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Dans cette ère numérique, la persécution que subissent les journalistes palestinien-ne-s prend de nouvelles formes. A titre d’exemple, l’occupant israélien élude volontairement les contenus palestiniens en les escamotant dans les algorithmes des plateformes des réseaux sociaux. La commission juridique de la Knesset a adopté, à l’unanimité, une loi qui oblige Facebook, Instagram, Twitter et Tic-toc de retirer tout contenu qu’Israël estime lui porter atteinte. Avant 2022, cette loi n’était pas contraignante, mais après sa promulgation, elle l’est devenue pour ces sociétés numériques.
Dans une déclaration à Medfeminiswiya, la journaliste Samah Menasra explique que « l’occupant israélien poursuit toute personne évoquant la cause palestinienne ou rappelant les violences subies par les femmes et les enfants. Ces restrictions quotidiennes prennent de nouvelles formes, notamment juridiques sur les réseaux sociaux, en contradiction avec les chartes internationales qui interdisent de porter atteinte à la liberté d’opinion et d’expression. C’est une violation flagrante de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. »
« Devant ces atteintes, nous avons décidé de faire entendre notre voix, ajoute Samah Menasra. Nous avons donc inventé de nouvelles méthodes pour faire connaitre le contenu palestinien. Par exemple, si on utilise les mots « martyr », « occupation », « résistance » ou « camps », nous écrivons le mot en lettres espacées ou bien en insérant des symboles entre les lettres. Notre objectif est de continuer à couvrir les évènements et de rapporter la réalité telle quelle pour faire connaitre notre cause au monde sans risquer la répression. »
Ainsi, le centre « Sada social » a recensé, en 2022, plus de 1 230 atteintes au contenu numérique palestinien. Dans ce bilan, la société Meta qui détient les plateformes Facebook, Instagram et WhatsApp se taille la part du lion. Ces violations comptent des blocages ou des fermetures de comptes, des interdictions de publication, de live ou d’annonces, la censure du contenu ou la restriction de l’accès, des obstacles à la publication, l’interdiction des chiffres, ainsi que la dissolution des groupes dans les applications de discussion comme WhatsApp.
La direction de la société Meta a continué d'inclure des mots clefs palestiniens dans les listes de termes interdits insérés dans l’algorithme des plateformes
Le centre "Sada Social" a également analysé la question du ciblage numérique continu des journalistes palestinien.ne.s, faisant apparaître que 58% des violations électroniques visent des journalistes et des institutions médiatiques. Ces violations ont un lien avec ce qui a été publié dans leurs pages sur des réseaux sociaux ou avec leur couverture des événements sur le terrain. « L’an dernier, il y a eu une hausse sensible des atteintes aux contenus palestiniens sur les réseaux sociaux, y compris ceux que publient les journalistes dans leurs propres blogs ou sur les médias officiels, constate Omar Nazal, membre du Secrétariat général du syndicat des journalistes palestiniens. Cela passe par la restriction de l’accès au contenu, les pressions sur les propriétaires des publications ou l’interdiction de leurs pages. Dans ce cadre, la commission des libertés du syndicat a recensé 1002 atteintes. »
Selon "Sada Social", la direction de la société Meta a continué d'inclure des mots clefs relatifs à la Palestine dans les listes de termes interdits à insérer dans les algorithmes des plateformes. Ces listes contiennent des noms, des symboles nationaux palestiniens, des personnalités historiques et des organismes politiques ainsi que des associations actives dans le domaine de la solidarité avec le peuple palestinien. Certaines personnalités et entités ont même été fichées comme terroristes.
Aujourd'hui, les experts du numérique s'accordent à dire qu'il est difficile de recenser le nombre exact de comptes clôturés car de nombreuses personnes, dont le compte a été bloqué, omettent de le signaler. Cependant, le nombre de comptes restreints ou fermés chaque année, suite à des tensions sur le terrain ou au niveau politique, est estimé à plusieurs milliers. Tout cela résulte de la complicité directe entre les propriétaires des réseaux sociaux et le système d'occupation et de d'oppression israélien.
En outre, Omar Nazzal révèle que la Commission des libertés du Syndicat des journalistes palestiniens a enregistré une augmentation significative du nombre d’exactions contre les journalistes au cours de l'année 2022, une des « plus violentes ». Dans les faits, le comité a dénombré dans son rapport annuel, 902 atteintes, dont la majeure partie a été commise par les forces d’occupation. Y figurent les assassinats de deux journalistes : Sherine Abu Aqleh à Jénine au nord de la Cisjordanie, et Ghufran Warasneh, près du camp d’El-Arroub, au nord d'Hébron.
Aujourd'hui, les forces d'occupation israéliennes détiennent toujours 15 journalistes dans leurs geôles. Certains d’entre eux sont condamnés à la réclusion à perpétuité ou à des peines de longue durée, et toutes et tous sont détenu.e.s dans de mauvaises conditions. Parmi les journalistes déjà arrêtés figurent les deux journalistes femmes, Tahrir Abu Sariya de Naplouse et Lama Ghosheh de Jérusalem. Cette dernière a été libérée à la mi-septembre 2022, mais des conditions très restrictives, quasi impossibles à tenir lui sont imposées. En effet, comme le souligne Hassan Abd Rabbo, porte-parole de la Commission des affaires des prisonniers et ex-prisonniers, Lama Ghosheh est assignée à résidence, avec interdiction d'utiliser ordinateurs, téléphones et réseaux sociaux, et s’est vu infligée une amende de 50 000 shekels.
Les autorités palestiniennes sont également responsables
Concernant les atteintes commises par les autorités palestiniennes à l'intérieur des territoires palestiniens, leur nombre a été constant au cours des dernières années en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, mais selon Omar Nazzal, membre du Secrétariat général du Syndicat des journalistes : « il existe d'autres violations plus importantes car les services de sécurité palestiniens contournent les lois et sont partiaux envers les journalistes.»
Il y a aussi d’autres limitations qui concernent l'emploi et le principe d'égalité des chances. O. Nazzal affirme que : « le tableau n'est pas rose au niveau de la liberté de la presse en Palestine. L'emprise sécuritaire se resserre parfois sur les journalistes, et notre effort constant au sein du Syndicat est d'arriver à éliminer les atteintes portées au corps des journalistes. »Toutefois, les atteintes à la liberté d’expression ne sont pas toutes criantes, violentes et visibles, il y a aussi celles que O. Nazzal qualifie d’atteintes soft : « comme celles qui peuvent ne pas être correctement documentées et entrer dans le cadre de pratiques courantes telles que la discrimination au travail, la discrimination salariale, le harcèlement verbal, le harcèlement sexuel et la non-conformité de conditions de travail avec les besoins des femmes journalistes mères. »
Les autorités palestiniennes aggravent les plaies et signifient aux journalistes qu’ils et elles sont effectivement seul.e.s.
De son côté, la journaliste palestinienne Najla’ Zeitoun raconte que durant ses longues années de travail sur le terrain, il lui est arrivé d’être menacée d'arrestation, victime de tir et de suffocation par gaz lacrymogènes, elle a même été touchée par une balle en caoutchouc tirée par des soldats israéliens. Elle a dû également affronter de nombreuses difficultés limitant sa liberté de mouvement, d’expression et d'accès à l'information.
A propos de l’agression des services de sécurité palestiniens contre des citoyen.ne.s et des journalistes lors de la manifestation qui s’est tenue suite à l’assassinat de l’activiste palestinien Nazzar Banat, Najla’ Zeitoun témoigne : « Après cet évènement, survenu à la fin du mois de juin 2021, j’ai été entravée dans mon travail de journaliste et agressée physiquement. On a confisqué mon téléphone personnel et violé mon intimité. J’ai reçu des menaces. On ne m’a toujours pas restitué mon téléphone. Avec d’autres femmes journalistes on a déposé plainte auprès de la justice militaire. Mais les agresseurs n’ont pas été jugés. Nous avons aussi été inquiétées par des sociétés avec lesquelles nous travaillons. Celles-ci ont cédé aux menaces en nous censurant sur les réseaux sociaux. Elles nous ont également exclu de la couverture d’évènements concernant le gouvernement palestinien, allant parfois jusqu’à récriminer notre travail. » A propos du rôle du syndicat, Najla Zeitoun signale que ce dernier n’a pas fourni la protection nécessaire aux journalistes « malgré les menaces, la fermeture de nos pages sur Facebook et Twitter et malgré le fait qu’on s’en soit pris à notre gagne-pain et à notre liberté. »
Le témoignage de Najla’ Zaitoun sur ce qu’elle a subi et les effets désastreux que cela a eu sur sa santé psychologique, sa situation économique, ainsi que sa famille, prouve à quel point il est, aujourd'hui, facile de porter atteinte à la dignité des journalistes en Palestine. Cela révèle aussi la restriction continue de leur liberté, y compris dans l’espace digital. Enfin, comme si la brutalité de l'occupation ne suffisait pas, les autorités palestiniennes aggravent ces plaies et signifient aux journalistes qu’ils et elles sont effectivement seul.e.s.