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Milica Barać
En Serbie, la connaissance et l'utilisation des contraceptifs varient selon plusieurs facteurs, tels que l'âge, le niveau d'éducation et la proximité des centres urbains. D'après les données recueillies par l'Enquête par grappes à indicateurs multiples (MICS) et publiée par l'UNICEF Serbie: 99,7 % des personnes interrogées connaissent au moins une méthode contraceptive moderne (pilule, patch, implant,etc). L'enquête se base sur un échantillon national ainsi qu'un échantillon spécifiquement issu de campements de la communauté Rom, où ces dernier.es vivent dans des conditions d'extrême pauvreté et de marginalisation sociale.
Concernant le premier échantillon, 62 % des femmes mariées et 75 % des femmes célibataires sexuellement actives ont déclaré avoir recouru à une méthode contraceptive. Au sein de la communauté Rom, 98 % des femmes connaissent au moins une méthode contraceptive et à 97 % les méthodes modernes. Néanmoins, 60 % des femmes mariées utilisent une contraception et dans 56 % des cas, il s'agit d'une méthode traditionnelle, contre 7 % pour les autres méthodes.
Entre les femmes mariées et celles qui ne le sont pas, on observe une différence dans le type de contraception utilisé : les secondes (56 %) ont plus souvent recours aux méthodes modernes que les femmes mariées (21 %). Les résultats montrent également que les citadines et celles ayant un niveau d’études supérieur utilisent plus fréquemment la contraception moderne que les femmes rurales et celles ayant un niveau d’études inférieur.
Le préservatif masculin est la méthode moderne la plus couramment utilisée, tandis que le retrait reste la méthode traditionnelle la plus répandue.
Les obstacles à l'accès à la contraception : prise en charge limitée et difficultés financières
L'Atlas des politiques de contraception 2025 du Forum Parlementaire Européen sur les politiques relatives aux droits sexuels et reproductifs montre que la Serbie présente une couverture santé en matière de contraception inférieure à celle des autres pays européens. Elle ne prend pas en charge les frais des jeunes de moins de 25 ans, ni spécifiquement ceux des groupes vulnérables (les personnes sans emploi ou à faibles revenus), ni les contraceptifs réversibles de longue durée tels que les implants ou D.I.U et la contraception d’urgence n’est pas non plus remboursée.
De ce fait, la plupart des contraceptifs sont à la charge des concerné.es. Seule une pilule contraceptive est remboursée partiellement par l'assurance maladie, tandis que les autres nécessitent une participation financière de 70 à 90 % ou un paiement intégral. Malgré les propositions répétées de la société civile visant à exempter les jeunes de ces frais, aucune n'a été adoptée. Ces propositions reposent sur l'argument que la baisse du recours à la contraception est souvent due à la pauvreté et au manque d'information des jeunes en matière de santé reproductive.
Dans certains cas, la diminution du recours à la contraception entraîne des grossesses non désirées. Ces dernières années, le nombre de grossesses non désirées a baissé, mais en 2023, le taux de natalité chez les adolescentes de 15 à 19 ans en Serbie était encore de 14 naissances pour 1 000 filles.
Maja a vingt ans, elle est étudiante en sociologie et travaille à temps partiel dans une salle de jeux pour enfants. Elle utilise des moyens de contraception depuis l'adolescence. « Jusqu'à présent, je n'ai utilisé que des préservatifs et la pilule. Je n'ai même pas envisagé d'autres options car je suis presque sûre que je n'aurais pas les moyens de me les offrir. Ce serait formidable si les contraceptifs étaient moins chers. Davantage de personnes les utiliseraient », juge-t-elle.
En Serbie, les procédures d'avortement sont encadrées par la loi relative à l'interruption de grossesse dans les établissements de santé. Chaque clinique est tenue de pratiquer l'avortement si une femme le demande, mais l'intervention n'est pas prise en charge par l'assurance maladie, sauf si l'avortement est justifié pour des raisons médicales.
La diminution du recours à la contraception est souvent une conséquence de la pauvreté et du manque de connaissances des jeunes en matière de santé reproductive.
Un manque d'éducation et d'information sur la sexualité
L'éducation sexuelle est toujours absente du système éducatif serbe. Quelques leçons sont abordées dans les cours de biologie, mais elles ne fournissent que des informations de base sur la santé sexuelle et reproductive, sans conseils ni ressources complètes.
« Ce que je sais sur la contraception et les droits sexuels et reproductifs, je le tiens surtout des conversations que j'ai avec ma mère et mes amies, confirme Maja. À l'école, on n'en parlait quasiment jamais, peut-être une fois en cours, et pas d'une manière adaptée à notre âge. Je ne suis pas à l'aise pour aborder ces sujets avec les médecins ou les infirmières, et ils ne semblent généralement pas vouloir me donner plus d'informations. Je ne vais chez le médecin que lorsque j'ai un problème grave. »
Ana, 34 ans, est enseignante et constate que les femmes en Serbie manquent d'accès à l'information de base sur la contraception et la santé reproductive en général. « Je peux parler de ma propre expérience, précise-t-elle. À l'adolescence, mes principales sources d'information sur la santé sexuelle et reproductive étaient mes amis et quelques magazines. C'était un sujet tabou à l'école, et je peux affirmer sans hésiter que rien n'a changé depuis. Les jeunes ont aujourd'hui accès à internet, mais je reste convaincue qu'une bonne éducation sexuelle est indispensable à l'école, afin de sensibiliser les jeunes aux questions de santé et aux méthodes de protection et de prévention. Je pense également qu'un travail de sensibilisation du grand public est nécessaire. Les décideurs politiques doivent en faire une priorité si nous voulons que les jeunes soient responsables et informés. »
L’absence d’éducation sexuelle, la disponibilité limitée d’informations et de conseils, et les tabous persistants continuent de nuire à la connaissance des options contraceptives, malgré l’existence de programmes nationaux, d’institutions mandatées et d’ONG travaillant sur ces questions.
Branka, une comptable de 52 ans travaillant dans une entreprise privée, souligne l'importance du soutien social et institutionnel, d'autant plus que ces sujets restent tabous. « J'ai deux filles, partage-t-elle. Je suis très ouverte avec elles sur tous les sujets, notamment leur santé. Beaucoup de filles et de femmes n'en parlent pas par gêne ou par manque de connaissances. Pourtant, tant de problèmes de santé pourraient être évités. Je ne pense pas que nous ayons beaucoup progressé dans ce domaine. J'ai constaté que dans certains pays, les femmes bénéficient d'aides publiques ou de réductions sur la contraception. Je pense que ce serait un bon modèle pour la Serbie également. Idéalement, la contraception devrait être gratuite, accompagnée d'un contrôle médical. Mais si elle ne peut être gratuite, elle devrait au moins être moins chère. C'est le minimum que nous méritons .»
Bien que les consultations chez les gynécologues dans les cliniques publiques soient gratuites, il peut être impossible d'obtenir un rendez-vous : on estime qu'il n'y a actuellement que quelques 500 gynécologues travaillant dans les cliniques publiques, tandis que certaines villes n'ont aucun gynécologue dans leurs centres médicaux locaux.
Des soins privés coûteux
Dans de nombreuses régions du pays, et notamment chez les jeunes femmes, le manque d'informations adéquates sur leur corps et leurs choix en matière de reproduction est criant. Si les préservatifs et la pilule contraceptive sont disponibles en pharmacie, les méthodes contraceptives à longue durée réversibles nécessitent une consultation dans un centre médical et une ordonnance. Bien que les consultations chez un gynécologue dans les centres de santé publics soient gratuites, il est souvent impossible d'obtenir un rendez-vous : on estime qu'il n'y a actuellement que quelques 500 gynécologues exerçant dans ces centres, et certaines villes n'en comptent aucun dans leurs centres médicaux. De ce fait, les femmes doivent souvent attendre longtemps pour obtenir un rendez-vous, ou se tourner vers une clinique privée, où chaque examen est payant.
Marija a 38 ans et est mère au foyer. Son expérience avec la contraception « n'a pas été des plus agréables », affirme-t-elle, mais elle a pu trouver la méthode qui lui convenait grâce à des soins médicaux privés, « un accès qui n'est pas donné à toutes », reconnaît-elle. « Pendant et après ma grossesse, je consultais un gynécologue en cabinet privé, confie-t-elle, car il était difficile de joindre celui du centre de santé public ; ce dernier n'était pas toujours en mesure de me proposer des rendez-vous supplémentaires, alors que j'en avais besoin. Pour moi, aller chez un gynécologue en cabinet privé était donc la meilleure solution. C'était difficile financièrement, certes, mais je me sentais plus à l'aise et en sécurité. Je pense que nous, les femmes, devrions en parler davantage. Il est tout à fait normal que nous ayons toutes accès à des soins médicaux de qualité, et que ces soins soient disponibles dans les centres de santé publics. Mais nous savons toutes que ce n'est pas le cas partout. »
Cadre juridique et politique nationale
L’égalité des genres est protégée par la Constitution de la République de Serbie et reconnue comme un principe fondamental des droits humains. La loi sur l’égalité des genres (2021) et la stratégie pour l’égalité des genres 2021-2030 définissent les politiques visant à promouvoir l’égalité des genres, à lutter contre la discrimination et à prévenir les violences sexistes.
L'orientation 2021-2030 inclut explicitement la « promotion de la santé et des droits sexuels et reproductifs » comme objectif clé et la loi de 2021 stipule que les autorités publiques en matière de santé et de protection sociale doivent mettre en œuvre des mesures spéciales pour surveiller, soutenir et améliorer la santé sexuelle et reproductive.
Selon le Programme national pour la sauvegarde et l’amélioration de la santé sexuelle et reproductive (2017), toute personne doit avoir accès à une information complète et exacte ainsi qu’à des méthodes contraceptives sûres, efficaces, accessibles et acceptables. De plus, chacun·e devrait être sensibilisé·e aux moyens de se protéger contre les infections sexuellement transmissibles, car la santé sexuelle et reproductive fait partie du droit universel au meilleur état de santé physique et mentale possible, tel que défini dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres accords internationaux.
Le Programme met l’accent sur l’égalité d’accès à la santé sexuelle et reproductive pour tous, sans distinction de sexe, de genre, d’âge, de statut économique, d’origine ethnique, de contexte culturel ou de vulnérabilité, et sur l’importance de permettre aux individus de participer à l’élaboration de programmes de protection de la santé et de prendre des décisions éclairées concernant leur sexualité et leur reproduction.
Les cadres juridiques nationaux et internationaux affirment que les droits sexuels et reproductifs sont des droits humains fondamentaux. Pourtant, en Serbie, la réalité vécue diffère souvent de ce qui est inscrit dans les textes. Les institutions doivent s'efforcer d'améliorer l'accès à une information fiable, de développer l'éducation, de mettre en place des mécanismes de remboursement et de renforcer les services de conseil pour les femmes de tous âges et de toutes régions. En définitive, aucun droit ne devrait être considéré comme un luxe, où que ce soit.
Photo principale de Marta Branco
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Bureau de Tunis de la Fondation Rosa Luxembourg.
