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En Italie, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux femmes - l'une à l'opposé de l'autre - sont à la tête du gouvernement et du plus grand parti d'opposition.
La Présidente du conseil des ministres, cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni a 47 ans. C’est une vraie Romaine, ambitieuse et instinctive aux origines à la fois humbles et bourgeoises. Elle est mère d’une petite fille qu'elle a eue à l'âge de 40 ans d'un homme avec lequel elle vit sans être mariée, même si elle soutient avec fermeté que la famille traditionnelle est le meilleur modèle qu’il soit.
Giorgia Meloni affirme avec la même ardeur sa foi catholique qu’elle revendique comme le fondement de son identité politique, une identité ancrée dans la droite sociale. Dans ces conditions, il n’est pas difficile d'imaginer qu'elle considère le féminisme comme un écran de fumée : d’ailleurs, un de ses premiers actes symboliques, lorsqu’elle a pris la tête du nouveau gouvernement, a été d’annoncer qu'elle souhaitait être appelée “premier ministre”, déclinant ainsi sa fonction exclusivement au masculin.
Un coup dur, bien qu'annoncé, après des décennies de lutte pour féminiser le titre des mandats politiques. Certains analystes politiques pointus ont fait remarquer que, pour les ministres (à l'exception d'une seule, dont je parlerai plus tard), Giorgia Meloni avait choisi des hommes beaucoup moins brillants et intelligents qu'elle afin qu’ils ne lui fassent pas d’ombre. De fait, six mois après son entrée au gouvernement, elle n'a aucun rival sur la scène médiatique.
La nouvelle secrétaire du plus grand parti de gauche s'appelle Elly Schlein, elle a 10 ans de moins que Giogia Meloni, un passeport américain, un autre suisse. Elle vient d'une famille d'origine juive et a évolué depuis son enfance dans une atmosphère internationale. Cultivée, énergique, féministe et de gauche, bien qu'elle n'ait pas encore 40 ans, elle a déjà été membre du Parlement européen et a gouverné une des régions les plus riches d'Italie et, historiquement, la plus communiste du pays : l'Émilie-Romagne.
Tout comme Giorgia Meloni, Elly Schlein a -elle aussi- réussi un exploit historique en devenant la première secrétaire du Pd. Ce Parti démocrate né des cendres du PCI (Parti Communiste Italien), le plus important parti communiste d'Europe jusque dans les années 1980. Rappelons que bien que la première femme présidente de la Chambre des députés de l’après-guerre ait été issue des rangs du PCI, la gauche n'avait jamais hissé, jusqu’à présent, une femme à sa tête. C’était sans compter sur Elly Schlein qui a battu un candidat, apparemment invincible, et s’est imposée sur la scène médiatique en déclarant publiquement qu’elle vivait en couple avec une jeune femme.
Dans un tel contexte, force est de se demander comment se porte le féminisme en Italie et, plus encore, comment se porte la presse féministe, ou du moins ce qu'il en reste ?
Une fois passée la belle saison des revues des années 1970 telles que Effe, DWF, Lapis, Grattacielo, Il Paese delle donne, Dwpress…, Internet a sauvé une grande partie de cet héritage, en contribuant à la diffusion, en plus de l'immense matériel historique, d'une myriade de blogs, sites, réseaux sociaux de groupes ou de simples activistes et journalistes féministes qui s’attirent la curiosité, en ce moment même, des jeunes générations. Il en va de même pour le mensuel historique Noidonne qui existe désormais exclusivement en ligne. Né clandestinement pendant la Seconde Guerre mondiale grâce à l'UDI, l'Union des femmes italiennes (une organisation politique de gauche), Noidonne est devenu par la suite le premier magazine à rassembler le mouvement institutionnel -et non institutionnel- des femmes.
Ne nous cachons pas, qu'actuellement, il s'agit d'une phase plutôt malheureuse dans les relations entre les différentes âmes du mouvement féministe italien. En effet, celui-ci a du mal à engager une confrontation, au risque de s’écharper, sur des questions importantes -et en même temps brûlantes- telles que la prostitution, le voile, l'utérus à louer, l'adoption et l'avortement.
Et pourtant, le débat sur ces questions, en particulier sur la maternité et l'avortement, a été ravivé récemment par les déclarations de la ministre de la famille, de la natalité et de l'égalité des chances, Eugenia Roccella (qui pour sa part ne dédaigne voir son qualificatif accordé au féminin). C’est la seule femme digne d'intérêt dans les rangs du gouvernement.
Eugenia Roccella se dit féministe, cependant elle fait partie d'un gouvernement de droite qui propose une vision très traditionaliste de la femme. Ce n’est d’ailleurs pas la seule femme de valeur à avoir choisi la droite, d'autres avant elle avaient fait le même choix, essentiellement à cause de la rigidité et du manque d'écoute d'une partie de la gauche et du mouvement féministe. Ce fut le cas de l'avocate Tina Lagostena Bassi qui a été élue députée avec Forza Italia, le parti fondé et présidé par Silvio Berlusconi. On se souviendra de sa célèbre harangue dans “Processo per stupro”, émission diffusée par la RAI en 1979 dans laquelle les caméras suivaient le procès d’un viol collectif, où elle prenait la défense de la victime. Autre figure importante : celle de la journaliste de Noidonne, Roberta Tatafiore, ancienne rédactrice de La lucciola, le journal du Comité pour les droits civiques des prostituées, qui écrivit durant à la fin de sa vie pour des journaux de droite tels que Libero, Il foglio, Il Giornale et Il Secolo d'Italia.
Eugenia Roccella s’est construite sur une solide base radicale féministe et sur l'exemple de sa mère Wanda Raheli, activiste artistique, peintre et animatrice du Mouvement de libération des femmes dans les années 1970. Son père, Francesco Roccella, a été lui aussi un modèle inspirant : il est fondateur du Parti radical, groupe politique auquel l'Italie doit le développement d'une culture laïque des droits civiques ; une culture très faible dans un pays marqué par l'influence du Vatican et le manque de proactivité du monde laïque.
Dans la presse généraliste, comme dans la presse féministe, et sur les réseaux sociaux, deux déclarations d’Eugenia Roccella ont fait débat : sa réponse “Malheureusement oui” à la question : “L'avortement fait-il partie des libertés des femmes ? Ainsi que cette autre affirmation : “Je ne considérais pas l'avortement comme une bonne chose, même lorsque je me battais pour que les femmes puissent y avoir recours. La loi 194 est une bonne loi, mais les femmes ne sont pas heureuses d'avorter.”
Roccella s'est également déclarée opposée à la gestation pour autrui, la qualifiant entre autres de pratique raciste, parce que ce sont en majorité les couples blancs et riches qui utilisent l'utérus des femmes pauvres. Jusqu'à présent, aucune demande de confrontation avec elle n'a été avancée par le mouvement des femmes, alors que l'on apprend que 100 féministes d'âges et d'horizons différents ont écrit à Elly Schlein pour la rencontrer et débattre avec elle autour de cette question. Nous verrons bien où tout cela mène…