Image de couverture: Consultations médicales gratuites, à Casablanca. Avril 2024. Photo prise par l’association Bank de Solidarité
Perle Guichenducq
« Je me suis rendue dans une dizaine de centres de soins avant d’en trouver un qui acceptait de faire le suivi de ma grossesse », explique M. une ivoirienne rencontrée lors de la journée de consultations médicales organisée par l’association Bank de solidarité.
Ces dernières années, Casablanca, capitale économique du Maroc, est devenue un point de chute pour les migrant·e·s venant principalement d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient et d’Asie. Depuis que les relations bilatérales entre Rabat et Madrid[1] se sont réchauffées, les migrant.e.s sont refoulé.e.s à l'intérieur des terres et notamment vers les grandes villes comme Casablanca, pour empêcher toutes velléités de rejoindre l’Europe par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Tout au long de leur parcours migratoire, les femmes font face à de nombreux défis en matière de santé sexuelle et reproductive. Elles subissent une double peine accentuée par des barrières institutionnelles, économiques et socioculturelles, notamment dans un contexte de privatisation croissante du système sanitaire marocain.
Un cadre légal protecteur pour les plus démuni.es mais une réalité de terrain différente
Au Maroc, les dispositifs comme le RAMED[2], remplacé depuis par l'AMO[3], sont censés garantir une couverture médicale aux populations les plus vulnérables. Depuis 2013, un plan d’action spécifique pour la santé des migrant·e·s permet théoriquement à ces dernier·ère·s d’accéder gratuitement aux soins de base. Les accouchements, quel que soit le statut de la mère, doivent être pris en charge dans les structures publiques. Mais sur le terrain, la situation est bien différente. Les exemples sont nombreux et les barrières multiples. Lorsque les migrant.e.s se présentent dans les centres de santé, les responsables leur demandent de fournir un contrat de bail pour pouvoir se faire soigner, or tou.t.e.s les migrant.e.s régularisé.e.s ne possèdent pas nécessairement ce contrat.
J. est Ivoirienne et sans papiers. Enceinte de 5 mois, elle voulait entamer le suivi de sa grossesse et faire sa première échographie, mais elle a été refoulée du dispensaire du quartier où elle vivait : « lorsque je suis arrivée au centre de soin, la personne de l’accueil m’a demandé un bail à mon nom, or, par manque de moyens, je loue une chambre avec plusieurs autres femmes de ma communauté ». C'est grâce à l'intervention des bénévoles du collectif Casa Lumière[4] qu’elle a pu se rendre dans un centre de santé qui accepte de suivre sa grossesse. Pour que l'accouchement soit pris en charge dans les hôpitaux publics, il faut que ces femmes aient été au préalable suivies et enregistrées dans des centres de santé. Ces barrières administratives sont d’autant plus difficiles à surmonter que nombre de migrantes ne maîtrisent ni la langue ni les rouages du système administratif marocain.
C’est donc souvent la société civile ou les organismes internationaux qui jouent le rôle d’intermédiaire avec les structures de soins publics, ou qui prennent en charge, dans de nombreux cas, les frais d’hospitalisation. Ces difficultés d’accès aux soins sont partagées par les Marocain.e.s issus.e.s des classes populaires, mais semblent avoir un impact plus grave sur le parcours de soins des femmes migrantes subsahariennes, qui cumulent les facteurs d’exclusion.
Une privatisation croissante qui exclut les plus vulnérables
Le système de santé marocain repose sur trois piliers : un secteur public, un secteur privé lucratif et un secteur privé à but non lucratif. Cependant, ces dernières années, la privatisation s'est accélérée, avec plus de 400 cliniques privées en activité représentant aujourd'hui 90 % des soins primaires du pays. Ces structures sont inaccessibles aux populations précaires en raison de leurs coûts exorbitants.
M. est une migrante qui se rend régulièrement aux petits-déjeuners organisés par le collectif Casa Lumières, elle a une valvulopathie et doit se faire opérer en urgence ; elle souffre de surcroît d’une insuffisance cardiaque. Le chirurgien demande 60 000 dirhams[5] pour l’opérer, une somme qu’elle n’est pas en mesure de réunir à ce jour. Outre leurs prix exorbitants, les cliniques privées ont des pratiques illégales comme celle consistant à demander des chèques de garantie aux patients avant leur hospitalisation, une démarche qui pénalise encore les plus démuni·e·s.
Des structures publiques qui manquent de moyens
Les structures publiques, quant à elles manquent de moyens (respirateurs, bouteilles d’oxygène, compresses, places insuffisantes en réanimation), le matériel fait défaut, et la capacité d’accueil est largement insuffisante. S'ajoute à cela une pénurie de médecins et de personnel médical qui provoquent une saturation des hôpitaux et une mise en danger des patient.e.s.
S. a été violée lors de son transit migratoire au Maroc, elle était enceinte de jumeaux lorsqu’à sept mois, elle perd les eaux et se présente à l'hôpital public. Les jumeaux sont de grands prématurés, mais il n’y a pas de couveuse pour pouvoir les prendre en charge. Le petit garçon décédera dans les heures qui suivent et la petite fille sera réanimée. Toutefois, rien n’est inscrit dans son dossier médical. S. ne sait donc pas combien de temps sa petite fille est restée sans oxygène. C’est grâce à l’intervention et au financement des membres du collectif de Casa Lumières qu’elle pourra trouver le lendemain une place au sein de l’association la Goutte de Lait et sauver sa petite fille.
Violences sexistes et racisme : les discriminations omniprésentes
Les migrantes sont souvent stigmatisées par le personnel médical : « Lorsque nous arrivons dans les centres pour effectuer des prélèvements de sang, le personnel met systématiquement des gants. Médecins et infirmiè.r.e.s pensent que nous sommes porteuses du VIH », témoigne une jeune patiente. Il arrive que les femmes soient victimes de comportements et de commentaires racistes et dégradants sur leur origine et sont parfois appelé.es, « Azzi » ou « kerlouch » surnoms péjoratifs se traduisant par « nègre » et faisant référence à la période esclavagiste.
Les migrantes subissent également des violences sexistes, souvent justifiées par la société patriarcale marocaine. Déjà marginalisées en raison de leur statut, elles sont souvent accusées de "provoquer" ces violences par leur façon de s’habiller ou leur comportement. Résultat : les migrantes ne se rendent dans les structures de soins que lorsque cela est inévitable. Ces discriminations semblent très largement sous-estimées parce que les femmes n’osent pas témoigner, de peur d’être arrêtées et ostracisées.
A l’heure ou le Maroc prépare la Coupe d'Afrique des nations (CAN 2025) et met en œuvre des efforts pour construire des relations bilatérales solides avec les autres nations africaines, il est urgent que le royaume améliore l’accès aux soins pour ses populations les plus vulnérables, dont les migrantes subsahariennes.