxembourg.