Plus de 150 000 morts, dont 80 % de civils. C'est l'estimation que les États-Unis avaient secrètement faite des conséquences de l'invasion illégale de l'Irak. Nous l'avons découvert en 2010 grâce à Wikileaks et à son fondateur, Julian Assange. Des crimes contre l'humanité documentés en détail par des diplomates, des politiciens, des employés de la CIA, jusqu’à certains mercenaires de sociétés telles que Blackwater.

Quelques mois plus tôt, une autre fuite avait révélé les crimes commis par Washington en Afghanistan. Les grands médias du monde entier ont fouillé dans les dossiers et publié des récits de massacres de civils non armés, de femmes enceintes et d'enfants abattus pour s'être approchés d'un poste de contrôle militaire, ainsi que des formes infinies de torture utilisées contre des milliers de détenus irréguliers.
L'impunité dont jouissent George W. Bush, Tony Blair, José María Aznar et les autres responsables, qui continuent de se déplacer dans le monde, en se faisant rétribuer leurs conférences, envoie un message déplorable aux génocidaires du monde : « massacrez, détruisez, pillez autant que vous voulez. Celui qui s’y prendra le mieux gagnera. »
Celles et ceux qui ont payé pour leur audace sont celles et ceux qui ont rempli une des premières prérogatives du journalisme : enquêter et révéler les crimes commis par les Etats. C’est le cas de l'ancienne soldate et analyste Chelsea Manning, qui pour avoir divulgué des documents classifiés, a passé sept ans en prison jusqu'à ce que sa peine de 35 ans soit commuée par le président de l'époque, Barack Obama. Dans le cas de Julian Assange, la persécution n'a jamais cessé. Depuis plus de quatre ans, il est détenu dans la prison la plus restrictive de Grande-Bretagne dans l'attente de son extradition vers les États-Unis. Il y encourt une peine de plus de 175 ans de prison. Il est accusé d'espionnage pour le travail que nous, journalistes, faisons - ou devrions faire - quotidiennement.
Une fois de plus, le message du pouvoir américain est clair : journalistes du monde entier, sachez que si vous dénoncez les crimes commis par nos institutions, vous ne serez en sécurité nulle part dans le monde. L'avocate et épouse du fondateur de Wikileaks, Stella Assange, l'a illustré dans une interview accordée à la Deutsche Welle : « Imaginez que la Chine fasse la même chose et poursuive un journaliste en Allemagne pour le même motif, pour avoir dénoncé les crimes du gouvernement chinois. »
Celles et ceux qui ont payé pour leur audace sont celles et ceux qui ont rempli une des premières prérogatives du journalisme : enquêter et révéler les crimes commis par les États.
Pendant ce temps, le président Biden, fervent partisan de l'invasion de l'Irak dans les rangs démocrates, s'emploie à exiger la libération des journalistes emprisonnés dans le monde entier, en mettant l'accent sur la libération du journaliste du Wall Street Journal, Evan Gershkovich, en Russie. Dans le même temps, son administration ne trouve aucune contradiction à continuer de faire pression sur Downing Street pour qu'il extrade Assange le plus rapidement possible. Si elle le fait, il sera enfermé dans une prison de haute sécurité où il pourra passer jusqu'à 23 heures par jour à l'isolement. L'industrie pénitentiaire américaine applique régulièrement, arbitrairement et de manière létale l'isolement cellulaire, même aux personnes en attente de jugement et de libération conditionnelle, y compris dans les zones réservées aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
Ce n'est qu'en avril de cette année que la mort de deux prisonniers a été révélée, mettant une fois de plus en évidence le fait que les prisons américaines sont des lieux ou la torture peut être pratiquée en toute impunité. Gérées par des sociétés privées, plus de deux millions de personnes y sont enfermées - les États-Unis ont le pourcentage de prisonniers le plus élevé au monde – Ces sociétés font partie des principales entreprises du pays.
Enfermer pour laisser mourir

La photographie de Lashawn Thompson montre son visage couvert de piqûres. Il a été placé dans la section psychiatrique de la prison du comté de Fulton à Atlanta, en Géorgie, en attendant son procès. Trois mois plus tard, en septembre 2022, il est mort dans sa cellule, le corps couvert de plaies, et personne n'a pu dire à son avocat quand il avait été vu vivant pour la dernière fois. Comme ce dernier l'a déclaré à WBTV, Lashawn Thompson gisait dans des ordures et des excréments. Le Southern Center for Human Rights, qui a recensé dix décès dans cette même prison en 2022, a publié un rapport indiquant que dans cette unité de santé mentale « 100% des détenus avaient des poux, la gale ou les deux. »
L'autre cas est celui de Joshua McLemore, un homme emprisonné pour avoir tiré les cheveux d'une infirmière qui le soignait pour une crise psychotique. Diagnostiqué schizophrène, il a été enfermé à la prison de Jackson, dans l'Indiana, où il a passé 20 jours dans une cellule sans fenêtre ni salle de bains avant de mourir de malnutrition et de déshydratation. Des photographies montrent qu'il devait uriner et déféquer à même le sol où il dormait et mangeait. Des lampes fluorescentes étaient allumées 24 heures sur 24 et il n'était à aucun moment autorisé à quitter sa cellule. Aucun employé n'a écrit quoi que ce soit dans son rapport pendant plus de sept jours, alors qu'il était censé être surveillé toutes les 15 minutes en raison de son état. Au cours de cette période, il a perdu 20 kilos, selon des informations publiées sur le World Socialist Website.
La famille de M. Assange l'a prévenu qu'il était en pleine dépression et qu'il se suiciderait s'il était extradé aux États-Unis. En regardant les images de Thompson et McLemore pendant leur emprisonnement, on ne peut s'empêcher de penser aux tortures que les soldats américains ont infligées aux Irakiens dans la prison d'Abu Ghraib. Une prison dont les méthodes de torture et d'humiliation, ainsi que les tentatives de l'armée pour les dissimuler, ont été portées à notre connaissance précisément grâce à Assange.
L'avocat Jeffrey Sterling, ancien employé de la CIA, condamné pour espionnage après avoir fourni des informations secrètes au journaliste James Risen, a déclaré lors d'un rassemblement en faveur d'Assange que ce dernier avait peu de chances de bénéficier d'un procès équitable aux États-Unis : « Il est impossible de se défendre contre l'accusation d'espionnage. La vérité n'est pas une défense. En fait, toute défense basée sur la vérité est interdite. De plus, il n'aura accès à aucune des présumées preuves utilisées contre lui. »
En d'autres termes, accuser Assange d'espionnage - comme tout journaliste ou militant qui divulgue des informations contraires aux intérêts américains - le prive de son droit de défense et, par conséquent, de tous les autres. Enfin, son emprisonnement, dans l'état actuel de sa santé mentale, menacerait sa survie même ; d'autant que, selon d'anciens responsables du renseignement qui se sont confiés à Yahoo News, le directeur de la CIA avait prévu en 2017, avec d'autres hauts responsables de la CIA, d'entrer dans l'ambassade équatorienne, de kidnapper Assange et de l'assassiner.
Exiger que le Royaume-Uni le libère immédiatement, et que tous les autres États garantissent son intégrité, est la moindre des choses. C’est exactement ce que tout démocrate devrait soutenir pour défendre le droit à la liberté d'expression et d'information. Ce serait également une forme de remerciement pour les services rendus dans le cadre d'une citoyenneté qui continue à croire en la défense des droits de humains. Défendre Assange, c'est lutter contre l'impunité des criminels américains. Mais aussi celle de ses complices : Tony Blair et José María Aznar.