Revenir en prison après Donne dentro-detenute e agenti di polizia penitenziaria raccontano [Les femmes dedans – les détenues et les surveillantes pénitentiaires racontent], publié pour la première fois en 1997 (la deuxième édition, mise à jour, remonte à 2017) a été pour moi une expérience inattendue.
La première série de visites que j’avais effectuées, il y a longtemps désormais, dans sept prisons italiennes pour femmes, je l’avais conçue comme un moyen de recueillir les témoignages de celles qui vivent en prison au quotidien : d’un côté parce qu’elles y sont détenues, de l’autre parce qu’elles y travaillent comme agentes, éducatrices ou directrices d’établissement pénitientiaire.
Mon attention s’était alors portée sur les histoires personnelles des détenues, sur leurs récits de vie, sur les projets interrompus et sur l’espoir de pouvoir les reprendre pour les mener à bien, et pour ce qui est des salariées, sur la fatigue et les satisfactions d’une activité, et d’une fonction, qui comptent parmi les moins valorisées dans le monde de la justice.

Je me souviens de la réflexion amère d’une agente pénitentiaire, qui me dit durant l’un de mes voyages dans les sept prisons pour femmes, à la fin des années 1990 : « Quand on arrête quelqu’un, la population exulte et applaudit les collègues de la police. Puis les projecteurs s’éteignent, et dans l’obscurité, il y a nous, celles et ceux de la pénitentiaire, qui restons travailler tous les jours, sans lumière. »
Cette nouvelle fois, en raison des difficultés provoquées par le Covid 19 et les entrecroisements compliqués avec les obligations et les activités déjà présentes dans la prison de Vercelli [en Lombardie, n.d.t], le laboratoire d’écriture créative Tu m’écoutes? Je te/me raconte une histoire, proposé en partenariat avec l’association Voix de femmes de Biella, qui devait durer initialement deux mois minimum, s’est déroulé à un rythme beaucoup plus serré, très différent de comment je l’avais imaginé. Et avec une différence de poids : alors que dans la première expérience qui avait conduit à Donne dentro, c’étaient mes mots qui racontaient celles que je rencontrais, cette fois-ci les mots n’ont pas été les miens, mais ceux des participantes à l’atelier.

Ça a été étrange, et intense, de transcrire les courts récits et les réflexions d’Antonella, de Cleana, de Consuelo, de Giuseppina, de Norma, de Karina, écrites par leurs soins, à la main, sur des cahiers d’écolier : de nos jours, c’est l’ordinateur qui enregistre l’écriture dans la majorité des cas. Mais pas dans ce cas-là : ici papier et crayon uniquement.
Pendant que je recopiais leurs mots écrits à la main sur des feuilles pour construire le texte collectif et le publier, j’ai eu l’impression que les mots prenaient corps, qu’ils s’incarnaient : je me suis retrouvée devant des pages à l’écriture claire et précise, d’autres emplies de ratures, d’autres encore incertaines; des feuilles avec des dessins, des petites traces que je ne serais pas en mesure de décrypter.

Le temps passé à attendre que les femmes écrivent, dans le silence fervent de la pièce du quartier des femmes réservée à l’enseignement a constitué un cadeau précieux et émouvant. Je leur sais gré à toutes pour les heures d’attention et de confiance qu’elles m’ont accordées ; je le suis en particulier vers celles qui, au départ, ont à juste titre hésité à s’ouvrir à la lecture publique de leurs notes et qui, ensuite, ont décidé de dépasser la défiance que pouvait leur inspirer une parfaite inconnue et ont fait l’effort de partager, avec leur propre voix, ce qui avait été écrit.
Dans le petit livre que nous avons produit à partir des pensées et de l’écriture du groupe, il y a une brève réflexion de Rita De Lima, assistance sociale qui a travaillé pendant des années en prison : « Comme par magie, après quelques mots de présentation sur nous-mêmes, sur l’association et sur le chemin que nous ferons ensemble, ledit chemin prend forme immédiatement, les émotions affleurent et la confiance qui nous est accordée a quelque chose de surprenant. Je regarde ces jeunes femmes, je suis surprise et émue de sentir la profondeur de pensée, la facilité à décrire leurs émotions, la difficulté à s’exposer et le désir d’apprendre qu’il y a en chacune d’elles.
Les réflexions profondes sur le thème de la liberté, de la communication, de la sororité, de l’amitié me font comprendre que, pour chacune d’entre elles, il y a une possibilité et une envie de rachat : il y a celles qui font des études, celles qui dessinent, celles qui lisent et demandent des livres importants en cadeau, les histoires des femmes, des luttes pour l’émancipation, en particulier celle de Rosa Parks.
Après le cours, j’ai beaucoup pensé à elles toutes, à leurs visages, à leurs sourires, à leurs tristesses et à leurs duretés : à toutes, et à chacune, je voudrais pouvoir dire qu’il y a un avenir qui les attend. Entre temps, je vais aller chercher les livres demandés par Claudia, les couleurs et l’album pour Consuelo, les chocolats demandés par Antonella parce que “quand tu penses, tu as besoin de sucre”. »

Dans ce petit livre, il y a beaucoup d’émotions, qui ont trouvé une traduction dans les brèves réflexions suscitées par les mots que j’ai proposés à ce petit groupe de femmes comme source d’inspiration pour mettre les pensées en mouvement. Les mots que j’ai proposés en guise de stimulis et que les participantes à l’atelier ont utilisés pour écrire sont écrire, femme, sens, rire et pleurs.
« Elle était si belle dans ses erreurs, écrit une participante. C’était une guerrière, elle faisait face à tout ; elle versait beaucoup de larmes, mais sans jamais se montrer, elle portait un masque invisible, chaque larme sur son visage a été une leçon. » Et aussi : « Elle avait un beau sourire, de ceux qui coupent le souffle, un rire communicatif, quand on était à côté d’elle on ne pouvait pas ne pas être gai : rien que quand tu la regardais, elle te transmettait la joie de vivre ». Mais encore : « L’écriture est comme une sœur, je partage tout ». Et puis : « Elle voit, elle entend, elle touche, elle goûte d’un seul et même mouvement ! En un éclair elle se retrouve l’âme suspendue, légère comme un nuage dans le ciel. » Enfin : « La femme est l’âme du monde la femme est vie, elle est émotion elle est force pure qui n’est pas faite seulement de muscles mais surtout de cerveau et d’âme. voilà ce que je pense des femmes avec âme cœur et cerveau. »

Les mots clés à partir desquels initier une discussion collective sont venus de moi, mais il y en a un, un seul, que le groupe a décidé de manière autonome. Ce mot-là, sans hésitation, a été choisi à l’unisson par les participantes comme point de départ pour composer un récit bref et unique, qui a ensuite conflué dans la mosaïque collective des récits : c’est le mot « liberté ». Un grand mot, difficile et en perpétuelle évolution, qui est à la fois idée, pratique et voeu pour nous toutes.