Crédit photo de l'image de couverture: site contre la traite des êtres humains.
La dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président français et les élections législatives organisées dans l’urgence ont relégué à l’arrière-plan les mesures à mettre en place pour contrer l’explosion attendue de la prostitution en marge de cet évènement. La campagne (1) a débuté laborieusement et reste en deçà des attentes de bon nombre des féministes françaises.
Pourtant leurs associations n’ont cessé d’alerter sur ce danger. D’autres pays organisateurs ont déjà constaté ce phénomène qui se greffe aux grandes manifestations sportives. La coupe du monde de football en Allemagne en 2006, le Mondial au Brésil en 2014 ont confirmé une hausse massive de la prostitution. Certes le contexte législatif diffère d’un pays à un autre concernant la prohibition de la prostitution et du proxénétisme. En Allemagne, qui a officiellement légalisé en 2022 la prostitution, on compte plus de 2000 maisons closes (Eros centers selon l’appellation locale) en activité légale.
En France, le recours à la prostitution est en revanche illégal en vertu de la loi du 13 avril 2016. Cette loi qui confirme la position abolitionniste de la France ne pénalise pas les personnes prostituées mais les prostitueurs et les clients. L’achat d’acte sexuel peut être sanctionné de cinq ans d’emprisonnement et de 1500 euros d’amende. Les sanctions sont encore plus lourdes pour la prostitution de mineur de moins de 15 ans. L’OCRTEH, Office central pour la répression de la traite des êtres humains, ne comptait que 6 mineurs victimes en 2010 mais 147 en 2018. Des chiffres éloignés de ceux des parquets de Paris et Marseille qui, à eux seuls, en comptabilisent 500, quand les associations (2) parlent de 6 000 à 10 000 enfants concernés.
Des mesures insuffisantes face à des réseaux de proxénètes qui s’adaptent
Le plan de lutte contre le système prostitutionnel et l’exploitation sexuelle présenté par le gouvernement le 2 mai 2024 indique qu’environ 40 000 personnes dont 30% de mineurs sont en situation de prostitution en France selon les chiffres de l’OCRTEH. Ce plan prévoit une campagne de sensibilisation dans le cadre des JOP 2024 pour informer et rappeler aux 18 millions de touristes attendus que le recours à la prostitution est interdit en France. Une cellule de cyber enquête a aussi été annoncée pour débusquer les proxénètes et les clients. Ces mesures même si elles étaient appliquées resteraient insuffisantes au regard l’activité des prostitueurs qui se sont adaptés et utilisent davantage les réseaux sociaux.
Aujourd’hui la prostitution de rue ne représente que 20%, l’essentiel se déroulant sur internet. La lutte contre le proxénétisme ne s’est pas adaptée : seules 10 % des condamnations pour proxénétisme aggravé concernent la prostitution sur internet selon l’OCRTEH. En avril 2023 lors d’une rencontre autour de la lutte contre le système prostitutionnel entre représentants du gouvernement et plusieurs associations, il avait été convenu de lancer une campagne nationale interministérielle de prévention qui devait se décliner en un important affichage dans les aéroports, les compagnies ferroviaires, les hôtels et sur les sites des institutions. A quelques jours de l’ouverture cette campagne apparaissait plutôt modeste et se résumait à quelques affiches sur le site du gouvernement. Cette campagne est également invisible dans les transports et dans les médias.
Il semble que l’instabilité politique et la préoccupation sécuritaire aient paralysé l’action publique dans la mise en œuvre des pare feux de la prostitution alors que l’ubérisation de la prostitution exige une mobilisation entière de tous les acteurs qu’ils soient le gouvernement, les institutions ou les associations. Ces dernières déplorent la frilosité des ministères concernés, Intérieur et Justice, dans leur implication dans cette campagne. Les réunions de coordination qui devaient suivre la rencontre d’avril 2023 n’ont pas eu lieu. Le Collectif Ensemble contre la traite des êtres humains (https://www.contrelatraite.org /) qui regroupe 28 organisations dénonce la hausse du nombre d’interpellations ces derniers mois et parfois les OQTF, obligations de quitter le territoire français, notifiées aux personnes prostituées. De même, selon le Collectif, les places d’hébergement pour mettre à l’abri les victimes n’ont pas été fournies.
Safe zones et écoute pour les victimes éventuelles
Néanmoins la mission interministérielle pour la protection des femmes contre la violence et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) a signé, en mai 2024, une convention de collaboration avec les hébergeurs dont la plateforme Airbnb. Les deux signataires ont créé « le guide du voyageur responsable » pour aider le voyageur à repérer et signaler toute situation d’exploitation dans les lieux de séjour. La Miprof qui pilote le Plan national 2024-2027 consacré à la lutte contre le système prostitutionnel devait également former des équipes d’assistance d’Airbnb.
La mairie de Paris, de son côté a lancé à une semaine de l’ouverture des JOP2024 « le Passeport parisien des droits des femmes », un document qui sera distribué aux visiteurs, journalistes et associations. Il est également installé un espace festif et informatif « la Terrasse des Jeux » devant l’hôtel de ville et dans plusieurs arrondissements de la capitale prévoyant des stands dédiés aux associations.
La ville de Paris a par ailleurs aménagé des zones refuges, les Safe place, pour accueillir les éventuelles victimes de violences sexistes et sexuelles. Des consultations juridiques et psychologiques sont également prévues dans les périmètres des festivités. Le Collectif est par ailleurs partenaire local pour les JOP24 de la campagne de sensibilisation internationale ‘It’s a Penalty’. Ce programme mobilise des athlètes de renom et des organismes sportifs pour la prévention des violences sexuelles et sexistes. Le gouvernement français et les instances organisatrices ont prévu pour leur part de distribuer des milliers de préservatifs aux athlètes. Qui dit mieux pour brouiller le message d’alerte des associations ?
Notes :
Campagne de sensibilisation : lutter contre l‘achat d’actes sexuels et la traite des êtres humains pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024
Le Collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains" est un réseau créé pour une lutte plus efficace contre toutes les formes de ce déni des droits humains. Créé par le Secours Catholique en 2007, il regroupe 28 associations françaises, engagées de façon directe ou indirecte avec les victimes d'exploitation et de traite des êtres humains sous toutes ses formes en France ou dans les pays de transit et d’origine de la traite.