La violence obstétricale ou le cauchemar indicible des Tunisiennes

En Tunisie, les salles d'accouchement suscitent la terreur et l'inquiétude chez les femmes.

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Le sentiment de terreur et d’inquiétude que ressentent les Tunisiennes n’est pas à mettre seulement sur le compte de l'accouchement en tant que tel mais plutôt de l'avilissement, de l'humiliation et des mauvais traitements dans lesquels il advient.

En Tunisie, de nombreuses femmes souffrent des abus commis par le personnel médical et paramédical, dont les sages-femmes. Outre les interventions médicales coercitives, les Tunisiennes subissent diverses formes de violence et de discrimination en raison de leur ethnie, de leur rang social, et de leur âge.

« Déshabille-toi et installe-toi sur la table. Supporte la douleur en attendant ton tour », voilà à quoi ressemble un hôpital public dans le gouvernorat de Kébili au Sud de la Tunisie. A témoigner auprès de Medfeminiswiya : Sarah, 33 ans, nous raconte la violence qu'elle a subie durant sa grossesse et son accouchement, une violence dont elle peine à se défaire encore aujourd’hui.

De la violence et des abus dans le lit d'accouchement

Après son premier accouchement, Sarah affirme qu'elle n'a plus l'intention de retomber enceinte en raison des mauvais traitements et de la violence verbale, voire physique, qu'elle a subis.  « la sage-femme s'est penchée sur mon ventre avec brutalité, ce qui m'a fait perdre le souffle, raconte-t-elle. Ensuite, elle m'a fait subir une épisiotomie sans même me demander la permission. Je ne m'en suis aperçue qu'après coup, lorsque l'anesthésie s'est dissipée. Je souffre des conséquences encore aujourd'hui. »

Nombreuses sages-femmes ont recours à l'incision vaginale pour accélérer l'accouchement sans s'assurer du consentement des femmes concernées, chose qui est considérée, au regard de l'OMS, comme l'une des pratiques violentes et inhumaines découlant de la violence obstétricale.

Selon l'OMS, la violence obstétricale fait référence à « l'un des problèmes de santé publique résultant du recours à la force et la violence physique délibérément dans le but de menacer ou d'infliger le mal. »

La sage-femme m'a fait subir une épisiotomie sans mon consentement. Je m'en suis aperçue qu'après coup, lorsque l'anesthésie s'est dissipée. Je souffre des conséquences encore aujourd'hui.

Ce phénomène ne se limite pas au secteur privé. De fait, Yasmine nous raconte son expérience dans un hôpital public de la capitale tunisienne : « la sage-femme m'a forcée à me mettre sur la table en position d'accouchement des heures durant avant de m'injecter un produit qui déclenche les contractions. La porte était ouverte, le personnel médical allait et venait. Certains entraient, sans-gêne, dans la chambre alors que j'étais exposée à la vue de tous. Lorsque j'ai demandé à la sage-femme de fermer la porte, elle s'est mise à ricaner avant d'ajouter : « tu n'es pas en vacances dans un hôtel… On ne ferme pas la porte ici. »

Yasmine nous fait part de son expérience avec amertume : « J'ai senti le sang bouillonner dans mes veines. Je n'en revenais pas de sa réaction, ma demande lui avait sans doute semblé tellement bizarre. Le droit des individus à la vie privée ne veut-il donc rien dire pour eux ? Faut-il rappeler que l'OMS estime que sommer les femmes de rester en position d'accouchement est "un acte inhumain". »

La discrimination exacerbe la violence

Dans les sociétés où règnent systèmes et logiques patriarcales, la violence obstétricale touche à son comble car les normes sociales autorisent largement la violence faite aux femmes. Dès lors, celles-ci gardent le silence face aux abus dont elles sont victimes dans les hôpitaux, puisque cette violence s'impose comme une évidence.

Qui plus est cette violence s'amplifie lorsqu'elle est redoublée par une discrimination flagrante. À titre d'exemple, la violence obstétricale va crescendo sur les mères célibataires. Idem pour les femmes enceintes relativement âgées qui font souvent l'objet de moqueries.

Khouloud Faizi, sage-femme et militante féministe tunisienne

Une étude qualitative sur les normes sociales et la tolérance des mauvais traitements subis par les femmes, publiée par l'organisation soudanaise "AMNA", corrobore ces observations. Selon cette étude, il existe une convention sociale normalisant l'image de la sage-femme violente. Par conséquent, rien de plus normal que les cris qu'elles poussent et les coups qu'elles assènent aux femmes lors de l'accouchement.

Dans la plupart des cas, surtout dans les pays machistes et les zones marginalisées, les femmes ignorent leurs droits et composent avec le système patriarcal et les coutumes machistes en vigueur dans leur entourage. « La violence obstétricale peut se manifester à tout stade du traitement médical prodigué aux femmes, explique Khouloud Faizi, sage-femme et militante féministe tunisienne. Et même durant toute la phase de grossesse puisque toute violence verbale et tout mauvais traitement de la part du personnel médical sont considérés comme de la violence obstétricale. »

Ces mauvais traitements physique et psychologique ont des répercussions : ainsi de nombreuses femmes souffrent des conséquences de l'épisiotomie sur leur santé physique, mentale et sexuelle vu les répercussions chroniques qui s'ensuivent. En effet, cette incision est effectuée à leur insu, et donc sans leur consentement. Les accouchées sont perçues comme de simples chiffres qu'il faut s'empresser de baisser afin d'accueillir d'autres femmes, la capacité d'accueil de l'hôpital avec ses chambres étroites étant limitée, et son manque de ressources endémique.

Le manque de ressources attise les souffrances des femmes

La pénurie de médecins obstétricien.ne.s qui s'accompagne d'un manque de ressources attisent les souffrances des femmes. À cet égard, Faizi martèle : « le manque de ressources telles que les moniteurs cardiaques affecte la qualité des traitements et fait encourir de graves dangers aux femmes puisque certaines sages-femmes en zones rurales et reculées se trouvent dans l'obligation de mesurer le rythme cardiaque de l'embryon à l'oreille. »

Les femmes nécessiteuses payent le plus lourd tribut face à la détérioration des hôpitaux publics puisqu'elles n'ont pas les moyens d'accoucher dans des cliniques privées.

Les hôpitaux dans les zones reculées ont des sages-femmes formées surtout aux accouchements naturels. Toute complication lors de la grossesse, comme le rythme cardiaque lent du fœtus, une forte hémorragie ou l'hypotension requièrent l'intervention de médecin spécialisé.e, qui fait cruellement défaut dans ces régions. Dans certains cas extrêmes, cela peut mener à la mort de la femme et de son nourrisson. A l’instar de cette femme, décédée à l'hôpital de Tataouine en 2015. Cette affaire a suscité à l’époque une controverse de grande envergure dans les cercles des féministes et des défenseur.e.s des droits humains.

Hôpital de Tataouine

Dans les zones marginalisées, les femmes nécessiteuses sont les plus exposées à la mort lors de l'accouchement. En se ruant dans les hôpitaux publics, qui sont leurs seules options possibles, elles s’exposent à davantage de risques puisque ces établissements sont désormais incapables d'assurer les soins médicaux et des accouchements sûrs en raison de la crise économique qui les frappe.

Par conséquent, n’ayant pas les moyens d'accoucher dans des cliniques privées, ce sont ces femmes qui payent le plus lourd tribut face à la détérioration des hôpitaux publics.

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